Moto Revue

Que deviens-tu ?

Jean-François Baldé

- Propos recueillis par Christian Batteux. Photos archives MR et CB.

Oublié au fond d’un tiroir, ce petit entretien avec Jean-François Baldé a été réalisé en avril 2016, lors de la Sunday Ride Classic, sur le circuit PaulRicard. Entre-temps, la vie de Jean-François a été bouleversé­e par la découverte d’un cancer, contre lequel il se bagarre depuis plus d’un an. Une lourde opération suivie d’une chimiothér­apie a été indispensa­ble, et aujourd’hui, l’ancien pilote de Grands Prix se trouve donc en arrêt maladie. « J’ai l’autorisati­on de mon oncologue pour faire des petits déplacemen­ts, en faisant attention de ne pas me fatiguer, et récemment, j’ai arrêté le traitement que je suivais. Il me coupait l’appétit et j’avais perdu tellement de poids que je me faisais peur moi-même devant la glace. Les médecins manquent de recul sur mon cancer, qui est assez rare, et ils ne savent pas s’il peut revenir. Je leur ai dit qu’à choisir, je préférais mourir du cancer plutôt que de mourir de faim ! » Voilà qui a le mérite d’être clair. Ceci étant dit, les propos qu’il a tenus pour nous il y a deux ans restent intéressan­ts pour cette rubrique consacrée aux anciens pilotes, dont l’intérêt principal est de savoir comment ils négocient leur après-carrière, une période pas toujours très facile pour des gens qui ont consacré tout leur temps à performer sur les circuits du monde entier. Pour resituer les choses, en 1989, Jean-François s’offre donc une tournée d’adieux au guidon d’une moto dont le carénage est décoré de remercieme­nts dans toutes les langues parlées dans le paddock. « J’ai décidé de faire une dernière saison pour me faire plaisir, surtout pour ça. J’étais encore dans le coup mais après avoir tiré sur la ficelle durant toute une carrière, il faut savoir s’arrêter... Et puis j’étais parti avec un jeune mécanicien talentueux répondant au nom de Christophe Léonce (aujourd’hui chez KTM après avoir passé plus de 15 ans au HRC, ndlr), il m’avait fait une moto qui marchait super fort ; pourtant c’était une Yamaha TZ 250 standard achetée chez un concession­naire à Suzuka – style : “Bonjour monsieur, je voudrais vous acheter une TZ” – sur laquelle j’avais mis deux gicleurs et au guidon de laquelle j’ai fait 19e à Suzuka, à 39 ans, au milieu d’une palanquée de motos d’usine (sourire). Ensuite, cette année-là, ma chute au GP de Yougoslavi­e – à l’endroit exact où Michel Rougerie avait trouvé la mort 8 ans plus tôt –, dont j’ai réchappé sans une égratignur­e, je l’ai prise comme un signe du bon Dieu. J’ai donc arrêté, et j’ai passé l’un des plus beaux hivers de ma vie, serein, étant donné que je n’avais plus d’angoisse à attendre des coups de fil de partenaire­s dont je dépendais pour la saison suivante… Bon, il fallait tout de même continuer à travailler, alors comme j’avais la passion de la mécanique, je me suis lancé dans la restaurati­on de motos. J’ai ensuite été contacté par la télévision pour assurer des commentair­es sur les Grands Prix, jusqu’au moment où France Télévision­s a arrêté la moto – et donc moi aussi ! Mais bon, dans la vie, quand on est correct, on finit toujours par être récompensé… De par l’éducation que m’ont donnée mes parents, j’ai toujours été quelqu’un de droit, ce qui m’a valu à plusieurs reprises de voir une porte s’ouvrir au moment où je m’y attendais le moins. La dernière en date, c’est le jour où du fin fond de la France, en Normandie, un fabricant d’essence français, ETS, m’a contacté et m’a proposé de travailler avec lui. C’est une petite équipe d’une quinzaine de personnes, à Rouen, et leurs produits sont de très haute qualité. » Jean-François avait déjà collaboré avec Elf, peu après avoir pris sa retraite sportive. « À l’époque, monsieur Fayard, ingénieur de haut vol chez Elf, avait sorti des essences pour la Formule 1 qui donnaient 30 à 40 chevaux de plus… Il s’est souvenu de moi et m’a chargé de surveiller

l’essence que l’on fournissai­t à McLaren avec Prost et Senna ou dans d’autres écuries, car il savait que j’étais incorrupti­ble, et que si quelqu’un de la concurrenc­e venait me voir avec 500 000 dollars pour obtenir en toute discrétion un litre de cette essence, je refuserais catégoriqu­ement… Alors je me retrouvais chez McLaren, Benetton, je surveillai­s tout et le soir venu, je vidais tous les réservoirs pour remettre ce qui restait dans les bidons du camion Elf, sécurisé et gardé (sourire) !»

« Un chèque en blanc pour rouler Honda en endurance »

Revenant sur l’idée de fidélité et de correction à laquelle il tient beaucoup, il nous rappelle une autre histoire, antérieure à celle-ci : « Lorsque Honda a fait son retour officiel en championna­t du monde d’endurance, le responsabl­e du service course, Jean-Louis Guillou, avait dans l’idée de recréer l’équipage Baldé-Léon, car nous avions roulé ensemble quelques années plus tôt. Monsieur Guillou est venu à la maison me proposer un guidon et m’a dit en substance : “J’ai un chèque pour vous, c’est vous qui inscrivez le montant dessus”, je te promets que ça s’est passé comme ça. Mais j’étais redevable à Xavier Maugendre (patron de Kawasaki France à l’époque, ndlr), qui m’avait mis le pied à l’étrier alors que je n’étais pas le meilleur pilote en France, et je n’ai pas eu le coeur de lui faire ça. La suite a prouvé que j’avais raison puisqu’il m’a trouvé des motos d’usine pour faire la carrière que vous connaissez en Grands Prix. Récemment, lorsque je participai­s à des démonstrat­ions lors d’événements Classic, je portais toujours un tee-shirt que monsieur Maugendre m’avait offert. Comme ça, quand je tournais, il était avec moi sur la moto (sourire)… » En 2010, Jean-François a donc été contacté par le fabricant de carburant ETS, basé à Rouen, et qui fournit des essences quasi à la carte. « Quand les responsabl­es de ETS sont venus me trouver, sur le papier, ça me tentait mais je n’étais partant que si ça en valait la peine, à savoir que le produit soit vraiment performant ; je ne me voyais pas aller vendre mon essence parce que j’étais le copain d’untel ou untel. Ils m’ont démontré que leur travail donnait en effet des super résultats, des équipes comme Ten Kate en Superbike travaillai­ent avec eux depuis plusieurs années, j’ai dit banco et après trois mois d’essai, j’ai donc signé mon premier CDI avec eux en 2010, à l’âge de 60 ans (rire) ! Je m’occupe de la moto (en Superbike et en motocross) et du bateau pour la marque ETS. Bien sûr, le rêve serait d’accéder au MotoGP mais pour le moment, les contrats pétroliers nous empêchent d’approfondi­r les discussion­s avec les équipes. Mon boulot, c’est celui d’une sorte de “super commercial” doublé d’un logisticie­n, puisqu’il faut organiser la livraison de notre essence un peu partout dans le monde, aux Philippine­s, au Japon, en Chine, en Amérique du Nord, en Afrique du Sud, en Australie, etc. Je me rends sur des épreuves de Superbike mondial, de championna­t du monde MXGP, et sur les championna­ts nationaux pour faire connaître nos carburants, en Espagne, aux Pays-Bas, tout en maintenant le contact en MotoGP. Je m’occupe beaucoup des clients après les courses, depuis la maison, j’organise tout de chez moi, et du coup, je me retrouve de temps en temps sur mon ordinateur, à quatre heures de l’après-midi, toujours en pyjama, sans avoir pris le temps de manger (rire) !» Depuis un peu plus d’un an, Jean-François a donc arrêté de travailler, contraint de faire une pause pour se consacrer à son combat contre le cancer. Mais il a retrouvé de l’appétit.

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