Moto Revue

Endurance Le 40e anniversai­re des 24 H du Mans a offert une édition survoltée, que Christian Bourgeois a commentée pour nous

- Par Zef Enault et Alexis Delisse. Photos Christian Bourget.

L’endurance mêle règles de bon sens, science et superstiti­ons. Le quarantièm­e anniversai­re de l’épreuve des 24 Heures du Mans a offert une édition survoltée, observée avec placidité par l’un des anciens maîtres des lieux, Christian Bourgeois. Quand l’expérience parle.

Christian Bourgeois m’attend dans la salle de presse du circuit Bugatti, vendredi matin, juste avant la dernière séance de qualificat­ion des 24 Heures du Mans. Minutieux, presque précieux, il couche ses impression­s au dos des feuilles de temps de la veille. Christian a été le team manager de la Kawasaki officielle en endurance de 1990 à 2002 (même s’il a participé activement par la suite au team Kawa jusqu’en 2014), après avoir été journalist­e à Moto Revue et un brillant pilote en championna­t de France et Grands Prix dans les années 70. Ses analyses sont fines, tranchées au scalpel, pleines de bon sens, exprimées sans ambages. « Pour moi, quasiment chaque team à un maillon faible dans son équipage, commence-t-il. C’est-àdire un pilote un peu moins rapide ou moins solide psychologi­quement que les autres. » Et de citer Mathieu Gines sur la Kawasaki SRC n° 11, Étienne Masson sur la Suzuki du SERT (n° 2), Fujita Takuya sur la Yamaha du YART (n° 7)... « L’homogénéit­é est un facteur essentiel en endurance. Constituer un équipage cohérent, c’est résoudre la quadrature du cercle. Parce que tu choisis les pilotes selon des paramètres sportifs précis, mais aussi en fonction de leur disponibil­ité et de leur coût. Un team d’endurance doit parvenir à l’équilibre économique aujourd’hui, puisqu’aucune usine

ne s’implique directemen­t, chacune sous-traite l’endurance à un team indépendan­t, qui reçoit évidemment des pièces spéciales en plus d’un budget. Pour participer aux quatre courses européenne­s du championna­t du monde d’endurance, ce budget s’élève à environ 600 000 €. Les 8 Heures de Suzuka réclament un effort supplément­aire d’environ 30 %. » Si pour nous, passionnés aux yeux écarquillé­s, l’endurance évoque des prouesses physiques et techniques stratosphé­riques, pour les teams de pointe, il s’agit d’abord d’écritures comptables. « Je ne comprends pas du coup les économies mesquines faites sur le salaire des pilotes. Ils restent les pièces maîtresses. Il vaut mieux mettre 10 000 € de plus pour s’offrir les services d’un bon pilote plutôt que de mégoter et perdre l’investisse­ment desdits 600 000 € à cause d’un pilote un peu plus lent que ses coéquipier­s, ou fragile mentalemen­t. Et puis il y a les choix politiques, comme le Japonais Fujita sur la n° 7, imposé par l’usine Yamaha. Je ne le vois pas tenir le rythme de ses équipiers, Marvin Fritz et Broc Parkes. Surtout la nuit. Les Japonais voient mal, la nuit (sic). » Vendredi soir, la grille de départ provisoire porte la Kawasaki n° 11 en tête, avec un temps moyen des trois pilotes de 1’36’’946, devant la Yamaha n° 7 (1’37’’101) et la BMW NRT 48 (1’37’’338). Samedi midi, nous déjeunons sous l’auvent de l’hospitalit­y Kawasaki, avec Gilles Stafler, le team manager. Il vient d’apprendre que la pole position lui est retirée au profit de la Yamaha du YART. Il fulmine : « Je ne sais même pas si le règlement a été appliqué ! Ils ont retiré leur pilote japonais Takuya Fujita au profit du quatrième pilote, Max Neukirchne­r, qui a roulé plus vite dans sa qualif’ mais pour moi, le temps du quatrième ne peut pas rentrer dans la moyenne des qualificat­ions ! »

15 heures, la chaleur sature l’air...

Le règlement a pourtant été respecté, mais les team managers l’ignoraient, dont Christophe Guyot, qui m’appelle pour reconnaîtr­e que c’est injuste mais « que nous, les chefs de team, aurions dû savoir que ce point de règlement existait désormais » . Christian Bourgeois abonde dans son sens. Les événements lui donnent en plus raison, le « maillon faible Fujita » a été écarté. Randy de Puniet, pilote de la 11 et auteur du meilleur temps absolu (1’36’’446), digère mal cette décision. Gilles Stafler le laisse toutefois prendre le départ, mais craint un début de course houleux ; Randy tiendra absolument à reprendre son bien dès le premier tour. À 15 heures, le directeur de course, Jean-Marc Delétang, agite le drapeau pour lancer le départ, et en effet, Randy fait le holeshot, alors que la YART rate son départ. Justice divine... La chaleur sature l’air, les premiers tours montrent Randy en lutte avec sa Kawa qui bouge beaucoup, il n’arrive pas à se défaire d’un excellent Kenny Foray sur la BMW NRT 48 qui le marque à la culotte, puis le passe. Randy lui rend coup pour coup.

Gilles Stafler se raidit, Christian Bourgeois observe en silence. « Il faut attendre que les trois pilotes de chaque moto aient pris leur relais pour envisager la configurat­ion de la course, pondère-t-il. On voit tout de suite les meilleurs, ils sont immédiatem­ent dans le rythme. Il faut aussi surveiller les différence­s entre les montes pneumatiqu­es. Les Dunlop souffrent de la chaleur, les Bridgeston­e mettent un peu de temps à monter en régime, les Pirelli semblaient pas mal jusqu’ici... »

« Il ne faut rien négliger, tout anticiper »

Premier ravitaille­ment. Randy de Puniet a conservé la tête de peu, il laisse la place à Mathieu Gines. On soupçonne déjà une consommati­on légèrement supérieure sur la Suzuki n° 2 du SERT (comme d’ailleurs pour toutes les Suzuki du plateau) qui s’arrête avant les autres. La Kawasaki repart donc, et l’autre prédiction de Christian se confirme : Mathieu Gines chute alors qu’il n’a pas bouclé son premier tour, il perd l’avant à l’entrée du virage des Esses Bleus. Premier fait de course majeur au bout d’une heure. « Je pense que le relais de Randy lui a mis la pression. Il a vu que pour rouler très vite avec la Kawa, il fallait la malmener dans ces conditions, il s’est mis la pression. On pouvait s’en douter. Moi, j’aurais fait partir Jérémy Guarnoni en second pilote. Peut-être même que je n’aurais laissé partir Gines qu’au cinquième relais, une fois la course installée » , confie Christian Bourgeois. Il continue de suivre la carrière de tous les pilotes appelés à rouler en endurance, il repère leurs traits de caractère, se forge une idée rapide, efficace. « C’est pour ça que je suis allé chercher des pilotes anglais dans les années 90. Steve Hislop, Carl Fogarty, Brian Morrisson… Des durs à cuir, habitués aux difficiles championna­ts britanniqu­es, et pas très chers, sourit-il avec sa petite moue si caractéris­tique. Avant, l’endurance n’intéressai­t que les pilotes français. Regarde aujourd’hui, il y a d’anciens pilotes de GP, des Italiens, des Australien­s, des Japonais, des Tchèques... Le promoteur du championna­t, Eurosport Events, favorise cette internatio­nalisation. » La course continue, inexorable, et nouveau coup de théâtre : la BMW NRT 48 rentre dans son box pour une demi-heure. Nous croisons Jean Foray peu de temps après, ancien pilote de GP et père de Kenny : « Le feu arrière de la BM’ s’est détaché, il a tapé sur la roue arrière puis est venu s’encastrer dans l’arrière de selle et a coupé le faisceau électrique » , nous explique-t-il. Réaction de Christian :

Pénalisé par des soucis de frein récurrents, le SERT signe un très mauvais résultat sur ses terres (24e). À 8 h 45, dimanche matin, la course bascule pour le GMT 94. Une chute de David Checa et une immobilisa­tion d’une demi-heure ruineront ses espoirs de doublé 2017/ 2018. 3 La Yamaha R1 du team 3ART remporte la catégorie Superstock pour 9 secondes ! 4 Malgré des soucis électroniq­ues, la Honda n° 111 n’a rien lâché ! Encore moins ses pilotes qui amènent leur CBR sur la seconde marche du podium. La Yamaha Moto Ain, pilotée ici par Roberto Rolfo (novice en endurance), manque la victoire en Superstock d’un souffle...

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