Moto Revue

L’ENFANCE D’UN (FUTUR) ROI

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Les premières pages du livre de Freddie Spencer abordent logiquemen­t la période de son enfance, en banlieue de Shreveport, une ville de 300 000 âmes, qui figurerait au centre d’un triangle formé au sud-est par La NouvelleOr­léans (Louisiane), à l’ouest par Dallas (Texas) et au nord-est par Memphis (Tennesse), si l’on se donnait la peine de le dessiner. Le climat y est humide, subtropica­l, et l’été, la chaleur s’alourdit d’un taux d’humidité de près de 90 % (cela explique que les conditions de course de ce type n’ont jamais dérangé Freddie). Il en profite pour corriger une vieille légende qui court à son propos, et écrit : « Le Sud (des États-Unis) était extrêmemen­t conservate­ur à l’époque, il l’est d’ailleurs encore aujourd’hui à plusieurs titres. Nous n’étions pas une famille religieuse, nous ne sommes jamais allés à la messe, nous n’avons jamais prié à la maison. Lorsque je roulais en Grands Prix, de nombreux articles ont affirmé que j’étais extrêmemen­t religieux, et même que j’étais Mormon. Rien de tout cela n’était vrai. Je n’étais pas religieux au sens de pratiquant, en revanche, j’ai toujours eu la foi. »

« La moto, c’était ma thérapie »

Une foi qui n’est pas forcément liée à une croyance religieuse donc, mais à quelque chose d’autre (quelque chose qui, allez savoir, se rapprocher­ait des « forces de l’esprit » – une expression passée chez nous à la postérité suite à l’ultime discours de Nouvel An de François Mitterrand fin 1994 !). Il en parle dans le chapitre suivant... Freddie a grandi dans un environnem­ent où, dit-il, la ségrégatio­n était toujours d’actualité, même si elle fut abolie aux USA en 1967 (Freddie avait alors 6 ans). Mais le voisinage proche de la famille Spencer était en avance sur son époque, et beaucoup plus tolérant que dans d’autres quartiers de Shreveport. Une tolérance qui s’appliquait aussi au petit Freddie. « Cela continue de m’étonner aujourd’hui encore, car nos voisins n’ont jamais rien dit par rapport au bruit que je pouvais faire. Chaque jour, entre l’âge de 4 et de 15 ans, je roulais pendant 3 ou 4 heures, après l’école, jusqu’à ce qu’il fasse nuit. Rouler sur le terrain derrière la maison de mes parents, affûter mes compétence­s, sentir la moto glisser et apprendre à contrôler ses mouvements, c’était ma passion. Il suffit que je ferme les yeux et aujourd’hui encore, je peux revoir ces images comme si elles dataient d’hier, sentir l’air de la course sur ma peau, et le contact des poignées du guidon dans mes mains, car je roulais sans gants quand j’étais petit (Freddie a longtemps souffert de séquelles de brûlures au troisième degré consécutiv­es à un accident domestique). détendu, plus je parvenais à prolonger mon entraîneme­nt, plus j’arrivais à ressentir la moto à travers mes mains et mon corps. J’ai appris les mouvements que la moto faisait, j’ai appris à les reconnaîtr­e et à les anticiper… Nous avions 8 000 mètres carrés de terrain, et j’avais à peu près la moitié de cette surface qui m’était réservée pour rouler à moto. Le circuit changeait de temps en temps et tournait autour des arbres. La terre était plutôt dure, de l’argile, mais en Louisiane, le temps changeait parfois très vite, et passait de températur­es très chaudes, avec beaucoup d’humidité, à de la pluie, voire des ouragans ou des tornades et une période de gel durant l’hiver. La Louisiane subit l’influence de l’air chaud venu du Golfe du Mexique et de l’air froid venu du Nord, ce qui explique cette météo un peu extrême. J’ai donc appris à rouler dans toutes les conditions. J’ajouterai que la présence des arbres, des sapins et donc des épines qui en tombaient, m’a aussi appris à mesurer l’adhérence du sol qui évoluait suivant le fait qu’il y avait des épines par terre ou pas. J’ai appris à gérer mon propre Traction Control (sourire) de cette façon. Si je me ratais, je percutais un arbre. Ça m’a appris à être précis. Comme je le dis dans le livre, aujourd’hui encore, en fermant les yeux, je revois ces scènes et je ressens presque physiqueme­nt les différence­s de températur­e entre l’avant du jardin, près de la maison, où il y avait moins d’arbres, et le fond du terrain, où les arbres étaient plus nombreux et où il faisait plus frais... J’ai commencé à 3 ans sur une petite machine bricolée et ma première mini-bike, une 50 cm3, était, disons, comparable à un Honda

Monkey, à peu près vers l’âge de 5 ans. »

Lorsqu’il est arrivé en Grands Prix en 1982, Freddie Spencer était une énigme pour la plupart des observateu­rs. Plus tard, on l’a appelé E.T., un surnom symptomati­que du fait qu’on ne comprenait pas comment il parvenait à accomplir tous ses exploits et notamment ce doublé 250-500 en 1985. Alors on a dit de lui qu’il était doué, un terme commode et passe-partout pour expliquer son parcours. Mais Freddie Spencer, toutes proportion­s gardées, c’était en quelque sorte le Mozart de la vitesse mondiale. Parvenu au sommet de son sport, on oubliait toutes les années qui avaient précédé cette réussite ; ce qui passa par des centaines de milliers de kilomètres parcourus avec son père (jusqu’à 160 000 par an), officiant en tant que chauffeur, mécanicien et manager de son fils. Lequel courait 40 week-ends sur 52... On oubliait toutes ces heures à rouler de l’âge de 4 ans à l’âge de 15 ans, et l’éclosion d’un prodige capable de vous écrire des symphonies sur piste à peine sorti de l’adolescenc­e. « C’est exact. Quand je suis arrivé en Europe, on disait de moi que j’étais quelqu’un de secret, renfermé et inaccessib­le. Mais cela venait du fait que la course moto, c’était toute ma vie. C’était avec la moto que je m’exprimais, pas tant face à des micros mais sur la piste. C’était en m’observant que l’on pouvait me comprendre. En fait, c’est mon sérieux et ma méthode qui désarçonna­ient les gens. Alors ils m’ont mis dans une boîte qui les arrangeait, une manière de trouver une explicatio­n au mystère, une manière, peut-être, de se rassurer (sourire)...

 ??  ?? 1 1 En 1981, pilote officiel Honda en Superbike US, Spencer patiente en attendant que le projet pour les Grands Prix en 500 se concrétise. 2 Un an plus tôt, aux 200 Miles de Daytona (n° 8), il est parti pour devenir le plus jeune vainqueur de l’histoire de cette course légendaire mais doit abandonner sur casse mécanique et laisser la victoire au Français Patrick Pons (n° 303, à droite de Freddie).
1 1 En 1981, pilote officiel Honda en Superbike US, Spencer patiente en attendant que le projet pour les Grands Prix en 500 se concrétise. 2 Un an plus tôt, aux 200 Miles de Daytona (n° 8), il est parti pour devenir le plus jeune vainqueur de l’histoire de cette course légendaire mais doit abandonner sur casse mécanique et laisser la victoire au Français Patrick Pons (n° 303, à droite de Freddie).

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