Moto Revue

Kenny Roberts, modèle et rival

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Freddie Spencer est un teenager à l’époque où Kenny Roberts remporte à deux reprises (en 1973 et en 1974) le championna­t AMA Grand National, qui mixe épreuves de dirt-track sur ovales en terre battue et de vitesse sur circuit. Lorsque Freddie se retrouve pour la première fois en Europe, dans le cadre des courses du Match Transatlan­tique entre les pilotes britanniqu­es et américains, Kenny, déjà double champion du monde 500, est le capitaine du team US. Deux ans plus tard, Spencer débarque à son tour en championna­t du monde et devient un adversaire direct de « King Kenny ». Jusqu’à l’accrochage du GP de Suède en 1983 (photo ci-contre), les relations entre les deux hommes restent empreintes de respect et de cordialité virile (ce qui, concernant Roberts, n’est pas étonnant). En 1982, Roberts va même jusqu’à strapper la cheville de Freddie, victime d’une entorse, juste avant la course du Grand Prix des Nations en Italie, à Misano (où Freddie finit d’ailleurs deuxième et Kenny quatrième)... La saison 1983 va sceller le destin des deux rivaux, qui n’ont pas d’adversaire­s de leur envergure pour perturber leur duel. Au fameux Grand Prix de Suède, sur le circuit d’Anderstorp, le duel s’achève dans la polémique. Trente-cinq ans plus tard, Spencer se souvient des circonstan­ces de cette course comme si elle s’était déroulée la veille. « Jusque-là,je n’ai pas eu la moindre opportunit­é de prendre l’avantage sur Kenny. Il avait bien caché son jeu pendant les essais et en fait,j’ai du mal à le suivre.Mais voilà le dernier tour, puis l’avant-dernier virage...Kenny ferme la porte mais prend beaucoup d’angle,et ressort moins bien que moi.Du coup,nous nous retrouvons côte à côte dans la dernière ligne droite,nous montons les rapports au même moment,c’est l’instant de vérité,car si je gagne cette course, je n’aurai qu’à assurer une seconde place derrière Kenny à Imola le jour de la finale...Je n’ai jamais raconté cette histoire avant de l’écrire dans le livre,tout simplement parce qu’on ne m’aurait pas cru,ou pas compris.Mais à cet instant-là,pour la seule et unique fois de toute ma carrière,alors que nous sommes à 280 km/h,sur une ligne droite légèrement en courbe,avec des bosses,moi à sa droite et donc placé à l’intérieur du dernier virage à venir, instinctiv­ement, je jette un oeil sur sa main droite...au moment précis où il fait mine de freiner en relevant légèrement le buste... mais il ne prend pas le levier de frein et donc moi non plus ! Et bien sûr, nous sommes bien trop vite pour aborder le dernier virage.La dernière chose que je veux,c’est que nous finissions par terretous les deux, mais nous ne pouvons pas éviter de sortir de la piste ; je suis à l’intérieur, et le premier à reprendre le circuit. Après l’arrivée,Kenny me dit : “Je n’arrive pas à croire que tu m’aies fait ça.” Je réponds :“Tu aurais fait exactement la même chose.” Il n’a jamais vraiment accepté sa défaite car il sait que ce moment scellait le sort du championna­t.Notre brouille a duré une trentaine d’années.» Dans le livre, Freddie raconte la suite : « Nous étions invités pour les 50 ans du circuit de Suzuka. Le premier jour,je racontais cette année 1983 devant de nombreux invités au dîner d’anniversai­re, quand j’ai eu terminé,on aurait pu entendre une épingle tomber par terre,et soudain Kenny a crié : “T’as eu de la chance !” Ce à quoi j’ai répliqué : “Parfois il vaut mieux être chanceux que simplement bon.” Tout le monde s’est levé pour nous faire une longue standing ovation.Ça a ouvert une porte. Le lendemain,interrogé sur une scène par un speaker devant 2000 personnes,je voulais qu’il comprenne à quel point ça avait été dur cette année-là.Alors j’ai dit : “Chaque tour bouclé, chaque heure passée sur mes motos depuis mes débuts à l’âge de 5 ans, toutes les années de courses nationales en dirt-track et en vitesse, les combats, les opportunit­és, les efforts psychologi­ques, physiques et émotionnel­s, le talent que j’avais solidifié au fil du temps : il m’a fallu tout ça pour rivaliser avec ce mec.” J’aurais peut-être dû le dire plus tôt.Depuis,les choses vont beaucoup mieux avec Kenny.»

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