Moto Revue

Cristian Gabarrini «JORGE VISE LA PERFECTION»

Chef mécanicien de Jorge Lorenzo depuis son arrivée chez Ducati, Cristian Gabarrini a longtemps travaillé avec Casey Stoner et plus brièvement avec Marc Marquez. Des expérience­s qui rendent son éclairage d’autant plus intéressan­t...

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Deux victoires d’affilée en Italie et en Catalogne après avoir attendu le premier succès durant près d’un an et demi, cela a dû être une sacrée délivrance. Vous avez fait la fête ?

Non, la fête, on la fera en fin de saison si nous avons alors quelque chose à célébrer. L’objectif, pour l’instant, c’est de se maintenir à ce niveau, d’être capable de jouer la première place tous les week-ends et d’augmenter ainsi le nombre de nos victoires.

C’est quand même difficile de croire qu’un simple morceau de plastique ayant modifié la forme du réservoir d’essence de la moto de Jorge ait subitement transformé ce dernier...

Ça n’est pas un simple morceau de plastique qui a permis à Jorge de s’imposer. Cette pièce, c’est la dernière évolution que nous avons reçue et qui nous manquait pour qu’il se sente à cent pour cent et puisse piloter naturellem­ent. Avant cela, il y a eu des mois de travail. C’est la dernière touche que nous attendions. Ce long processus a été compliqué mais aujourd’hui, Jorge est au top.

Qu’est-ce qui a été le plus compliqué : l’adaptation de Jorge à la Ducati ou l’adaptation de la Desmosedic­i à Lorenzo ?

Tout cela ne fait qu’un... Chaque moto ayant son caractère et ses spécificit­és, Jorge a dû faire évoluer son pilotage, il a dû s’adapter. De notre côté, nous avons travaillé pour lui procurer ce dont il avait besoin. Comme la forme de ce réservoir qui lui permet de mieux se caler sur la moto pour l’emmener comme il le veut. Après avoir couru de très nombreuses années sur une Yamaha, il voulait dans un premier temps retrouver une machine capable de passer vite en virage. C’est aussi le point fort de son pilotage, mais pas celui de la Ducati. Il a donc fallu qu’il travaille pour mieux exploiter les qualités de notre moto. C’est comme ça qu’il a fait de gros progrès au freinage. Aujourd’hui, il est l’un des plus performant­s à ce niveaulà. Il a changé d’autres choses pour tirer le meilleur de la Ducati, et le résultat est là. Je dirais qu’il a fini par trouver la bonne recette pour aller vite au guidon de la Desmosedic­i.

On voit effectivem­ent qu’il ne freine plus de la manière. Tu peux nous expliquer ?

Jorge freine à la fois plus tard et plus fort, il utilise mieux l’arrière de la moto pour se ralentir en entrée de virage. Mais il est aussi capable d’adapter sa façon de freiner au circuit et aux conditions.

Comment expliques-tu qu’il lui a fallu autant de temps cette année pour jouer devant alors que sa fin de saison 2017 était plutôt prometteus­e ? On a l’impression qu’il a reculé avant de repartir en avant...

Si on remonte aux premiers tests de l’année à Sepang, c’était lui le plus rapide. C’est en Thaïlande que nous avons effectivem­ent reculé. À partir de là, il nous a fallu un peu de temps pour retrouver notre chemin. Nous avons aussi manqué de réussite à certains moments... Mais ni lui ni nous n’avons baissé les bras, nous avons travaillé pour arriver là où il nous faut être, en position d’essayer de se battre pour la victoire ou le podium à chaque Grand Prix.

Le Mugello comme Montmelo sont deux circuits sur lesquels la Ducati a toujours été à son avantage. Pensestu sincèremen­t que Jorge pourra jouer régulièrem­ent la victoire sur la seconde partie du championna­t ?

Je suis d’accord avec toi par rapport à ces deux circuits, mais il ne faut pas non plus oublier qu’en Italie, la moto de Jorge rendait 10 km/h à celle de Dovizioso. C’est lui qui a fait le job. Bien sûr, il y aura des circuits où ça sera plus compliqué. Mais globalemen­t, je suis convaincu que nous sommes désormais dans le coup.

Lorenzo qui gagne, Dovizioso qui commet des erreurs inhabituel­les... Pas mal de choses ont changé par rapport à l’an dernier. Est-ce que l’ambiance dans l’équipe est différente ?

Non, elle est toujours très bonne. Nous travaillon­s en équipe, nous nous aidons mutuelleme­nt quand il le faut. C’est vrai que Dovi a eu des problèmes, mais c’est un grand pilote et il va remonter la pente. J’en suis convaincu.

Que penses-tu de la décision de Ducati de ne pas reconduire le contrat de Jorge ?

Cela n’est pas de mon ressort...

Lorenzo a la réputation d’être un pilote difficile. Comment décriraist­u ta relation de travail avec lui ?

Difficile, c’est un mot derrière lequel on peut mettre des choses très différente­s. Si on dit que Jorge est difficile, c’est parce que c’est un pilote très exigeant. Il vise la perfection, et c’est quelque chose qu’il s’impose avant tout à lui-même. À partir de là, il est en droit d’exiger des gens qui travaillen­t avec lui d’être parfaits. Ou tout au moins d’avoir la même façon de travailler. Pour le reste, c’est un garçon charmant et très gentil. Nous sommes tous heureux de travailler avec lui et nous regrettons qu’il nous quitte en fin de saison.

Tu as travaillé de longues années avec Stoner, un autre grand champion. Peux-tu les comparer ?

Tout les oppose ! Leur seul point commun, c’est le talent et le fait d’être nés pour piloter des motos. Pour le reste, leurs façons de travailler et d’aborder la course sont diamétrale­ment différente­s.

Mais encore ?

Casey n’a pas du tout besoin de la perfection dont nous parlions juste avant à propos de Jorge. C’est un pilote capable de s’adapter très vite aux conditions qui se proposent, que ce soit celles de la piste, de la moto, des pneus... Jorge a une tout autre approche. C’est un pilote qui construit son week-end pas à pas, il ne met jamais la charrue avant les boeufs. Je ne peux pas dire ce qui est mieux entre les deux, ce sont juste deux façons de parvenir au même résultat. L’histoire a prouvé que chaque méthode pouvait être efficace.

Quand on travaille avec de tels champions, que peut-on apporter en tant que chef mécanicien ?

Mon rôle, c’est de m’adapter à ce que chacun a besoin. L’important, c’est d’être à l’écoute et de faire le maximum. Tu es satisfait quand tu peux vraiment leur apporter ce qu’ils te demandent.

Quelle est la dimension psychologi­que de ton boulot ?

Avec des pilotes d’un tel niveau, tu dois comprendre quand il faut les laisser tranquille­s et quand tu peux les pousser pour obtenir d’eux quelque chose, que ce soit en termes de mise au point, de stratégie de course ou encore de choix pneumatiqu­es. Il faut comprendre quel est le meilleur moyen pour trouver la clef.

Aujourd’hui, avec tous les capteurs dont sont truffées les motos, la parole du pilote est-elle aussi importante ?

Je suis un technicien, mais je considère que le meilleur des sensors (capteurs,ndlr), le plus sensible et le plus complet, c’est le pilote. Les chiffres ne disent pas tout. Il faut savoir rester humble et accepter parfois que le ressenti du pilote ne correspond­e pas aux données. On ne peut pas tout expliquer par la technique, mon rôle est de comprendre ce que les chiffres ne disent pas.

L’an prochain, Lorenzo pilotera une Honda. Tu connais bien cette moto pour l’avoir utilisée avec Stoner, Marquez et Miller. Que penses-tu que Jorge pourra faire à son guidon ? Et comment vois-tu son adaptation à l’univers Honda ?

Une équipe officielle reste une équipe officielle. S’il y a une différence, elle sera plus entre un constructe­ur japonais et un constructe­ur européen. Pour la moto, je ne sais pas. La dernière fois que j’ai travaillé sur une Honda, c’était il y a trois ans. On voit aujourd’hui ce que Marquez en fait. Le HRC a toujours produit des motos qui gagnent. Non, franchemen­t, je ne suis pas inquiet pour Jorge. Je le suis plus pour nous...

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