Vécu ( bis)
MR en immersion au sein du Junior Team
« Junior » : petit nom d’un grand team, managé par Damien Saulnier et articulé autour de dix jeunes du Lycée Polyvalent Le Mans Sud. « Bleubite » : journaliste au sang jaune propulsé pilote officiel sur la belle Suzuki bleue n° 12. Qu’est-ce que tu veux, mon vieux, t’as fait de ton mieux, t’as pas gagné, c’est tout...
Oui, enfin ça va, je n’étais pas non plus le doyen du team, ce week-end-là, le boss ayant bien quatre piges de plus que moi, non mais... Reste que vu la tranche d’âge dans laquelle on évolue lui et moi, c’est plutôt du côté des papas d’élèves que de celui des pilotes qu’on s’attend à nous cataloguer. Sauf qu’on s’en balance avec Damien, parce que rien ne vaut l’expérience, la sagesse et le charme des tempes grisonnantes. Et puis, pour Damien, je ne sais pas mais me concernant, il n’est pas rare que l’on m’adresse un « jeune homme » au détour d’un échange. Ben, ça fait toujours plaisir, même si derrière, cela déborde bien trop souvent comme une vieille et vilaine once d’hypocrisie. Enfin, ça dépend surtout de l’âge de celui ou de celle qui prononce ces mots. Ça, c’est comme pour les remarques caustiques visant directement ma tignasse. Et bam ! Systématiquement, ça me vient d’un de ces bonshommes en proie à d’évidents problèmes capillaires. Dingue ça, non ? En gros, le chauve comme le « presque chauve » souffrant de calvitie naissance, voire insistante, voient en la réincarnation de Rahan comme une concurrence déloyale au sein de la meute. Bon d’accord, Damien, lui, ne grisonne pas autant que moi mais j’ai au moins l’avantage de ma blondeur ainsi que celui de la longueur. Pour ce qui est de la concurrence en FSBK, que les mecs se rassurent... Damien Saulnier, ici, c’est le boss alors pilotes, jeunots du Junior ou « bleubite » de service, on l’écoute. Et une écoute du genre attentif.
« De toute façon, ce n’est pas le tien ce carénage ! »
Le jour où nous avons échangé à propos de cette « wild card » en championnat de France Superbike avec la GSX-R 1000, je me revois dérouler un interminable tapis d’assiduité. « Wild card »... Littéralement, la traduction nous donne « carte sauvage ». Il y a dans cette définition une délicieuse notion de déraison qui me fait beaucoup aimer l’idée. Voilà que le calendrier FSBK 2018 nous emmène jusqu’au quatrième rendez-vous de l’année, à Magny-Cours. Un jaune bleubite de 41 ans en Superbike, est-ce bien raisonnable ? « Ça se tente » , me dis-je et puis je n’ai que trois piges de plus qu’en 2015, année d’une première participation ici même avec la CBR 1000 de Sébastien Gimbert. Évidemment, je n’avais pas rayonné très loin, pas suffisamment en tout cas pour irradier la motivation de mes concurrents du moment. Cette fois, place à la GSX-R 1000 nouvelle génération ! Moi, jaune bleubite propulsé pilote officiel Suzuki Junior Team aux côtés de trois balles de guerre : Louis Rossi (vainqueur du Grand prix de France Moto3 en 2012), Hugo Clere (champion de France Supersport
en 2016) et Alex Sarrabayrouse (vainqueur des Coupes de France Promosport 1000 en 2017 sur GSX-R 1000). Ces trois-là affrontent le FSBK parallèlement au Mondial d’endurance Superstock sur la n° 72. Bien sûr, ils m’ont laminé sur le tracé de Magny-Cours, tandis que je les ai tués dans l’hospitality au concours du plus gros mangeur de gaufres. Le FSBK, c’est deux catégories : Superbike et Superbike Challenger, dont l’âge limite est fixé à 28 ans. Globalement, la préparation des motos est identique, la différence se situant au niveau des allocations pneus par week-end et par pilote : 8 pour le SBK, 6 pour les Challengers. Magny-Cours, je connais bien. Et comme à 41 ans, on est censé déborder de sagesse, j’aborde la joute de manière plutôt décontractée. Je m’dis : « Tu n’as qu’à faire ce que tu sais faire et limiter les risques à seulement quelques centimètres carrés de carénage. De toute façon, ce n’est pas le tien ce carénage ! » En plus de ma carte « sauvage » capable de coller la frousse à n’importe quel pilote permanent du championnat, j’y ajoute un atout redoutable, ma Botte de Nevers à moi : j’ai roulé ici il y a moins d’un mois en KlassGP 250 ! Si je suis chaud ? C’est un euphémisme, pourtant – expérience toujours –, je garde tout ça pour moi, bien malin qu’il est, l’animal. Dommage qu’entre mai et juin de colossaux travaux de réduction des distances aient été réalisés ici... et avec zèle. Là, au guidon de la GSX-R n° 12, le tracé me semble subitement bien plus étriqué, les virages étant drôlement moins espacés les uns des
autres qu’en mai dernier... À mon humble avis, ça n’est pas très fair-play mais il semblerait qu’au final, nous rencontrions tous plus ou moins les mêmes soucis avec ce genre de problème... La vérité, c’est qu’il te faut un sacré paquet de cojones pour emmener vite un outil de plus de 200 chevaux sur piste ! Ah ça, pour s’arsouiller entre journalistes en présentation presse, ça marche. En revanche, pour accrocher ne serait-ce qu’une petite aspi à l’un de ces mabouls du FSBK, ça tient de la folie douce. Soyons francs, j’avais très tôt pigé qu’il fallait réfuter toute marque de respect envers sa propre intégrité physique pour rouler super vite à moto, m’enfin là, les gars, ne serait-ce pas un poil too much ? Mon proto KlassGP à moteur FPE TR250 accrochait un bon 230 km/h chrono dans la remontée vers Adélaïde. Là, enroulé sur la GSX-R du Junior, ça dépasse les 280 km/h. L’oeil peine, démissionnerait bien volontiers mais le truc qui me sert de cerveau lui impose de garder un lien étroit avec ma main droite, celle qui devrait maintenant s’empresser d’empoigner le levier de frein avant qu’il ne soit définitivement trop tard. Dans ce sport « un peu barré » – parce qu’il faut bien admettre qu’il n’y a pas grand-chose de plus « barré » que de chercher sciemment à se propulser aussi virilement et en équilibre sur seulement deux roues (voir trèèèès souvent sur la seule roue arrière) –, il y a de quoi étonner qui ne connaît pas le milieu : en lui expliquant, par exemple, qu’avec de la détermination, tu parviens à progresser doucement dans le plus vite. Ouais, je sais, c’est chaud, on peut paumer des amis avec un tel discours, gaffe. Les résultats du jaune bleubite de 41 ans ? Record du tour perso datant de 2015 battu, passant de 1’46’’205 à 1’45’’821. Ragaillardi par cette brillantissime prestation, la nuit précédant la course, j’ai rêvé de bagarre, de panache et de victoire nette et incontestable, c’était... comme dans un rêve... Puis, dimanche, dans la vraie vie, je suis parti 26e sur la grille de départ (28 partants) et j’ai fini 19e à 1’29’’7 de cet extraterrestre de Kenny Foray, soit à presque un tour après 70,5 km de course. Ben oui, c’est comme ça, mon vieux, qu’est-ce que tu veux, tu as fait de ton mieux, ça s’est pas fait… Mais bon sang, c’que c’était bon de vivre ça !