Moto Revue

Télé dimanche

Quand les anciens pilotes commentent les Grands Prix

- Par Philippe Chanin. Photos PC, Photopress et archives MR.

Ils sont venus, ils sont tous là. Pas vraiment car, avec l’arrivée des beaux jours, certains n’ont pu se soustraire à leurs obligation­s familiales. Aujourd’hui, ils sont treize, prêts à festoyer et à s’enivrer d’images. 13, comme le départemen­t où ils résident et souvent sont nés. Du Castellet à Lédenon, en passant par Karland, ils ont usé leurs culottes sur les gradins brinquebal­ants du début des seventies, avant de tanner leurs cuirs sur les pistes brûlantes du sud de la France... et d’ailleurs. Comme à chaque occasion, leur hôte a préparé une spécialité du pays où le GP se déroule. Pour honorer l’épreuve de Catalogne à quelques jours de l’été, la paella était de rigueur. Pendant que le chien Tino (plus pour Valentino que pour Tino Rossi) fête à sa manière l’arrivée de chaque convive, Christian est déjà aux fourneaux. Jean-Jacques Peyre est le premier. L’ancien pilote inter est un fidèle. Suivent Marc Etchegaray, animateur de la Coupe KawasakiMo­to Revue au temps de Patrick Pons et Patricia Audebert, la « very fast woman » toujours pas résolue à se ranger des motos.

Un absent de marque

On annonce qu’Alex Marquez ne viendra pas. Normal, il est à Barcelone pour... supporter son homonyme et idole. Dommage, car l’ancien

mécano de Raymond Roche n’a pas la langue dans sa poche. C’est un agitateur hors pair. Des effluves de riz safrané pénètrent dans le salon où l’on s’anime autour du grand écran. Michel Graziano entre, aidé par Marc Etchegaray, pile pour le départ des Moto3. L’ex-officiel Suzuki en endurance a subi un grave accident de la route qui n’a en rien entaché sa passion. Pas de Français aux avant-postes, on passe. Les Moto2 s’installent sur la grille. Toujours discret, Jean-Louis Battistini s’est positionné derrière le canapé. Qui penserait, en voyant ce petit homme tranquille, qu’il remporta quatre fois le Bol d’Or ? La tension monte. La pole position de Fabio Quartararo a excité les esprits. C’est à peine si l’on remarque le dévoué Christian Heckel qui apporte des « pan tumaca », ces tranches de pain grillées, enduites de tomate et d’huile d’olive. Le vert est mis. Marquez (le petit frère de l’idole de l’autre) est parti en tête. À ses basques, Quarta ne peut résister au retour d’Oliveira. Ça chauffe ! D’autant que Fabio vient de passer Marquez avant d’avaler, dans la foulée, le même Oliveira. Si Alex (Marquez) était là, il serait comme un fou ! Quartararo gère, Quartararo creuse et Quartararo gagne.

Elle est pas belle, la vie ?

Cette première réveille les souvenirs de Jean-Jacques Peyre, qui, s’il n’a jamais remporté de GP, a couru plusieurs saisons en 250, ancêtre de l’actuelle Moto2. Frissons, Oliveira se fait percuter après la ligne d’arrivée. Olivier Gérin, le juriste du groupe, se lève en criant au moment où Christian sonne le rappel. « Sortez avec vos assiettes, la paella est prête ! » Le plat fait l’unanimité. Pas comme les hamburgers pressentis pour le GP des États-Unis. « Heureuseme­nt, on s’est ravisés ! » Le boss a commandé de gros morceaux de viande du Texas et du maïs qu’il a agrémentés d’une sauce blanche. « Chacun devait venir avec une fourche pour les piquer sur le feu de bois. Il y en a un qui est arrivé sur sa 998, la fourche coincée entre le guidon et le repose-pied ! » Éclats de rires... Sur l’écran déserté, Fabio lève sa coupe, tandis que la Marseillai­se retentit. Naviguant

toujours entre dévotion et passion, Christian Heckel a depuis longtemps troqué sa casquette de concession­naire et de team manager pour la blouse du cuisinier. Avec la piscine en toile de fond, il avance vers les convives sa louche emplie de graminées teints en jaune d’où émergent moules et poulet. On n’est pas bien, là ? « On pourrait être quarante, mais comme je suis fatigué, impossible d’inviter tout le monde. » Autour de l’épaisse table de verre, on s’épanche et on mange comme au banquet de Platon. Et l’on philosophe sur l’amour que l’on porte à Zarco, qui partira de la septième place. « Il y croit, nous aussi, malgré la baisse de régime des dernières courses. » Ses performanc­es de début de saison ont mis le feu au pays. Pour un peu, la maison de Christian brûlait avec ! Aujourd’hui, Johann n’est pas en pole et il manque quelques excités au tableau, ou plus exactement derrière la télé. Espérons que la course sera animée. Jean-Pierre Merlin jubile. C’est l’heure des pronostics. L’enchanteur enchanté qui s’est essayé en championna­t du monde en 1977 sur une Harley-Davidson 250 (comme Christian Rougerie ou Walter Villa) privée, a la passion chevillée au corps. « On retrouve les copains de l’époque et on en profite pour régler les comptes. » Il s’esclaffe. « Marquez va s’en prendre une... » « Et il va emporter Lorenzo » , renchérit Gilbert. Celui qu’on nomme gentiment « mur de viande » fait partie de la légende urbaine, celle de Marseille et de ses environs, où Fred Battistini, le frère de Jean-Louis (ne dites pas qu’il était policier), Antoine Paba, Roger Chevallier, André Magro ou Arimondo et bien d’autres ont gravé dans le marbre leur réputation de pilotes insuivable­s sur route et complèteme­nt frapadingu­es.

Vous avez dit anciens ? « Du coup, c’est pépère qui va gagner ! »

Pas sûr que Valentino appréciera­it l’attention de Paty Audebert. La blondinett­e qui porte plus qu’honorablem­ent ses 63 ans, explique : « Comme moi, il n’arrête pas. » Et il tourne encore la poignée dans le bon sens... Comme Paty, dont l’attaque a sidéré Michel Graziano la veille sur la piste d’Alès. « Elle doublait les hommes par paquet de douze ! » Alors, ces pronostics ? Gilbert et J.J Peyre voient Dovi devant avec Zarco en deux. J.P Merlin Lorenzo et Bruno Barthélémy, fondateur de la société d’outillages Zone Interdite, un podium complété par Zarco et Viñales. On se croirait aux courses (de chevaux). Michel Graziano, qui n’en pince que pour Valentino, est certain qu’il s’imposera devant Petrucci. « Tu te rends compte, son père s’appelle Graziano, comme moi ! » Sans se départir de son flegme, Christian Heckel annonce le trio Dovi-RossiZarco. Attention, la course va commencer.

On se presse pour se faire une place devant l’écran. Voilà, c’est bon. « Lorenzo a retrouvé ses marques. Si personne ne prend sa roue, il va se faire la malle. » Chuuut ! Chacun retient son souffle. On dirait des gamins… à têtes grises ou dégarnies.

Le MotoGP en point d’orgue

Lorenzo est parti en pneus tendres. Juste choix. Comme le craignait J.J Peyre, il s’envole. Marquez se contente de suivre la Ducati à distance, suivi de Rossi qui ne lâche décidément rien. La moto de Rabat prend feu en roulant, Dovizioso part au tapis, Graziano est désabusé. Cette fois, Rossi assure. On a connu plus excitant. Il est vrai qu’en l’absence de Marquez (toujours l’autre), personne ne vient pour les Espagnols. Pourtant, les chronos tombent. « Bon sang, mais s’ils vont plus vite à mesure que les réservoirs se vident, pourquoi on ne les fait pas partir avec les réservoirs vides ? » Graziano reprend du poil de la bête. Zarco, en milieu de paquet, ne reviendra jamais sur les hommes de tête. Déception dans l’assemblée. « Il était peut-être en surrégime en début de saison » , réagit J.J Peyre. À moins que sa chute au GP de France ne l’ait calmé... à moins qu’après l’annonce de son départ chez KTM, sa moto ne soit plus aussi performant­e, à moins, à moins... Et Guintoli navigue en queue de peloton. « C’est normal, tu ne peux pas débarquer en cours d’année sur une moto que tu ne connais pas et être dans le rythme. » Cette fois, personne n’est monté au plafond, ni n’a parié sur le trio victorieux. Jean-Louis Battistini est resté, calé les yeux mi-clos, au fond du canapé et il manquait à Jean-Pierre Merlin un interlocut­eur sérieux pour s’affronter en joutes verbales. Le rouge est mis. On peut sortir les desserts et plus que l’envie de refaire la course, aujourd’hui, ce sont des anecdotes de vie sur les circuits qui remontent à la surface. À propos de Zarco, Christian Heckel tempère. « Lorsqu’il est arrivé en MotoGP, à le voir vivre à travers Laurent Fellon, je pensais qu’il n’allait pas s’en sortir, mais il m’a ébloui. » Christian semble heureux de s’être trompé. « Et je pense que l’opération KTM est osée, mais intelligen­te. Même si le choix de Poncharal a dû être forcé par les circonstan­ces, je crois dur comme fer à son trio avec Zarco et Coulon. » Ce n’est pas l’avis de Jean-Jacques Peyre ! L’argent de Red Bull aurait-il supplanté l’impérieuse nécessité d’une réussite rapide ? Michel Graziano me prend par le bras. « Il faut que je te dise quelque chose. Tu sais, je dois tout à Christian Heckel. Une des premières fois où j’ai roulé au Ricard, un gars m’a fait un intérieur de folie. En s’arrêtant, il m’a demandé si je savais ce qu’était une trajectoir­e. Et il me l’a tracée sur un papier. J’ai passé la nuit suivante à en dessiner. » On peut dire qu’il t’a mis sur la bonne trajectoir­e ! C’est sûr, je reviendrai. Vous n’en saurez peut-être rien, mais je reviendrai vivre entre les pilotes le reste de mon âge. Comme chantait Stromae, rendez-vous au prochain règlement (de comptes).

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 ??  ?? Tous pour un, un pour tous. Qu’ils aient aujourd’hui beaucoup de mal à marcher comme Michel Graziano (qui fixe l’objectif) ou qu’ils (et elle) aient toujours le nez dans la bulle comme Paty Audebert, tous sont unis par le dieu mécanique.
Tous pour un, un pour tous. Qu’ils aient aujourd’hui beaucoup de mal à marcher comme Michel Graziano (qui fixe l’objectif) ou qu’ils (et elle) aient toujours le nez dans la bulle comme Paty Audebert, tous sont unis par le dieu mécanique.
 ??  ?? Associée à Anne-Marie Spitz, Paty sur sa BPS finira seconde du championna­t d’endurance 125 dès sa première saison de compétitio­n. 40 ans déjà.
Associée à Anne-Marie Spitz, Paty sur sa BPS finira seconde du championna­t d’endurance 125 dès sa première saison de compétitio­n. 40 ans déjà.
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 ??  ?? On vient de préférence à moto au rendez-vous des vieux p(il)otes. Fut un temps, certains ne se seraient pas gênés pour arriver avec leur machine de course... par la route, mais les temps ont changé.
On vient de préférence à moto au rendez-vous des vieux p(il)otes. Fut un temps, certains ne se seraient pas gênés pour arriver avec leur machine de course... par la route, mais les temps ont changé.

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