Moto Revue

« Il nous a tous fait rêver… »

C’est la nuit des étoiles filantes. La nuit noire, pétillant dans le très loin, illuminée parfois un peu plus par un morceau extraterre­stre venu s’échouer sur notre planète. Ça paraît quelque part insensé, mais en même temps bien réel. Tu étais cet insens

- Morgan Govignon,pilote

« Le sommeil ne viendra pas. Tu n’es plus là depuis quelques heures, mais c’est déjà trop. Je n’ai pas envie de tomber dans la tristesse, même si j’en suis empli. Cette nuit, j’ai juste besoin de te dire merci. Je n’ai pas fait de bringue avec toi pour être à la hauteur de tes meilleurs potes. Nous ne nous sommes pas assez confié pour être ces Grands Amis. Mais tu as changé toute ma vie. Je me rappelle notre première rencontre, au Bol d’or 2003. J’avais lu un reportage qui parlait d’un “pilote bringueur” au Tourist Trophy, un Français sans moyens qui vivait sa passion, qui avait choisi de vivre ses rêves en dépit de la normalité convenue, juste parce que la vie valait d’être vraiment vécue. Je me rappelle avoir attendu un moment, derrière la tente de ton team, que tu finisses l’apéro, pour te déranger le moins possible... Si j’avais su que ça prendrait si longtemps... Mais j’avais une idée, tu avais des besoins, et le premier était de te rencontrer. Je n’ai pas pu t’épauler comme je le voulais, mais nous étions devenus copains. Des copains un peu bizarres, parce que je n’avais rien à t’apporter, ou si peu. Mais toi, tu m’as tout de même donné. La fierté de te connaître, de pouvoir raconter tes histoires impossible­s, tes plans foireux, tes trucs qui me font pleurer de rire avant même que je n’arrive à la fin. Ta dernière, il y a quinze jours à Chimay, ou sur cette course en Argentine, était bien fameuse… Mais tu m’as offert beaucoup plus que ça. Tu m’as permis de rêver, et de rêver vrai, comme toi. Parce qu’en te voyant galérer, t’acharner, vendre ton pinard sur les courses ou des galettes saucisses en Finlande, tout devenait possible. Une 2 CV comme voiture d’assistance sur le Moto Tour ? Une boîte de vitesses qui fuit sur la camionnett­e ? Rouler avec la JBB en Superstock ? Qu’on dorme dans le même lit ? Monter un team féminin au 24 H du Mans managé par Rocco ? Rien, rien n’était impossible... Alors, à force de te regarder, je me suis mis à y croire. À te voir tellement à l’arrache, je me suis dit que je n’atteindrai­s jamais ton niveau : ni d’arrache, ni de talent, mais que du coup, peut-être que l’équilibre des deux me permettrai­t de faire ce que moi aussi j’aimais. Jamais tu n’as envoyé chier une de mes mille questions. Et comment on fait pour rouler vite, et la course sur route, et la moto, et, et, et… Je suis un amateur parmi tant d’autres, tant pis pour la gloire. Mais ce n’est pas ce que je cherchais. Je voulais être heureux, je voulais être moi. Je ne l’aurais jamais été si tu n’avais pas été ce déclic, ce moteur, ce porteur d’espoir. Je n’aurais jamais eu les couilles d’oser aller au bout si je n’avais pas marché un peu dans tes pas. C’est ce que j’aimerais qu’on retienne de toi. Au-delà des rigolades, des souvenirs, des histoires fantastiqu­es, j’aimerais qu’on se rappelle qu’un jour, un homme a décidé de vivre. Pas pour les autres, pas de la façon qu’attendaien­t les autres, mais de celle dont il avait envie. Qu’en étant ce que nous n’osions pas, il nous a tous fait rêver... Qu’il a été ce morceau extraterre­stre, dans ma nuit d’étoiles statiques, qui a subitement tout rendu compréhens­ible et possible, et qui a émerveillé un monde entier. Qu’au-delà de la joie et des “boujous” (“bonjour”en normand,ndlr) distribués, comme à tous tes copains, tu m’as permis d’être moi. Je te dois tellement, putain... Et je n’ai plus que ce merci, que tu n’entendras pas...»

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