Moto Revue

Aki Ajo « Les bons pilotes apprennent vite »

Depuis près de vingt ans, Aki Ajo forme de jeunes pilotes talentueux avec l’ambition d’en faire des champions du monde. Marquez et Zarco ont décroché leur première étoile avec le team manager finlandais. Aujourd’hui, c’est avec Miguel Oliveira qu’Ajo aime

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Aki, après la très belle fin de saison 2017 d’Oliveira et de Binder, on s’attendait à ce que ton équipe survole le championna­t Moto2. Or, on retrouve Bagnaia à la première place du classement général. Kalex a-t-il refait son retard ?

L’an dernier, nous avons fini la saison sur les chapeaux de roues (six podiums, dont trois victoires en trois GP). Nous étions très forts sur les fins de course. Cette année, on a rapidement constaté en début de saison que nos adversaire­s avaient fait des progrès, mais on a surtout vu que le niveau général de la catégorie s’était resserré. Il y a plus de pilotes performant­s. L’an dernier, celui qui terminait une séance d’essais à cinq ou six dixièmes de la pole se retrouvait six ou septième sur la grille. Cette saison, il est seizième.

C’est ce qui est arrivé à Miguel à plusieurs reprises, et qui lui a certaineme­nt coûté de meilleurs résultats...

Oui, et la compétitiv­ité de la grille nous a obligés à revoir notre stratégie. Normalemen­t, aux essais, on travaille pour préparer la course. Mais comme on ne peut plus se permettre de partir de la sixième ligne, nous devons bien négocier la qualificat­ion. J’insiste là-dessus, mais le niveau du Moto2 est vraiment relevé. On voit d’ailleurs que ceux qui passent en MotoGP sont rapidement dans le coup. Nous devons être plus forts durant la qualificat­ion et pour cela, travailler différemme­nt. Une partie de ce boulot concerne l’aspect mental – pour les pilotes. Côté technicien­s, nous devons progresser sur les réglages avec des pneus neufs et peu d’essence dans le réservoir. Il s’agit aussi de gérer différemme­nt les trois séances libres pour se préparer à la fois pour la course et la qualificat­ion. Nous ne le faisions pas l’an dernier, car se concentrer sur le rythme de course aux essais suffisait pour se retrouver sur la deuxième ligne. À nous de sacrifier aujourd’hui une partie de ce

travail pour ne pas avoir à prendre le départ de la sixième ligne.

Même si Bagnaia est le plus sérieux rival d’Oliveira, les autres ne sont pas très loin derrière. Quelle

stratégie adopter pour le championna­t ?

Les noms de nos adversaire­s importent peu. Nous n’avons qu’une chose à faire : nous concentrer sur notre travail sans nous occuper des autres. Bien évidemment, il faut garder un oeil sur eux afin de fignoler notre stratégie durant le week-end, mais nous n’avons pas d’adversaire­s désignés à l’avance. Nous courons pour faire du mieux possible et progresser, course après course, saison après saison.

L’objectif étant d’offrir le titre à KTM, comment gérez-vous les courses du muret des stands ?

On passe nos consignes en fonction des événements de la course, comme tout le monde. Et nous adaptons notre stratégie en fonction. Si un adversaire chute, nos pilotes doivent en être informés.

Tous les pilotes ne se comportent pas de la même manière quand un adversaire disparaît. Certains pensent au championna­t, d’autres ne jurent que par la victoire. Dans quelle catégorie rangeriez-vous Miguel ?

C’est un pilote qui court pour gagner des courses, mais c’est un garçon intelligen­t qui sait faire la part des choses et qui ne se laisse pas aveugler par l’idée de la victoire. Il ne prend pas de risques inutiles.

Hormis ses victoires en Allemagne et en Aragon, Binder navigue plutôt entre la cinquième et la dixième place. Que lui manque-t-il pour faire mieux ?

En fait, Brad semble abonné à la sixième place : six en dix courses ! On connaît son potentiel et il peut faire beaucoup mieux mais pour cela, il doit progresser en tant que pilote. On essaie de comprendre comment l’aider, peut-être en étant plus constant dans le travail… Brad a trop tendance à se focaliser sur ses résultats, sur sa position. Il doit arriver à se détacher des écrans quand il rentre au garage pour être plus serein dans la constructi­on de son week-end. Il doit arriver à penser sur le long terme et se concentrer sur la façon d’atteindre l’objectif en ayant davantage confiance en lui.

Si tu devais décrire tes deux pilotes Moto2 ?

Ce sont deux vrais pilotes de course, des bagarreurs. Ils ont un côté animal à ce niveau. Brad a toujours été comme ça depuis ses débuts, et ça lui coûte parfois cher car il commet des erreurs. Il doit devenir un peu plus rigoureux en course et travailler de manière plus systématiq­ue aux essais. Miguel, c’est un peu l’inverse. Il est très méthodique, son style est très propre et il commet peu d’erreurs. Il a vraiment progressé dans ce sens au cours de ces dernières saisons. Il a aussi plus d’expérience que Brad, c’est logique qu’il soit plus régulier et plus performant. Brad peut prendre exemple sur Miguel pour progresser.

Et la KTM Moto2, comment la décrirais-tu ?

Dans cette catégorie, il n’y a pas de grosses différence­s entre les machines. C’est aussi pour cela que les courses sont si disputées et si intéressan­tes. D’un autre côté, cela rend cette catégorie très compliquée pour les équipes et les pilotes. Il faut être toujours très bon. Le pilote, la moto, l’équipe : tout doit être en place. Concernant la KTM, je dirais que son point fort reste son rendement en fin de course et qu’il nous faut encore progresser sur le chrono pur.

L’an prochain, avec le moteur Triumph et une électroniq­ue plus aboutie, la catégorie Moto2 va changer. Certains pensent que le pilotage va se rapprocher du MotoGP. Qu’en penses-tu ?

Ce qui est certain, c’est qu’avec un moteur disposant d’un couple plus important, il y a plus de possibilit­és au niveau du pilotage. Si le moteur Triumph permet de freiner tard, de tourner court pour relever la moto au plus vite et accélérer, les pilotes utiliseron­t cette méthode. Attendons de voir les premiers essais avec les nouvelles motos. Comme toujours, chacun essaiera de tirer le meilleur de son package technique.

Tu penses qu’on va repartir de zéro en Moto2 ?

Non, je ne crois pas. Un bon pilote est un bon pilote. C’est généraleme­nt quelqu’un qui utilise son cerveau (sic). Pour gagner, il faut avoir du talent et être intelligen­t. Les bons pilotes apprennent vite, quelle que soit la moto qu’on leur donne.

En parlant de bon pilote, Jorge Martin remplacera l’an prochain Miguel Oliveira dans ton équipe...

Jorge est l’un des plus grands talents parmi les jeunes pilotes du moment. Je suis certain qu’il sera aussi bon en Moto2. Il a déjà roulé avec une 600 et il s’est montré rapide et à l’aise. Il est par ailleurs très motivé. Il lui faudra un peu de temps avant de gagner dans ce qui sera pour lui une nouvelle catégorie, mais on l’a vu par le passé, les bons pilotes Moto3 deviennent de bons pilotes Moto2. Et le fait de passer du moteur Honda au moteur Triumph ne va rien y changer.

De nombreux pilotes sont passés par ton équipe. Parmi eux, un certain Marc Marquez. Était-il le plus doué que tu aies connu ou a-t-il progressé au cours des saisons qui ont fait de lui le champion qu’il est à présent ?

Il est toujours difficile de comparer les talents car ils sont différents. Aujourd’hui, par exemple, Oliveira et Binder sont à mes yeux deux grands talents, mais dans des registres différents. Bien sûr, Marquez est l’un de ceux qui ont marqué ma carrière de team manager. Je me rappelle mon premier meeting avec lui, alors qu’il devait avoir quinze ans... J’avais l’impression de discuter avec quelqu’un de beaucoup plus vieux. Il était mûr et réfléchi, quel que soit le sujet abordé. Pour un Espagnol, il était aussi très calme. Et il l’est peut-être devenu encore plus en travaillan­t dans une équipe finlandais­e. J’espère en tout cas que nous lui avons appris des choses car moi, j’ai appris de lui. J’essaie toujours d’apprendre des pilotes talentueux qui courent chez nous. D’ailleurs, je me sens généraleme­nt un peu plus intelligen­t en fin de saison.

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