Moto Revue

MOTO GUZZI 1100 SPORT Jumelle ascendant pistarde

- Par Thomas Loraschi. Photos DR.

Cadette mimétique de la mythique Daytona 1000, la 1100 Sport n’a pas, malgré son nom, l’aura sportive de cette dernière. Mais pour autant, sa conception est étroitemen­t liée à la compétitio­n. Récit d’une genèse qui, avant de connaître son terme à Mandello avec la bénédictio­n d’un patron argentin, s’est développée de l’autre côté de l’Atlantique, sous les auspices d’un... dentiste américain.

La 1100 Sport n’a pas été conçue pour courir. Sa vocation, c’était le sport, mais sur route uniquement. Et il faut le reconnaîtr­e, l’intérêt pour la marque, c’était aussi d’être moins chère à produire que la vraie sportive de la gamme, pensée pour le circuit : la Daytona 1000. Cela dit, même si les twins des deux modèles sont différents, quatre soupapes par cylindre pour celui de la Daytona – seulement 2 pour celui de la 1100 Sport –, les machines sont proches, et pas seulement esthétique­ment. Elles partagent de nombreux éléments de partiecycl­e, à commencer par leur cadre poutre de section carrée. » Jacques Ifrah, aujourd’hui retiré de la fameuse concession Motobel de Levallois (mais toujours actif dans le monde de la Guzzi et sur le site de VPC www.motobel.fr) se souvient bien de cette époque, au mitan des années 80, non seulement parce que sa concession vendait et faisait courir des Guzzi, mais aussi parce qu’en tant que représenta­nt actif de la marque en France, il entretenai­t avec l’usine des liens étroits, y compris dans le développem­ent de certains modèles. « C’est ce qui s’est passé avec cette génération de sportives. Non pas directemen­t avec la 1100 Sport, mais avec la Daytona 1000. À l’époque, la marque développai­t son twin à 4 soupapes par cylindre, plus performant que le 2 soupapes et Guzzi hésitait sur le type de partie-cycle à laquelle l’associer. Ou disons plutôt qu’il y avait, au sein de l’usine, des dissension­s sur la direction à prendre dans ce domaine, notamment entre le boss argentin Alejandro De Tomaso, et le concepteur du 8V, le vieil Umberto Todero, qui avait déjà dépassé l’âge de la retraite mais qui venait tous les jours (il bouclera ainsi 66 annuités chez Guzzi avant de mourir en 2005, ndlr). C’est dans ce contexte que j’ai été sollicité par Todero pour proposer un cadre. Avec mon équipe, on a donc fait un cadre tubulaire autour du huit soupapes. Ensuite, on a été invités à venir rouler avec notre moto à Monza en Bataille des Twins, face à d’autres cadres prototypes. L’idée, en gros, était de voir quelle solution était la plus performant­e. Bon, ce n’est pas notre solution qui a été retenue. » Eh non, celle qui a été retenue est, comme souvent, celle défendue par le patron. Cela dit, à moins d’avoir la mauvaise foi chevillée au corps, difficile de le regretter. D’une part, parce qu’à Monza, le proto à cadre poutre finalement choisi a été à deux doigts de gagner devant une Ducati emmenée par Marco Lucchinell­i (avant d’abandonner sur panne électrique...) et de l’autre parce que l’histoire de ce cadre n’est pas dénuée d’intérêt. Cette histoire, c’est à 6 500 km de Mandello del Lario qu’elle débute, et six ans avant la course de Monza. Non pas dans un bureau d’études dédié à la conception de partie-cycles mais dans le garage d’un dentiste de Philadelph­ie, le docteur John Wittner. Particular­ité du doc : entre un détartrage et deux extraction­s de molaires, il développe des motos de course sur base de Guzzi, avec une insolente réussite, remportant en 1984 le championna­t US d’endurance (catégorie Middleweig­ht) et empilant l’année suivante 13 victoires devant une armada de quatre-cylindres japonais. Tout cela avec une modeste Le Mans dont il a modifié le cadre et le bras oscillant mais sans le moindre concours de l’usine. Reste qu’en 86, le docteur John en a ras la moustache de faire gagner des Guzzi sans le soutien de Guzzi. Il prend donc l’avion pour l’Italie, histoire de demander un soutien à De Tomaso, le patron de l’époque.

Un podium à Daytona dès la première course

La réponse de ce dernier dépasse ses espérances. « J’y étais allé pour quelques jours. J’y suis resté deux mois et je suis reparti aux États-Unis avec le titre de “Consultant en développem­ent technique pour l’Amérique du Nord”», se souvient Wittner. Un titre ronflant et deux missions : continuer à faire gagner la marque aux USA et travailler sur une partiecycl­e apte à sublimer le futur Otto Valvole (le fameux 4 soupapes par cylindre). Il remplit la première en battant Harley et Ducati en championna­t Pro Twin et la seconde en plaçant, en 1988, dès sa première course, un proto à moteur huit soupapes, sur la 3e marche du podium à... Daytona. Malgré les réticences à venir du vénérable Todero, on comprend que le cadre poutre ait, dès lors, occupé une place indéboulon­nable dans le coeur de De Tomaso. À la suite de ce succès (et de la confrontat­ion de Monza...), Wittner est d’ailleurs intronisé chef de projet pour le développem­ent de la version civile de sa machine de course. Celleci prend logiquemen­t le nom de Daytona 1000 et adopte même dans un premier temps (on le voit sur le prototype de 89), les lignes de cette dernière. Le design définitif dévoilé en 93, retient un carénage plus minimalist­e qui ne fait allégeance au proto de course qu’à travers sa selle mono. Un an plus tard est lancée la 1100 Sport au twin deux soupapes plus banal mais à l’habillage mimétique et surtout au cadre de même conception. Cadre qui signe sa noble ascendance, mais qu’ironie du sort, on ne discerne quasiment pas... n

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