L’embellie de 2018
Le bilan des immatriculations françaises en 2018 vient de tomber, et il se veut très bon. Mais au-delà ? Jean-Luc Mars, le président de la CSIAM moto, nous donne son point de vue.
« On a frôlé la croissance à deux chiffres. On est à + 8,7 %, autant dire presque 10 %. » C’est avec une euphorie non dissimulée que les représentants de la CSIAM (Chambre syndicale de l’automobile et du motocycle) ont présenté, début janvier, le bilan des immatriculations de deuxroues à moteurs et assimilés (tricycles, quads) pour l’année 2018 (238 000 machines). Un très bon bilan donc, qui associe toutes les catégories (à l’exception des cyclomoteurs) et se double, en outre, d’une autre satisfaction : en termes d’immatriculations, la France se classe désormais au premier rang européen devant l’Italie et l’Espagne, et au 20e rang mondial, pas très loin derrière le Japon. Évidemment, le marché hexagonal reste lilliputien en comparaison des deux géants mondiaux que sont la Chine (15 millions de deux-roues vendus en 2018) et l’Inde (22 millions). Les détails de cette année 2018, les raisons de son embellie, nous les aborderons dans le prochain numéro, constructeur par constructeur, segment par segment. En attendant, nous avons recueilli en conférence de presse le point de vue de Jean-Luc Mars (président de la branche moto de la CSIAM et directeur de Triumph France) sur le contexte économique, social mais aussi technologique dans lequel intervient cette embellie. Une mise en perspective intéressante à pas mal d’égards.
Sur l’impact de la crise sociale
« Les immatriculations sont bonnes pour novembre-décembre, mais ça ne veut pas dire grandchose puisqu’on était sur l’élan des mois précédents et notamment du regain de commandes en lien avec le Salon de Paris. Il y a toutefois de quoi être inquiet, notamment si on regarde l’indice de confiance des ménages, qui n’a jamais été aussi bas depuis 2008. Actuellement, nous traversons une période de trouble qui génère des pertes, et je ne parle pas seulement des concessions qui ont été vandalisées. Évidemment, nous préférons que ce soit durant l’hiver plutôt qu’au printemps. Si ça se tasse d’ici fin février, on rattrapera. Mais il ne faudrait pas que ça dure. C’est pour ça qu’on est très prudents sur nos prévisions 2019. »
Sur le passage à Euro 5
« Euro 5 va s’appliquer progressivement de 2020 à 2024 en fonction des catégories de moto. D’après ce que nous disent les ingénieurs, ça va être plutôt moins contraignant que ne l’a été Euro 4 mais ce sera variable d’un constructeur à l’autre. Pour ceux qui ont mis à jour leur technologie récemment, ça va être relativement facile à gérer. Pour ceux qui recourent encore à des moteurs de conception ancienne, ce sera plus compliqué. Mais il ne faut pas conclure, par exemple, que les moteurs refroidis par air sont condamnés. On est heureux en tout cas d’avoir obtenu un délai supplémentaire pour la mise aux normes des machines off-road. »
Sur l’influence du gigantesque marché asiatique
« Les marchés chinois et indien sont énormes et demandeurs de petites et moyennes cylindrées. De son côté, le marché occidental reste tourné vers les grosses cylindrées mais génère beaucoup moins de volumes pour les constructeurs. Est-ce que cela signifie que les grosses cylindrées sont condamnées à disparaître ? Nous ne le pensons pas du tout. Les marchés chinois et indien sont certes tournés vers les petites machines, mais ils montent très vite en cylindrée : quasiment d’une catégorie tous les trois ans. Dans trois ans, il s’y vendra beaucoup de 600 cm3 et ce sont finalement ces marchés qui vont nous rejoindre en termes de produits. En outre, l’Occident continue d’être un modèle pour les consommateurs de ces pays et du coup, le marché occidental reste un marché vitrine. Ce qui signifie que des investissements vont continuer à être faits sur les modèles haut de gamme que nous aimons, y compris sur ceux à faible volume, non pas pour les bénéfices qu’ils pourraient générer en Occident, mais pour l’aura qu’ils dégagent sur des marchés pesant plus lourd. Dernière chose, à propos des stratégies produit. Jusqu’à il y a encore peu, il y avait trois régions commerciales : l’Europe, les USA, l’Asie. Et il y avait quasiment une gamme par région. Beaucoup de motos étaient spécifiques car les volumes de ventes de chaque région le justifiaient. Dans cinq ans, la grande majorité des constructeurs aura des products plannings mondiaux. Une indication : les prochaines normes de dépollution en Inde seront très proches d’Euro 5. La dynamique des marchés nous amène sur des modèles globaux. L’avantage, c’est que ça va pouvoir faire baisser les coûts de fabrication des motos et, on peut l’espérer pour les consommateurs, les tarifs. »
Sur la fin du moteur thermique
« On a encore 10 ans de sérénité à la louche sur le moteur à combustion interne mais en revanche, on n’a pas encore clairement défini quelle stratégie adopter pour l’après. On explore différents scénarios mais entre le super vélo électrique qui serait l’équivalent de la 125 des années 70 et la grosse cylindrée, il y a en gros vingt scénarios possibles et on ne sait pas lequel va prendre l’ascendant, avec quelle vitesse et quelle technologie. On a une fenêtre d’une dizaine d’années
pour explorer les choses et voir à quelle vitesse on va pouvoir obtenir une neutralité économique. Car pour l’instant, l’électrique est pour les industriels un gouffre financier. Aujourd’hui, il ne faut pas se voiler la face, ce n’est pas viable. Les dix prochaines années vont être très denses en termes de recherche et de développement. Je pense que le VAE (vélo à assistance électrique) va rapidement évoluer vers quelque chose de plus sophistiqué, qui sera assimilable à une petite moto : ça, c’est notre culture, notre savoir-faire et on ira dans cette direction. Dix ans, ça peut paraître court, mais pour nous, c’est un temps long et nous sommes raisonnablement confiants dans notre capacité à assurer cette transition technologique et à trouver un marché tangible, entre maintenant et 2035, date probable de la fin technologique du moteur à combustion interne. »