KTM 1290 Super Duke R
Roadster extrémiste, la Super Duke en version R monte en puissance, met le paquet sur l’électronique et s’affranchit des codes en vigueur pour affirmer ses velléités de pistarde
Si vous deviez définir en deux mots les attributs d’une moto sportive, lesquels choisiriez-vous ? Carénage et bracelets. Oui, mais ça, c’était avant que KTM ne bouscule les codes avec sa Super Duke. Arborant grand guidon et dénuement total, la balle de Mattighofen affirme ses velléités pistardes. Pour 2020, elle monte encore en puissance et s’allège en mettant le paquet sur l’électronique.
Si vous espériez une révolution esthétique, c’est raté. Pourtant, à y regarder de près, tout ou presque change sur cette Super Duke, qui s’appuie sur un cadre en gros tubes treillis plus simple mais annoncé comme trois fois plus rigide. Signe de l’évolution des genres, la boucle arrière en composite aluminium-carbone fera grincer des dents les puristes. Serait-ce, chez KTM, le premier pas vers une future génération de cadres à la pointe de la « modernité » ? Wait and see, on n’en saura pas plus... L’actuel, associé à un sculptural monobras en alu, se vante d’un gain de précision notable. Pour cette unique et élitiste version R, l’équipement a évolué avec des suspensions WP haut de gamme Apex, des jantes plus légères et de nouveaux étriers Brembo monoblocs Stylema détournés des hypersportives. Afin de parer à tout débordement, le constructeur autrichien avait déjà doté « the Beast » (« la Bête », c’est ainsi qu’il la nomme) du Traction Control et d’un ABS agissant en fonction de l’inclinaison, ainsi que d’un antiwheeling et de trois modes de conduite. Pour les superviser, un doigt sur le commodo suffit. Le contrôle de visu passe par un grand un écran TFT couleur 5 pouces parfaitement lisible. La maîtrise est totale ! Évidemment, tant de technologies se paient, puisqu’à 18 199 € le morceau, le tarif bondit de 1 200 €, tout en restant largement inférieur à ceux des monstres de la catégorie (seule la Yamaha MT-10 SP est moins chère et l’Aprilia Tuono V4 affiche un prix avoisinant). Le moteur, on y revient, est désormais porteur au sein d’un cadre ouvert. Inchangé à 1301 cm3, il a subi une cure d’amaigrissement : en plus de carters allégés (- 0,8 kg) et de soupapes d’admission titane, son taux de compression grimpe et son mode d’injection est peaufiné pour un meilleur rendement. La boîte à air, qui s’alimente via une ouverture fendant en deux un phare aux allures de coléoptère, voit son volume augmenté (Ă 2,8 litres) au détriment de la contenance du réservoir (de 18 à 16 litres). Mais assez parlé technique, la bête piaffe d’impatience.
Position dépliée
Transpondeur en poche (la clé, c’est désuet), nous attaquons l’autoroute, passage obligé avant de poursuivre notre prise en main sur
les serpentins assez bien revêtus du grand sud portugais. On trouve vite sa place, sur cette Super Duke. Sympa, le réservoir n’écarte toujours pas les jambes. La position modulable qui permet d’ajuster l’éloignement du guidon sur 21 mm (en quatre positions) et celle des commandes aux pieds est parfaitement réglée sur mon 1,75 mètre assorti d’un 43 fillette. Le guidon (très) large et droit selon la tendance, tire rapidement sur les bras en l’absence de protection.
Ce n’est pas l’optique, vantée pour son coefficient aérodynamique, qui y fera grand-chose ! Il y a de quoi s’amuser à bord de la Super Duke pour celui qui découvre les multiples fonctions de l’électronique high-tech. Pour l’instant, ce sera le mode Street, qui libère la pleine puissance avec une relative douceur (le mode Rain la ramène à 130 chevaux) et qui gère l’antiwheeling.
Une main de fer dans un gant de velours
Les accélérations musclées, extrêmement musclées même, privilégient l’efficacité à la démonstration. Peaufiné dans cette ultime version, le moteur est plein comme un oeuf, explosif comme une grenade, linéaire au meilleur sens du terme. Sa boîte, de souvenir trop rêche, se montre désormais parfaite et le Shifter « up & down » (down en option) s’impose pour libérer l’esprit. Il nous a rarement été donné de tutoyer les 10 500 tr/min, tellement le maxi-twin est coupleux, quel que soit son régime. Toujours plus disponible, il s’accorde à une nouvelle partie-cycle extrêmement rigoureuse, mais aussi plus
nerveuse sur route. Très neutre par le passé, la Super Duke se montre parfois remuante. Elle génère de petits mouvements latéraux dans les enchaînements rapides sans qu’on puisse en définir clairement la cause : rigidité accrue, réglages de suspensions trop fermes pour les petites inégalités, aérodynamique du pilote assis haut (selle à 835 mm) avec les bras en croix ou particularité de ce nouveau cadre ? Il faudrait creuser l’affaire en prenant plus de temps. Toutefois, rien de dramatique car la bête est féline, jamais rétive. Pour tout vous dire, elle appelle à l’attaque avec peu de retenue une fois posée sur sa trajectoire, qu’elle gagne du regard. Le jeu est presque trop aisé tellement le dresseur profite des garde-fous que sont les assistances. Il dirige à la baguette un moteur-catapulte s’exprimant dès le plus bas régime et libérant aux alentours de 7 000 tr/min jusqu’à 14,3 mkg de couple. Le freinage dantesque allie progressivité et extrême puissance sans jamais malmener la partie-cycle, ni les pneus Bridgestone S22, parfaits dans leur rôle routier. Un frisson de pur plaisir passe...
Pas sûr qu’il soit partagé par la passagère, qui, si elle n’a pas les jambes trop repliées,
est toujours perchée sur un pouf éjectable sans même une poignée pour se retenir.
L’arme promise
Connaissez-vous le circuit de Portimao ? Tout en dénivelés, truffé de courbes aveugles et de longues accélérations, il vous aspire sur votre monture comme un grand huit son chapelet de wagonnets. C’est là que nous retrouvons Super Duke pour l’épreuve de vérité. À vrai dire, on se demande au départ pourquoi vanter les mérites d’une moto dénudée sur piste. Malgré tout, nous tentons d’apprivoiser le tracé portugais et « the Beast », dont le mode Track a été sélectionné par le staff technique pour des aides restreintes, mais toujours présentes (antiwheeling, antipatinage). Là encore, sa précision et sa poigne font mouche. Les suspensions réglées en conséquence contiennent l’effet bascule que laissaient craindre leurs débattements élevés. Légère et plus alerte que par le passé, la moto se pilote à l’instinct en inscrivant au menu un caractère incisif parfaitement relayé par des S22 toujours aussi à l’aise. On ne se sent pas coincé contre le réservoir et il est facile de se mouvoir sur la selle en jouant des bras pour charger l’avant à l’accélération. Au même titre que le freinage, le nouveau cadre est d’une grande efficacité sur piste, où les mouvements ressentis sur la route ne sont plus de mise. Mais sans protection, l’exercice fatigue. Ce satané brouilleur qui pulse sans relâche va volontiers tutoyer la zone rouge sur les intermédiaires. Et malgré une démultiplication longue, il accroche ici 260 km/h sans la moindre pitié. On en viendrait à rêver d’une grande soeur pour la RC 390, une Super Duke RC 1290 carénée et de demi-guidons pour dévoiler son plein potentiel ; des transformations à moindres frais qui combleraient les survivants d’une époque révolue sous la forme d’une grande sportive animée par un twin moderne. Mais comme je l’annonçais en introduction, ça, c’était avant. Rien n’interdit de rêver...