114 Stages
La G/S en off-road : un truc de cador,voire de maso ? Négatif, répond Béhème, qui vient d’ouvrir son premier «Enduro Park» en France, afin de permettre aux non initiés de découvrir ce que les motos de la gamme ont dans le ventre, y compris lorsqu’un bleu-bite en TT est à la manoeuvre. Vu mon niveau pathétique en enduro, c’est évidemment moi que le rédac’ chef a envoyé pour tester la chose...
C’est un moment que j’ai appris à redouter depuis dix ans que je suis à MR. Celui où Trac me convoque dans son bureau, pour me proposer un soi-disant cadeau. Dans ce cas-là, si je le vois reculé dans son siège, avec ce sourire pincé et ce regard en biais qui lui donnent un faux air de Stallone mâtiné de Jean Lefebvre, je me méfie. Car en général, c’est pour me proposer un truc où j’ai de bonnes chances de m’en coller une. Un truc qui commence par « off » et finit par « road », environnement où je fais preuve d’autant d’aisance qu’une tortue renversée sur sa carapace. Et cette fois encore, ça ne loupe pas : « Rocco, j’ai un super plan pour toi : tu vas aller faire de la G/S dans le Sud : à l’Enduro Park que vient d’ouvrir BMW. Il paraît que c’est marrant, tu me diras ce que t’en penses. » La G/S : un minimum de 245 kg pour la 850 ; 20 de plus pour la grosse équipée du flat-twin. L’enduro : une discipline où je passe mon temps à relever la moto. Je sens que je vais adorer. Traccan se marre : sadique. 15 jours plus tard, me voilà en approche de l’épicentre probable de mes prochaines chutes. Du côté de Narbonne. « Domaine Château Lastours » que ça s’appelle. Un nom de pinard ? Pas faux. Sur les 900 hectares de la propriété, on cultive effectivement la vigne. Pas faux mais pas que. En plus, le domaine compte une centaine de kilomètres de piste dédiés aux sports mécaniques.
Un lieu où des pilotes deux et quatre roues viennent s’entraîner, où des constructeurs développent des protos de rallye-raid, où Béhème a organisé certaines éditions de son G/S Trophy et où, depuis mars, s’élève le premier Enduro Park français de la marque allemande : une structure de découverte et d’apprentissage de l’off-road en trail bavarois. Une douzaine : c’est le nombre que nous sommes à goûter à la « Box Experience Enduro Park » : une formule découverte proposée sur un ou deux jours (deux dans notre cas).
Une douzaine de lascars, dont une grande majorité de quasi puceaux en TT. En face de nous, une quinzaine de trails, des 850 et des 1250, équipés comme pour traverser l’Amérique centrale : TKC 80 à grosses tétines autour des jantes, protections tubulaires autour de quasiment tout le reste et surtout, électronique calée sur le mode Enduro. Et entre nous et les machines, deux instructeurs chargés de faire en sorte que la cohabitation soit fructueuse et de préférence non douloureuse. Deux instructeurs ou plutôt deux troncs d’arbre. Un bon mètre 90 chacun et au minimum autant de kilos sur la balance. À côté d’eux, les motos font petites. Mais ce n’est pas pour leur gabarit de bûcheron qu’ils ont été sélectionnés. Ces deux gars, Tom et Jean-Luc, sont en fait d’anciens participants du G/S Trophy, qu’ils ont terminé tous deux sur le podium
(Tom, vainqueur de l’édition française, deuxième à l’international ; Jean-Luc, deuxième en
France, troisième à l’international). Des gars qui ont largement démontré qu’une G/S peut faire bien d’autres choses que de l’autoroute et descendre occasionnellement un trottoir.
Des gars qui savent de quoi ils parlent. Des gars qu’il va falloir écouter. Heureusement, les deux troncs ne sont pas du genre à nous mettre la pression. Ils nous demandent même d’emblée d’en enlever. 1 bar 9 devant et derrière sur les 850 Adventure, 1 bar 8 sur les 1250 Rally. Ce n’est pas si bas mais avec le sol très minéral du domaine, c’est ce qu’il faut pour ne pas crever. La caillasse, cela dit, ce n’est pas tout de suite qu’on y goûte. Avant le plat de résistance, il y a les hors-d’oeuvre : les ateliers techniques. Objectif : non pas s’ouvrir l’appétit, mais plutôt comprendre qu’il va être vital de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Le début du premier exercice me met en terrain connu : il faut faire chuter la moto. Facile : j’ai 15 ans de pratique. La suite ne m’est pas étrangère non plus, mais beaucoup moins sympa :
il faut la relever, sans se bousiller les vertèbres. Accroupi, dos à la moto, sphincters verrouillés à 110 %, je pousse cette enclume de 850 Adventure et dans un effort digne d’un haltérophile bulgare en finale des JO de Moscou, je la remets d’aplomb. « Si vous savez faire ça, vous en savez déjà beaucoup », commente avec commisération Jean-Luc. Tu parles ! Les ateliers suivants me démontrent qu’il vient gentiment de me caresser dans le sens du poil. Slalom entre une série de cônes alignés : Jean-Luc enquille comme s’il allait acheter le pain. Mes camarades de stage et moi, on y arrive, mais déjà en sortant les avirons. Slalom entre des cônes placés aléatoirement : J-C fait tourner sa G/S comme s’il s’agissait d’une 125 DTMX. De mon côté, j’envoie des trajectoires à la Gilbert Montagné et je finis à l’autre bout du pré. Passage d’une fausse ornière de 20 mètres, entre des rondins de bois : en bon pédagogue, Jean-Luc nous explique comment rester sur nos roues, en même temps qu’il réussit l’exercice haut la main. Nous, nous nous bourrons tous allègrement en étant pourtant certains d’avoir tout compris de l’explication. C’est toujours pareil : en théorie, c’est facile. Sauf qu’ici et maintenant, on n’est pas en théorie. « Mais même si vous échouez, vous progressez », nous assure J-C., notre sauveur. Vu qu’on n’a pas trop le choix, on décide de le croire juste avant de passer à l’exercice qui se rapproche le plus d’une sortie enduro : une boucle dans un beau pierrier, avec des pentes à près de 20 %.
« Vous faites porter le regard loin, vous gardez de la vitesse, vous laissez vivre la moto sans vous crisper et vous allez voir, ça passe. » Et effectivement, avec nos enclumes bavaroises, ça passe sans un pli pour nous tous : à la confiance et au moteur. Dans la montée, fièrement redressé sur les repose-pieds crantés de ma 850 Adventure, je me dis même que Traccan nous a bien survendu le truc avec son Dakar en Amérique du Sud et que le tout-terrain, c’est pas si compliqué. Enfin, je me le dis... jusqu’à la descente. En fait, jusqu’au moment où je constate que je n’ai pas dû tout retenir des explications du coach. L’allure pour l’aborder ce pierrier qui plonge à pic, c’était quoi déjà ? Vite ou lentement ? Instinctivement, j’ai choisi vite. Et visiblement, ce n’est pas la bonne option. Lancé dans une pente qui me semble être celle du Super Géant de Sölden, je sens la Béhème partir en glisse de tous les côtés et filer tout droit vers des ornières maousses où me semble inscrite en lettres de sang la sentence
« Game Over ». La première arrive : je décolle avec ma monture, et à ma grande surprise, je retombe sur mes roues. La deuxième arrive : je redécolle, mais plus vite et contre toute attente, je retombe encore sur mes roues, mais sans parvenir à ralentir. La troisième arrive, vraiment vite, et là, je redécolle vraiment haut, au moment où résonne en moi cette rengaine entonnée par Goldman dans les années 80 :
« Envole-moi, envole-moi, envole-moiiii... »
Et c’est ce que je fais avant de m’éclater piteusement dans un talus. Heureusement, je n’ai rien, et la moto non plus. « Si tu y étais allé plus lentement, en gérant aux freins et en acceptant de faire un tout petit peu glisser la moto, ça passait sans problème »,
m’explique doctement J-C. « Mais tu verras demain, pour la balade, ça ira. »
À la confiance et au moteur
Le lendemain matin, je retrouve, sans rancune, ma 850 Adventure. Elle est toujours aussi haute, les chemins que nous empruntons me semblent toujours aussi casse-gueule. Mais la bavaroise me gratifie pour la confiance que je place en elle et me fait passer partout, pardonnant à grand renfort d’électronique les approximations de mon pilotage. Tant et si bien qu’après une heure de sortie, je décide de permuter avec un collègue de virée, et de passer sur la 1250 Rally. Bien m’en prend : la grande soeur, pourtant plus lourde, me met plus à l’aise. Un poil plus compacte du fait d’un réservoir moins ventru, elle me semble surtout plus équilibrée (probablement l’architecture du flat) et plus facile à gérer à la poignée de gaz (là encore, avantage du flat, qui accepte de descendre hyper bas dans les tours sans caler, ce qui est moins le cas du twin parallèle de la 850). Sa gestion de l’ABS en mode Enduro est étonnante.
Il y a juste le considérable couple moteur qu’il faut garder en tête au moment de négocier une épingle sous peine d’outrepasser les limites d’intervention du contrôle de traction, de perdre l’arrière et d’avoir à relever la moto, ce qui reste excessivement fastidieux avec un tel mastodonte. Pour cette raison, je ne me verrais pas tenter une sortie en tête-à-tête avec l’engin. En groupe, avec l’entraide érigée en principe, c’est différent et beaucoup moins inhibant. À peine plus expérimentés que la veille, nous nous surprenons à avancer à un rythme pas ridicule et à ne finalement pas trop nous en coller. Sur les pistes roulantes, à la faveur d’un petit 80 km/h qui me fait le même effet que si j’étais à 160 sur le bitume, j’ai même l’impression d’avoir franchi un pas de géant en pilotage et d’être au seuil du club très sélect des crosseux. Mais bon, en fin de journée, une dernière descente, moins pentue que la veille, mais longue et sinueuse, me fait comprendre que ma carte de membre est très loin d’être tamponnée. Comme la veille, j’arrive vite, et je pars en glisse dans tous les sens, manquant de m’en mettre une à chaque virage et ne parvenant à rester sur mes roues que par la grâce d’une intervention probablement divine. Et mes progrès, alors ? Une simple illusion ? L’explication de Tom et Jean-Luc est moins cruelle : toute la journée, ils nous ont fait faire de la piste verte mais à deux kilomètres de la fin, ils nous ont mis sur de l’orange. Sachant que le domaine de l’Enduro Park propose aussi des pistes rouges et noires, ça donne une petite idée du potentiel de progression qu’il réserve à ses stagiaires. Un potentiel qu’il me faudrait, vu ma marge de progression, probablement une à deux vies pour épuiser.