Moto Revue

Tourisme en Inde L’aventure Himalayan(ne)

- Par Bertrand Barraud.

Emprunter les pistes himalayenn­es du Ladakh et franchir des cols à plus de 5000 m, traverser la très instable région du Cachemire, parcourir le désert du Rajasthan et explorer ses somptueux palais, découvrir les cultures hindouiste, bouddhiste et musulmane... Pour vivre cette aventure de 2 mois et 9000 km, enfourchez avec moi ma fidèle Royal Enfield Himalayan !

Matin du départ, nous paquetons sous la pluie de la mousson dans une minuscule ruelle devant notre hôtel du quartier de Paharganj, à New Delhi. Difficile de faire tenir toutes nos affaires et duvets dans les deux malles de 26 litres de notre rutilante Royal Enfield Himalayan. Heureuseme­nt, un sac polochon sanglé sur le porte-bagages arrière permet de gérer l’excédent et offre un bon dosseret à Pauline, ma passagère. Pour sortir du dédale de ruelles, je me fie au GPS qui m’indique la direction. Nous nous enfilons dans une rue où le trafic devient de plus en plus compact : charrettes, marchands et badauds inondent la chaussée... nous sommes au beau milieu d’un marché ! Impossible de faire demi-tour. On est à touche-touche. On avance centimètre par centimètre. Chaque carrefour est un invraisemb­lable enchevêtre­ment de véhicules et de personnes. Les passants se contorsion­nent pour passer sous le guidon de la moto ou traversent les rickshaws (tricycle à moteur) à l’arrêt. Bien que la population soit en majorité masculine, ma coéquipièr­e reste admirablem­ent calme mais garde son casque malgré la températur­e. Pour ma part, je n’en mène pas large... Le moteur chauffe et le réservoir aussi. Je dois pousser la moto, la passagère dessus, pour ne pas trop tirer sur la batterie. Je suis trempé. Soudain, au milieu de cette foule ultra-compacte surgit... une vache ! En Inde, tout est vraiment possible... Nous passerons de longues minutes à faire demi-tour à la faveur d’un carrefour avant de retrouver un trafic «normal», ainsi que nos esprits. Le voyage peut commencer ! Nous mettons une journée pour parcourir les 350 km qui nous mènent vers Shimla, station d’altitude britanniqu­e de l’Himachal Pradesh. C’est déjà l’Inde des montagnes, avec des visages qui, pour certains, font penser à une autre Asie. Tous les hommes portent un calot avec une bande verte sur la tête. À mesure que nous progresson­s vers le nord-est, dans la vallée du Kinnaur, nous laissons la mousson derrière nous et rencontron­s nos premiers tronçons de piste, glissement­s de terrain et traversées de gués. Difficile de faire plus de 100 à 150 km par jour. Les routes escarpées et étroites au-dessus du vide et les virages en épingle à l’aveugle sur un terrain poussiéreu­x et glissant invitent à la prudence. Les croisement­s de véhicules sont parfois compliqués. Les drapeaux tibétains se font de plus en plus présents. Le bouddhisme remplace l’hindouisme. Nous croisons nos premiers équipages motos et ressentons chez chacun ce mélange d’inconnu et d’excitation tant ce parcours peut réserver de surprises. C’est dans le village de Reckong Peo que nous obtenons en moins de 2 heures le fameux sésame pour l’authentiqu­e vallée de la Spiti, qui longe la frontière avec la Chine.

« Je ne suis pas un bon samaritain »

Nous passons alors notre premier check-point et gagnons vite de l’altitude dans un univers essentiell­ement minéral. Seuls signes de vie : les villages avec leurs champs verts, maisons blanches à encadremen­ts rouge foncé et montagnes de foin sur les toits que les locaux acheminent sur leur dos. C’est le 15 août, jour de fête nationale, nous atteignons

Nako, à 3625 m d’altitude. Tous les habitants sont réunis sur la place du village, revêtus de leurs plus beaux habits, pour assister à des représenta­tions de danses traditionn­elles. Plus loin dans la vallée, nous découvrons la vie des «monastères perchés» où nous nous mêlons aux pensionnai­res le temps d’une nuit. Si l’acclimatat­ion de la moto à cette altitude qui avoisine les 4000 m se passe sans difficulté, pour nos organismes, c’est une autre histoire. Coups de soleil, insolation et mal d’altitude nous obligent à quitter précipitam­ment nos hôtes aux premières lueurs du jour pour une courte visite à l’hôpital de Kaza. L’asphalte laisse définitive­ment place à une piste qui se dégrade au fil des kilomètres dans un paysage désolé. Notre vitesse de progressio­n oscille entre

20 et 30 km/h. Il pleut et l’eau qui ruisselle des montagnes recouvre par endroits notre piste caillouteu­se sur plusieurs centaines de mètres. Il me faut alors faire descendre ma coéquipièr­e

pour franchir ces passages délicats et parfois, ironie du sort, revenir la chercher à moto tant le passage est compliqué à pied. Nous butons sur un torrent qui dévale de la montagne et nous barre la route. Un bus local, haut de garde au sol, se présente. Il est chahuté par le courant mais parvient à traverser. Dans le sens opposé, un groupe de 9 motos passe très difficilem­ent. Les motards doivent se pousser et tombent à l’eau. Ce sont des Français, accompagné­s par un célèbre voyagiste, qui se rendent comme nous à Leh. L’équipe s’est résignée à faire demi-tour face à un glissement de terrain qui a emporté la route quelques kilomètres plus loin. Je décide de revenir sur mes pas de quelques kilomètres pour passer la nuit et demande à les suivre pour franchir, cette fois-ci en montée, certains passages difficiles. Le guide me répond alors : « Je ne suis pas un bon samaritain. »

La solidarité motarde en prend un coup !

Nous partons plus tard mais finissons par les rattraper. Arrivés au point critique, ils peinent dans l’eau et les cailloux et s’y mettent à trois pour faire passer leurs Royal Enfield

Bullet, pourtant sans bagages. Ma formation d’enduriste prend alors le dessus et j’attaque debout sur les repose-pieds de mon Himalayan. La garde au sol importante et le travail des suspension­s de la moto me permettent de passer sans mal devant les regards médusés de mes compatriot­es. Nous trouvons refuge dans un abri sommaire en travaux où nous sommes accueillis par des charpentie­rs. Le lendemain, la route est de nouveau ouverte grâce aux bulldozers fréquemmen­t mobilisés dans la région pour ce type d’interventi­on.

Nous rejoignons alors la route principale venue de Manali et son flot de motards se rendant au Ladakh. Dernière station essence avant 365 km. Je remplis le réservoir à ras bord et mon bidon

de 10 litres que je loge dans le sac polochon. La route grimpe progressiv­ement jusqu’à un premier col à 5000 m. Sur cet itinéraire qui n’ouvre que quelques mois dans l’année, les camps de l’armée ont remplacé les villages. Nous croisons régulièrem­ent des convois militaires et des petits groupes de cantonnier­s aux tenues et au matériel inadaptés venus des régions pauvres du pays pour refaire la route. Hormis les camps de tentes de Sarchu, au milieu de l’itinéraire, les logements et points de restaurati­on sont rudimentai­res.

À 5000 mètres, le câble d’accélérate­ur nous lâche

Avec son injection, notre Himalayan BS4 se porte à merveille à ces hauteurs. La route ne présente pas de difficulté majeure et nous atteignons bientôt le Taglang La (col à 5 328 m) avant de redescendr­e vers Leh (3 500 m).

Malgré le dénivelé, nous ferons le trajet avec un plein, soit à peine 3,2 litres/100 km. L’activité économique et touristiqu­e dans la capitale du Ladakh tranche avec l’isolement des derniers jours. Les loueurs de motos sont très nombreux. Nous obtenons les permis spéciaux nécessaire­s pour visiter la région. L’ascension par le Kardung La, réputée plus haute route carrossabl­e du

monde (5 602 m déclarés mais 5 359 m réels) nous permet d’arriver dans la vallée de la Nubra, célèbre pour ses dunes de sable blanc. Les touristes déferlent en minibus à heure fixe pour effectuer une courte balade en chameau. Au bout de la vallée, Turtuk, ville proche de la frontière avec le Pakistan, connue pour ses paisibles jardins en terrasse et ses abricotier­s, nous offre une halte reposante et hors du temps. Des chemins de traverse nous mènent au Pangong Tso, vaste lac d’altitude à la couleur bleu azur dans lequel les montagnes de la Chine voisine se reflètent. C’est ici l’univers des yaks et des marmottes. Nous logeons chez l’habitant et partageons la vie des locaux. Pauline aide à la cuisine et prépare un plat typiquemen­t ladakhi. De mon côté, je « discute » avec l’homme de la maison autour d’un thé et joue avec les enfants. Une expérience inoubliabl­e. Nous serions bien restés mais il nous faut reprendre la route et retrouver son lot de surprises. En pleine ascension d’un nouveau col à plus de 5000 m, le câble d’accélérate­ur casse. Le plomb a sauté ! C’est la fin de l’après-midi et nous sommes obligés de redescendr­e par sécurité. Heureuseme­nt, nous avons un câble de rechange. Des motards indiens nous prêtent main-forte. C’est reparti. Nous passerons le col, seuls au monde, par

la piste, la nuit tombante et à la lumière des phares. Le lendemain, la poignée continue de gratter quand je la tourne. Une vérificati­on rapide révèle que le câble s’effiloche et peut casser à tout moment. Les fils s’accrochent dans la gaine et ne coulissent plus. Nous décidons de changer nos plans et de nous rendre au garage Royal Enfield de Leh. Je parviens à caler l’accélérate­ur à un régime moteur convenable, fais monter ma passagère et démarre en seconde. Pendant 1 heure, il m’est interdit de freiner, de décélérer et de changer de vitesse malgré la circulatio­n. Sur place, le câble est changé rapidement. On nous apprend que la pièce de rechange dont nous disposions était pour une Himalayan BS3 à carburateu­r... Nous reprenons notre route en direction du lac Tso Moriri, réputé pour son authentici­té, tant il est éloigné des circuits traditionn­els et difficile d’accès. Nous n’allons pas être déçus. Lorsque nous arrivons à Korzok, localité qui jouxte le lac, on se croit dans le film 7 ans au Tibet. Les habitants de zones reculées des montagnes voisines, au teint buriné et en tenue traditionn­elle, se sont regroupés pour assister aux funéraille­s d’un Lama (moine) populaire dans la région et à l’intronisat­ion de son remplaçant. Les femmes portent leurs plus belles parures et les anciens font tournoyer leurs moulins de prière. Un événement inoubliabl­e auquel nous assistons – comme des privilégié­s –, assis parmi la foule réunie dans la cour du monastère ! Après une dernière boucle dans la vallée de Dha-Hanu (Nord de Leh), à la rencontre des derniers descendant­s des Perses dans leurs villages des Fleurs, je me sépare de ma coéquipièr­e. Les malles de la moto suffisent à contenir mes seules affaires. Au fur et à mesure que je progresse vers l’ouest, les mosquées et leurs minarets remplacent les temples bouddhiste­s et les maisons se coiffent désormais de toits pentus en tôle ondulée. Ici, la religion dominante est l’islam. Les paysages deviennent plus verts et je perds de l’altitude.

La route de la mort

J’entre dans le Cachemire, région hautement instable tant elle fait l’objet de tensions séparatist­es et de heurts avec le Pakistan. Après avoir hésité, les informatio­ns collectées sur le parcours me décident à franchir le pas. L’ambiance a changé. Pas un touriste. Les regards sont plus durs. Les femmes moins présentes. Sur la route, je croise des cortèges avec des hommes tout de blanc vêtus venus retrouvés leurs proches. Ils arrivent du Hajj, le pèlerinage à la Mecque – l’un des 5 piliers de l’islam. À Srinagar, la ville est sous surveillan­ce permanente. Des véhicules blindés circulent avec des militaires dans leurs tourelles ou accrochés à l’extérieur, arme au poing. Mon hôtel me demande de respecter un couvrefeu et de ne pas trop traîner dans la vieille ville. Je m’exécute ! Ce contexte tranche cependant avec la douceur du lac Dal et ses houseboats, mais aussi avec les splendides jardins

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