Place auxjeunes
Grands Prix de France, d’Aragon et de Teruel
Les jeunes ont (momentanément ?) pris le pouvoir en MotoGP : l’Espagnol Joan Mir était en tête du classement provisoire devant
Fabio Quartararo au moment de boucler ce numéro de Moto Revue
En tête du classement général à l’attaque de la dernière ligne droite d’un championnat décidément pas comme les autres, Joan Mir (n° 36) se retrouve à la lutte avec Fabio Quartararo (n° 20). Un duel que personne n’aurait imaginé en début de saison.
Qui aurait pensé, à l’aube de la saison 2020, que deux gamins de 23 et 21 ans se retrouveraient au coude à coude pour jouer le titre de champion du monde MotoGP à seulement trois courses de la fin du championnat ? Pas grand-monde.
Tout comme personne n’aurait certainement envisagé que Marc Marquez n’inscrive aucun point cette année. L’absence du sextuple champion du monde, qui peine à se remettre de sa fracture du bras droit, et pourrait subir dans les jours à venir une troisième intervention chirurgicale, a décuplé les ambitions d’une tripotée de jeunes pilotes. Car si Joan Mir et Fabio Quartararo pointaient aux deux premières places du classement général à la veille de l’antépénultième épreuve, une quatorzaine de pilotes demeurait mathématiquement dans la course au titre. Tout cela du fait d’un manque cruel de régularité… Arrivé sur le Motorland d’Aragon en tête du classement général avec dix points d’avance sur Joan Mir, Fabio Quartararo a quitté le circuit d’Alcañiz avec quatorze longueurs de retard sur le pilote Suzuki.
Lors du Grand Prix de Teruel, le Français a fait mieux qu’une semaine plus tôt lorsque, en délicatesse avec la pression de son pneu avant, il avait terminé hors des points la première course organisée sur le tracé espagnol. Quartararo s’est cette fois classé huitième, franchissant la ligne d’arrivée à quatorze secondes de son coéquipier Franco Morbidelli. « C’était moins pire que le week-end
dernier, a-t-il déclaré. Mais j’ai tout de même subi. On a eu une grosse dégradation du pneu arrière et je manquais vraiment de feeling. Je suis déçu car au warm up, nous avions
trouvé des petites choses intéressantes en termes de réglages. Ça n’a malheureusement
pas payé en course. » Par chance, Joan Mir a dû de son côté se contenter de la troisième marche du podium. Quartararo n’a ainsi lâché que huit points au leader du championnat.
« Un moindre mal », consent-il. Au-delà du fait qu’ils participent l’un et l’autre à leur deuxième saison de MotoGP, Joan Mir et Fabio Quartararo ont beaucoup en commun. Comme le Français, l’Espagnol est un gros bosseur : « Je cherche constamment le moyen de progresser et devenir un meilleur pilote. Cela tourne parfois à l’obsession car j’en veux toujours plus, mais c’est quelque chose que j’assume. Je suis exigeant envers les autres comme je le suis envers moi-même. J’aimerais juste parvenir à être un peu plus patient... »
Ambitieux, Mir a aussi trouvé dans son équipe un groupe avec lequel il a plaisir à partager et duquel il est toujours à l’écoute. « Joan est
un garçon très intelligent, note Davide Brivio, le team manager de l’équipe Suzuki. Il exploite tout ce qui est à sa portée pour progresser, il enregistre la moindre information pour essayer d’en tirer avantage... Il est conscient qu’à son âge, on a encore beaucoup de choses à emmagasiner. C’est une éponge. Et il apprend vite. » En revanche, contrairement à Fabio Quartararo, Joan Mir n’est pas né d’un père ancien pilote. « Dans ma famille, la moto n’avait pas sa place, explique ce dernier. Mes parents y étaient même très réticents... Mon père voulait que je fasse du skateboard, j’ai essayé quand j’étais gamin mais cela ne m’a jamais vraiment emballé... Moi, ce que je voulais faire, c’était de la moto. » Propriétaire de deux skate shops, le paternel s’est donc résolu à lancer son fils sur un deux-roues à moteur.
C’est le père de Jorge Lorenzo qui l’y a initié dans son école de Palma de Majorque, là où vivait alors la famille de Joan. Chicho Lorenzo n’a rien oublié des premiers tours de roue du gamin. C’était il y a treize ans. « Quand je l’ai vu rouler, je n’arrivais pas à croire que c’était la première fois qu’il montait sur une mini-moto, témoigne le père du quintuple champion du monde. J’ai tout de suite compris que ce gamin disposait d’un incroyable talent naturel. En revanche, à ce moment-là, il avait plus envie de s’amuser que d’obéir à mes consignes... » Les aptitudes du gamin convainquent néanmoins ses parents de donner suite à ses envies. En 2013, Joan est sélectionné pour participer à la Red Bull Rookies Cup. Trois ans plus tard, il est recruté par Christian Lundberg pour débuter en championnat du monde Moto3 au sein du team Leopard. Mir fait alors équipe avec... Fabio Quartararo. « Nous ne sommes pas devenus amis, mais nous avons toujours
entretenu de bonnes relations, souligne Fabio. Il y a du respect entre nous, on ne s’est jamais fait de crasse sur la piste. »
De 2016, les deux pilotes ne gardent bien évidemment pas le même souvenir. Alors qu’après une première saison de Grands Prix où on fit de lui le nouveau Marquez, le Français dévisse en passant de jeune prodige à talent gâché, l’Espagnol endosse le costume d’épatant débutant. Vainqueur de son premier Grand Prix en Autriche, il conclut le championnat en cinquième position.
L’année suivante, alors que Quartararo part se reconstruire en Moto2 avec le team Speed Up, Mir décroche le titre de champion du monde Moto3 dans ce team Leopard où le Niçois n’a jamais trouvé sa place. Une consécration au terme d’un parcours limpide. « Il y a beaucoup de paramètres qui participent à la réussite,
analyse-t-il alors, avec, déjà, beaucoup de lucidité. La façon dont tu t’entraînes, dont tu abordes les courses, la moto... C’est un équilibre. Gagner, c’est faire les choses mieux que les autres. » Lors de cette saison 2017, Mir décroche dix victoires en dix-huit courses, dont neuf obtenues dans le dernier tour après des qualifications souvent très moyennes. « En fait, Joan court aujourd’hui en MotoGP comme
il le faisait en Moto3, relève Chicho Lorenzo.
«14 points, c’est beaucoup mais c’est encore jouable»
La différence, c’est qu’à l’époque, son talent était tellement supérieur à celui de ses adversaires que partir de la troisième ou de la quatrième ligne de la grille de départ
n’avait pas grande importance. » En MotoGP, il est effectivement plus difficile de l’emporter en s’élançant au milieu de la meute. Cela ne l’a toutefois pas empêché d’enchaîner trois podiums en Italie et en Catalogne en s’imposant tour à tour avec autorité dans les derniers kilomètres, d’abord face à Rossi puis face à Quartararo et Espargaro. Le pilote Suzuki aurait d’ailleurs déjà dû remporter sa première victoire en MotoGP si la course en Autriche n’avait pas été arrêtée, le contraignant à repartir avec un pneu avant usé. « Dès qu’il parviendra à mieux se qualifier, Joan deviendra
un très sérieux client », annonce Davide Brivio. En tout cas, même si l’Espagnol court toujours après son premier succès en classe reine, Fabio Quartararo en a d’ores et déjà fait son rival numéro 1 dans la course au titre.
Il lui reste désormais trois Grands Prix pour faire son retard. Les deux premiers se dérouleront à nouveau en Espagne, sur le circuit de Valence où il avait terminé l’an dernier deuxième derrière Marc Marquez, et le dernier au Portugal, sur le circuit de Portimao qui accueillera pour l’occasion son premier Grand Prix MotoGP. « Quatorze points, c’est
beaucoup, note le Niçois. Mais avec encore trois courses, c’est jouable. D’autant que je suis convaincu que Valence nous sera bien plus favorable qu’Aragon où l’an dernier déjà, j’avais été en difficulté. » L’an dernier, sur le circuit Ricardo Tormo, Quartararo n’avait terminé qu’à une seconde du nonuple champion du monde. Le pilote Yamaha Petronas sait qu’il y souffrira moins du déficit de sa machine en vitesse de pointe. Et si le nouveau pneu arrière Michelin l’a dérouté en Aragon, ça ne devrait pas être le cas à Valence. « On l’avait testé au mois de novembre à Valence et j’avais été très rapide »,
rappelle Quartararo. Quant à Portimao, qui accueillera la finale du championnat le 22 novembre, il est l’un des rares à y avoir déjà couru à l’époque où il surclassait la concurrence en championnat d’Espagne. « C’était même l’un de mes circuits préférés, j’ai hâte de voir ce que ça donne avec une MotoGP. » Pour l’heure, le Français se dit serein. « La pression est plus sur Mir que sur moi. C’est lui le pilote officiel, et c’est aussi lui qui court après sa première victoire en MotoGP... »