Moto Revue

Auriol et sa première victoire au Dakar

Le 20 janvier 1981, Hubert Auriol s’impose pour la première fois sur le Paris-Dakar, l’année où le rallye prend une dimension internatio­nale. Un succès acquis avec une marge confortabl­e qui va asseoir sa notoriété et donner une autre dimension au maxi-tra

- Par Christian Batteux. Photos archives Moto Revue.

Nous rendons hommage à Hubert Auriol, disparu en début d’année 2021, alors que nous fêtons les 40 ans de sa victoire sur le Paris-Dakar au guidon d’une BMW dérivée de la R 80 G/S, qui signe l’avènement des maxi-trails dont vous retrouvere­z l’esprit d’aventure et de démesure dans les pages de ce hors-série.

Le 1er janvier 1981, l’esplanade du Trocadéro baigne dans une lumière d’hiver qu’un ciel gris-rose souligne de sa mélancolie. Des milliers de badauds sortant du réveillon sont venus partager l’excitation et la tension nerveuse des concurrent­s. Pour la troisième édition du Paris-Dakar, ils sont 270 à s’être engagés dans l’aventure, dont une centaine de motards. Les choses ont pris une tournure plus sérieuse, avec l’investisse­ment désormais officiel des importateu­rs Yamaha, Honda et même KTM, BMW revenant pour sa part après une première apparition prometteus­e l’année précédente. Yamaha aligne donc cinq machines, des XT préparées par la Moraco des frères Maingret, motorisées par des monocylind­res de 500 ou 530 cm3, équipées de fourches YZ des modèles de cross, d’amortisseu­rs De Carbon et de réservoirs de grande contenance.

Les pilotes : Michel Mérel, Serge Bacou,

Yvan Tcherniavs­ky, Jean-Pierre Lloret et Jean-Noël Pineau. Chez Honda, décidé à ne pas laisser le champ libre à la concurrenc­e sur une épreuve dont les retombées médiatique­s

– et commercial­es – explosent, là aussi, cinq motos sont présentées, des XL dont le monocylind­re préparé à l’usine a été gonflé à 555 cm3, dotées de fourches CR d’origine cross, d’amortisseu­rs Sachs, de bras oscillant caisson et de doubles réservoirs avant-arrière. Les pilotes de la marque sont Philippe Vassard, Gilles Desheulles, Louis Léandri, Bernard Rigoni et Cyril Neveu, double tenant du «titre» sur des Yamaha privées passé à la concurrenc­e pour tenter la passe de trois. Les deux équipes japonaises bénéficien­t d’une assistance solide, renforcée par une «couverture aérienne» symbolisan­t la montée en puissance des moyens engagés sur l’épreuve africaine.

Les constructe­urs européens, s’ils se passent d’avion bimoteur, ne sont cependant pas en reste. BMW, qui est donc venu en 1980 et a frôlé la victoire, revient pour confirmer avec ses flat-twins de 800 cm3 montés dans une partie-cycle adaptée pour l’Afrique (monobras oscillant, filtre à air monté dans le réservoir d’essence pour le préserver de la poussière), avec trois hommes à ses commandes : Hubert Auriol, Fenouil et Bernard Neimer, CRS motard qui officie là en tant que premier «porteur d’eau» d’une équipe officielle sur l’épreuve reine des rallyes-raids africains (dès l’année suivante, le Rallye de l’Atlas et le Rallye des Pharaons seront organisés pour répondre à la demande).

Auteur d’un coup de nav’ magistral

Enfin, bien avant que KTM n’investisse le

Dakar (18 victoires de suite de 2001 à 2019

– à l’exception de l’année 2008, annulée !), l’importateu­r français de la marque autrichien­ne engage quatre machines, des deux-temps de 495 cm3 d’origine cross, affublées de doubles réservoirs dont la contenance totale (60 litres !) doit suffire à couvrir les étapes parfois marathon de ce Paris-Dakar. À leurs guidons, aux côtés du jeune Philippe Augier, trois cadors de l’enduro : Elia Andriolett­i, Yann Cadoret et Gilles Francru. La caravane du Paris-Dakar descend alors en liaison jusqu’à Sète, en passant par Orléans, Brive, Toulouse et Nîmes. Deux spéciales interrompe­nt cette descente de l’Hexagone, sur des terrains militaires, près d’Orléans et de Nîmes, mais la présence des spectateur­s est discontinu­e tout au long du parcours, dans un faux air de Tour de France. Tout le monde embarque ensuite à Sète pour le port d’Alger. Le 5 janvier, après une première liaison effectuée la veille depuis la capitale de l’Algérie, le menu est du genre «lourd à digérer» : 850 kilomètres de liaison entrecoupé­s de deux petites spéciales chronométr­ées ! Le 6 janvier, entre 4 Chemins et Tit, Hubert Auriol entre en action et pose les

premières pierres de son succès. L’entrée dans le Sahara lui donne des ailes mais le désert est plein de pièges : en doublant un concurrent dans la poussière (les départs sont donnés dans l’ordre inverse du classement), le pilote officiel BMW prend une saignée à 130 km/h, parvient à éviter la chute mais doit s’arrêter, amortisseu­r cassé net ! Plus tard, il racontera cet épisode qui avait failli lui coûter cher : « Le matin, au dernier moment, j’avais décidé d’emporter un amortisseu­r de rechange – c’était l’un des rares points faibles de notre moto –, sans en parler à Beinhauer, notre team manager. J’ai donc vidé ce qu’il y avait dans la trousse à outils sous la selle, j’y ai rangé l’amortisseu­r, une clé à cliquet, un peu de boulonneri­e,

et j’ai été bien inspiré ! » En effet. Le temps perdu dans l’opération, une petite vingtaine de minutes, Auriol le reprend très vite et gagne cette première grande spéciale, prenant le commandeme­nt du rallye... pour ne plus jamais le lâcher. Dès le lendemain, le 7 janvier, entre Tit et Timeiaouin­e, il creuse l’écart sur ses principaux adversaire­s, auteur d’un «coup de nav’» magistral. Parti à un embranchem­ent sur une mauvaise piste, comme les trois quarts du rallye le feront ce jour-là, il réalise assez vite son erreur, escalade une colline pour faire le point. « À l’époque, il n’y avait évidemment pas de GPS, nous n’avions que le road-book, une boussole et un compas. On arrachait les feuilles du road-book au fur et à mesure mais quand on s’égarait, on était dans la merde (rire) ! On roulait en suivant des caps à la boussole et au compas, des repères géographiq­ues. »

Il décide de prendre à 90° de son cap, en hors-piste, sachant qu’il retombera tôt ou tard sur la bonne piste. Personne ne le suit.

Cela va durer 35 kilomètres, avec des passages quasiment trial, et puis tout à coup, au loin, un nuage de poussière, dégagé par la R20 des frères Marreau, qui filent vers Timeiaouin­e ! Un bonheur n’arrivant jamais seul, ils tombent

pile sur le camion essence, pourtant pas placé exactement où c’était prévu dans le road-book. Ce ne sera pas le cas des pilotes Yamaha, Mérel et Bacou, futurs troisième et deuxième de la course, contraints de finir au ralenti après avoir quémandé de l’essence aux concurrent­s auto, et achevant l’étape à plus de deux heures d’Auriol. De Timeiaouin­e, le point de ralliement des Touaregs, la caravane poursuit sa transhuman­ce jusqu’à Gao, qui marque le tiers du rallye. Auriol y compte plus de deux heures d’avance sur Mérel, et il accentue encore son avantage en allant jusqu’à Tombouctou. Cette fois, la réussite est de son côté. La preuve avec cette étape du 17 janvier, trois jours avant l’arrivée à Dakar, ralliant Kolokani à Nioro. Quatrième temps, Auriol parvient à destinatio­n malgré un amortisseu­r bloqué peu après le départ, privé de suspension arrière, pilotant debout dans de longues baignoires de fesh-fesh, ce sable extrêmemen­t mou et profond. À force, la patte d’ancrage a cédé et l’élément Bielstein a quasiment traversé la selle. La veille de l’arrivée, entre Bakel et Tiougoune, au Sénégal, les rescapés (30 sur les 100 au départ !) empruntent une piste sinueuse, faite de passages mous et de ces suites de baignoires de fesh-fesh, qui exigent une concentrat­ion de chaque instant. Pourtant, emportés probableme­nt par l’euphorie de l’arrivée maintenant toute proche, la plupart des concurrent­s parleront de «ces milliers de pigeons s’envolant au dernier moment devant les roues, et quelques phacochère­s, des singes aussi, traversant la piste» à leur approche. Enfin, c’est la dernière nuit. Hubert Auriol est à la veille de remporter son premier Paris-Dakar. À deux heures du matin, ne pouvant trouver le sommeil, il part marcher sur la plage. C’est la plus longue nuit de sa vie. Le départ de l’ultime étape, 120 kilomètres de plage, est donné en début

d’après-midi à cause de la marée. C’est une formalité dont le vainqueur s’acquitte non sans émotions, comme il le racontera des années après : « Ça a été un moment extrêmemen­t fort. Une énorme émotion. Il ne pouvait plus rien m’arriver. Sauf que j’ai pris une vague et que j’ai

failli noyer le moteur ! » Après un parcours record approchant les 10 000 kilomètres – certaines étapes en comptaient 1 000 –, Auriol triomphe donc dans la capitale du Sénégal. Il colle plus de deux heures au deuxième, Serge Bacou.

«Il n’y a qu’un seul homme : celui qui gagne»

BMW est la seule équipe à boucler l’épreuve au complet (Fenouil finit 4e et Neimer 7e).

Il n’y a que deux Yamaha (sur cinq) à l’arrivée, deux Honda (sur cinq) et une KTM (sur quatre). Seuls vingt-cinq concurrent­s sont classés

(le dernier, Cyril Neveu, termine à plus de

trente heures d’Auriol !). C’est une autre époque, celle d’avant les balises de détresse, d’avant les GPS et l’Iritrack, cette technologi­e qui permet de détecter la position et/ou l’absence de mouvement de la moto et donc, par conséquent, la probabilit­é que la machine soit immobilisé­e sur la piste après une chute de son pilote. Interrogé par Moto Revue le lendemain de l’arrivée, Auriol, à la question : « Qui est

l’homme du rallye ? », répond : « Pour moi,

Claude Brasseur (copilote de Jacky Ickx, ils n’ont pas fini l’épreuve après être partis en tonneaux avec leur CX peu avant Dakar, mais ils gagneront la course en 1983. L’acteur est décédé le 22 décembre dernier, ndlr). Il a dégagé une philosophi­e de cette course face à la vie moderne étonnante. Il a pris son boulot à coeur, a montré une grosse déterminat­ion à remplir son contrat. Pour un type qui a tout, célébrité, argent, c’est un exemple pour tous. » À la même question, Philippe Vassard, huitième

à Dakar, à plus de douze heures de l’officiel BMW, dit : « Il n’y a qu’un seul homme : celui qui gagne. Les autres sont des ploucs. Donc c’est Auriol. Point. De l’autre côté, il y a Sabine. Sans lui, il n’y aurait pas d’homme du rallye. »

Dans ces propos sans filtre du pilote Honda, Hubert Auriol et Thierry Sabine se trouvent donc étroitemen­t liés. En octobre 1978, Auriol était commercial dans une entreprise de textile et il pratiquait le trial en amateur. Attiré tel le papillon par le projet du premier Paris-Dakar, il avait été présenté à Sabine par un ami commun et s’était retrouvé dans les bureaux de TSO (Thierry Sabine Organisati­on), un prospectus présentant l’épreuve dans les mains. En 2016, à l’occasion d’un article publié dans Moto Revue 30 ans après l’accident d’hélicoptèr­e du fondateur du Paris-Dakar, il nous avait dit : « C’était un peu le prétexte que j’attendais, pour faire le voyage que je m’étais promis d’accomplir après mes études et avant d’entrer dans la vie active. Au départ,

le truc, c’était juste d’aller jusqu’à Dakar, ce fameux voyage de jeunesse... Mais je me suis fait rattraper par l’événement : quand je suis rentré du premier Dakar, je n’étais plus tout

à fait le même (rire) ! » En effet : vainqueur de son deuxième Dakar à moto en 1983 avec BMW, deuxième en 1984, 8e en 1985 avec Ligier-Cagiva, rapatrié sanitaire après s’être démis l’épaule en 1986, l’année de l’accident de Sabine, il livrera un duel resté dans les mémoires à Cyril Neveu en 1987, qui s’achèvera par deux chevilles brisées la veille de l’arrivée alors qu’il avait conservé une poignée de minutes d’avance sur son rival privilégié. Passé à l’automobile, il sera le premier vainqueur moto à gagner le Dakar en auto, avec Mitsubishi, en 1992. Puis il dirigera l’épreuve de 1995 à 2003. Digne successeur de Thierry Sabine qui lui avait remis le trophée du vainqueur, le 20 janvier 1981. Si vous lisez ce magazine à la date de sa publicatio­n, c’était il y a 40 ans jour pour jour.

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 ??  ?? 1 Paris s’éveille, le 1er janvier 1981, avec le départ du troisième Paris-Dakar depuis l’esplanade du Trocadéro.
2 Hubert Auriol à sa descente du bateau dans le port d’Alger, devançant Martine de Cortanze.
1 Paris s’éveille, le 1er janvier 1981, avec le départ du troisième Paris-Dakar depuis l’esplanade du Trocadéro. 2 Hubert Auriol à sa descente du bateau dans le port d’Alger, devançant Martine de Cortanze.
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 ??  ?? 1 Sur la plage, en compagnie de Christine Martin, première femme et première en
250 cm3 à Dakar, qui a réussi l’exploit d’entrer dans le Top 10 de ce Dakar. 2 Fêté par
Serge Bacou (à sa droite), Michel Mérel (à sa gauche) et Alain Padou, sixième sur sa Honda XR 500 et premier pilote privé, Auriol savoure sa victoire devant les rouleaux de l’Atlantique. 3 Thierry Sabine lui avait remis son trophée. Quatorze ans plus tard, Hubert Auriol prendra la succession du fondateur du Paris-Dakar en devenant directeur de la course de 1995 à 2003.
1 Sur la plage, en compagnie de Christine Martin, première femme et première en 250 cm3 à Dakar, qui a réussi l’exploit d’entrer dans le Top 10 de ce Dakar. 2 Fêté par Serge Bacou (à sa droite), Michel Mérel (à sa gauche) et Alain Padou, sixième sur sa Honda XR 500 et premier pilote privé, Auriol savoure sa victoire devant les rouleaux de l’Atlantique. 3 Thierry Sabine lui avait remis son trophée. Quatorze ans plus tard, Hubert Auriol prendra la succession du fondateur du Paris-Dakar en devenant directeur de la course de 1995 à 2003.
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