Odyssée « Mon au fil des îles »
Avec sa Moto Guzzi V85 TT, Bertrand Barraud nous emmène faire le tour des îles de la Méditerranée pour prendre une bonne dose de soleil et de dépaysement.
Connaissez-vous Icare ? Ce héros de la mythologie grecque, enfermé dans un labyrinthe en Crète, qui s’en échappa grâce à des ailes confectionnées avec de la cire ? Comme lui, pour m’évader de la nasse du Covid-19, je me suis muni d’ailes... celles de l’aigle Moto Guzzi ! Grâce à elles, l’été dernier, j’ai pu passer d’île en île autour de la Méditerranée, au guidon de ma V85 TT Travel, et recouvrer ainsi un peu de liberté perdue.
Dans le contexte actuel, tout déplacement en Europe est devenu un véritable casse-tête. Fait inimaginable il y a encore quelques mois à peine ! Je vérifie tous les jours le site du ministère des Affaires étrangères pour éviter de me mettre dans une situation difficile, tout en sachant que les conditions peuvent changer à tout moment. Il s’agit de ne pas me retrouver en quarantaine ou bloqué à l’étranger dans mon itinéraire qui doit m’amener à passer de la France continentale en Corse, puis en Sardaigne, Sicile, Italie continentale du Sud, Grèce continentale et Crète avant de revenir en France. La fenêtre de tir liée à la période estivale semble se confirmer ; à vos marques, prêts, partez !
Avide de liberté, c’est par les nationales et départementales que je quitte la région parisienne pour rejoindre Nice où je dois embarquer pour la Corse. 900 km de traversée de la France, c’est bien plus qu’il n’en faut pour prendre en main la Moto Guzzi V85 TT tellement tout est facile et naturel à son guidon. La position est confortable et la machine bien équilibrée. Les 3 modes (Route, Pluie et Offroad) se pilotent facilement et le parebrise élargi de la version Travel offre une bonne protection malgré l’absence de carénage sur la moto (compensée toutefois par la forme du réservoir de 23 litres et la position en V des cylindres). Le Cruise Control est une fonctionnalité vraiment efficace sur les grands axes roulants afin de soulager le poignet, de réduire l’attention mobilisée par le respect de la vitesse et ainsi se concentrer sur le trafic. La selle est un peu raide à la longue, mais rien de catastrophique. Arrivé à Bastia, je me lance dans le tour du Cap Corse et sur la côte nord de l’île de beauté. Le caractère sauvage de cette région, où alternent plages désertiques et villages de pêcheurs, est renforcé par l’absence de touristes en ces premiers jours de juillet post-confinement lié au Covid-19. J’ai les petites routes pour moi seul ou presque, ce qui contribue largement à mon bonheur de motard compte tenu de l’étroitesse de la chaussée par endroits. Le tronçon de la RD81 qui domine la mer et traverse les formations rocheuses rosées des Calanques de Piana est superbe. Comme bien souvent en Corse, je quitte la côte pour rejoindre la montagne et inversement. À Corte, je découvre le caractère montagnard de l’île, une identité forte et une gastronomie typique. Les petites routes ont beau monter, descendre et tortiller à vous en brouiller les sens, la V85 TT se comporte à merveille tant au niveau de la partie-cycle que de la motorisation.
Les accélérations, décélérations et reprises se font en douceur, dans une conduite « voyage » assumée et sans jamais me mettre en difficulté dans les épingles les plus serrées. Ma plage d’utilisation moyenne oscille entre 2 500 et 4 500 tours/minute mais les reprises peuvent se faire beaucoup plus bas. La moto est maniable et, du haut de mon 1,75 m, je réalise sans problème des demi-tours sur des portions étroites en dévers. Les pneus Michelin Anakee Adventure, dont la version Travel est chaussée, assurent un grip sans faille et je prends naturellement de l’angle dans les virages. Pour donner un peu de rythme, je troque d’un coup de commodo le mode « Route » contre le mode « Offroad », ce qui permet à la Guzzi de gagner en réactivité. L’ABS est efficace et évite que les rencontres fortuites – mais fréquentes – avec des cochons en liberté ne tournent mal. Je quitte la montagne et les majestueuses aiguilles de Bavella pour retrouver les belles plages du Sud et la sublime citadelle médiévale de Bonifacio. La houle est trop forte et je dois attendre près d’une journée pour emprunter le ferry qui me mène en Sardaigne. Avec le roulis, la moto s’est déplacée et le clignotant a creusé la peinture du bateau. Aucune détérioration n’est cependant à déplorer sur la V85 TT, preuve de la qualité Moto Guzzi ! Désormais en territoire italien, mon aventure gagne en exotisme, même si le Nord de l’île offre des paysages et des routes moins excitants qu’en Corse. Entre 13 h et 17 h, les villages sont morts, les commerces et restaurants fermés,
c’est l’heure de la « siesta ». Parmi les sites intéressants : les îles de la Maddalena, la ville côtière et fortifiée d’Alghero et les villages colorés à flanc de colline de Castelsardo et Bosa. L’arrivée de mon amie Pauline marque le début de la traditionnelle partie de « Tétris » : nous devons faire entrer les affaires de deux personnes pour 3 semaines, matos de camping compris, dans les 64,5 litres des deux valises latérales de notre modèle Travel et préserver ainsi l’espace du top-case pour loger les casques intégraux lors de nos escales...
Tous les coins et recoins sont utilisés, y compris sous la selle. Ça occupe bien une soirée ! Un dernier coup de clé à griffe pour régler la précontrainte de l’amortisseur arrière, et nous reprenons la route. Nous découvrons l’époustouflante route de montagne entre Orosei et Arbatrax avant de traverser l’île pour rejoindre la Costa Verde. Étrange univers où se mélangent plages sauvages et anciennes villes minières que l’on atteint par des pistes sablonneuses parfois ponctuées de gués. En bonne aventurière, ma monture se montre à l’aise à tout moment. Fin de journée à Carloforte, la petite ville sort de sa torpeur à mesure que la chaleur retombe. Nous faisons la «passegiata» en dégustant de bonnes glaces et farinata comme le font les locaux. C’est à Cagliari que nous embarquons dans un ferry – presque vide – pour une traversée de jour de 12 h à destination de la Sicile... Drôle d’arrivée lorsque nous débarquons, au beau milieu de la nuit, les pieds dans l’eau, ou plutôt devrais-je dire les roues dans l’eau.
En effet, un terrible orage a éclaté quelques heures plus tôt et ma mission consiste à me faufiler entre les véhicules qui cherchent leur route, sans jamais poser le pied à terre. Le lendemain, la route a séché mais ce sont les embouteillages de Palerme que nous devons affronter. Malgré la chaleur environnante
et son refroidissement par air, la V85 TT supporte mieux cette épreuve que nous.
À l’assaut de l’Etna
Je suis en bermuda et les cylindres me chauffent les tibias. Mieux vaut rouler en pantalon et pas que pour la sécurité...
Nous garons enfin la moto et partons à pied à la découverte des marchés colorés, des quartiers populaires et de l’étonnante architecture arabo-normande de la ville. Après une expérience plutôt monotone en Sardaigne, ici nos sens reprennent vie. L’île n’est qu’à quelques encablures de la Tunisie et les influences arabes sont multiples. Nous dégustons même un couscous au poisson à Trapani. Le nom évocateur « Sabbia Namib » de ma V85 TT Travel et sa couleur sable m’invitent à changer de continent et à partir à l’aventure dans le désert... mais pas pour cette fois-ci, nous avons encore tant à découvrir sur nos racines dans ce tour. En effet, la Sicile, c’est aussi des sites antiques et notamment la superbe vallée des temples à Agrigente. Il faut également compter avec les charmantes villes baroques dans le sud-est du pays, comme Scicli et Raguse, et le très animé marché aux poissons de Catane. De là, nous partons à l’assaut de l’Etna. En quelques kilomètres, nous passons du niveau de la mer à 1900 mètres d’altitude en empruntant de généreuses courbes qui serpentent entre les champs de lave noire, avec une vue imprenable sur la côte. Notre plus belle expérience moto en Sicile ! Pour nous rapprocher davantage du cône fumant qui culmine à 3 300 m, nous descendons de notre Guzzi pour emprunter un téléphérique. Un paysage lunaire unique en Europe ! Pour observer des éruptions, il faut cependant remonter sur la moto pour se rendre quelques kilomètres plus au nord, à Milazzo. Nous embarquons alors sur un bateau pour le Stromboli dans les îles Éoliennes. C’est ici
que, chaque soir, le volcan projette une lave incandescente dans le ciel. Un spectacle « son et lumière » impressionnant ! De l’autre côté du détroit de Messine, sur les terres de la mafia calabraise, c’est par des routes de montagne que nous remontons la botte italienne. Les Canadair viennent puiser de l’eau dans les lacs d’altitude pour éteindre les feux de la région. Nous atteignons bientôt la magnifique ville troglodyte de Matera, truffée de grottes et d’églises rupestres.
L’un des points d’orgue de ce voyage !
Puis, dans le talon de la botte, nous découvrons les beaux villages des Pouilles et les « trulli », ces constructions étranges et si typiques de la région d’Alberobello. Le tourisme national bat son plein. Sur la côte amalfitaine, nous empruntons la route étroite qui serpente à flanc de montagne pour relier des villages colorés. Le trafic est dense et je suis concentré pour ne pas m’emplafonner une voiture dans la succession de virages à l’aveugle. En tant que pilote, difficile de profiter de ce paysage pourtant splendide. Plus habitués, les locaux en tongs sur leurs scooters jouent les trompela-mort en enquillant les courbes à grande vitesse et en doublant sans complexe.
Dans Naples, on vit et on se déplace à scooter, y compris en famille (jusqu’à quatre, ça semble passer) et sans casque. Le trafic et la signalisation sont chaotiques et les caméras de vidéo-verbalisation omniprésentes. De quoi devenir paranoïaque ! C’est à se demander comment les Napolitains s’en sortent. Nous suivons les recommandations des Italiens et garons notre V85 TT en sécurité dans l’un des nombreux parkings de la ville (17 € pour 24 h). Pour nous remettre de nos émotions, rien de tel que de parcourir les ruelles étroites de la ville, une pizza frite à la main (curieuse spécialité locale) et un
Spritz dans l’autre, de flâner dans la jolie petite île voisine de Procida, ou de parcourir le site archéologique de Pompéi.
Point de rencontre entre l’Europe et l’Orient
Pauline repartie en France, c’est en solo que je poursuis mon épopée. Direction la Grèce ! Une nuit de bateau me mène à Corfou, mon point d’entrée dans le pays et dans l’archipel des îles Ioniennes. Tel un oiseau, je passe d’île en île pour atteindre le Péloponnèse et ses traditionnels sites antiques d’Olympie, Mycènes et Épidaure. À l’extrémité sud, j’emprunte une superbe route côtière pour faire le tour du Magne, une région désertique aux airs de bout du monde et connue pour ses maisons aux formes de tours carrées. Plus loin, je tombe sous le charme de Monemvassia, petite cité médiévale lovée
dans le creux d’un « rocher » qui émerge au bout d’une presqu’île, sorte de Mont-SaintMichel grec. Je suis à quelques miles nautiques seulement de la Crète et j’embarque sur l’un des rares bateaux (2-3 par semaine au départ de Cythère en période estivale) qui me permet de rejoindre Kissamos, à l’est de l’île. Ici plus qu’ailleurs, la Grèce révèle tous ses clichés : plages de sable blanc aux eaux turquoise comme à Balos ou à Elafonissi, villages authentiques où les anciens sirotent leur café sur les places ombragées, monastères orthodoxes centenaires, petites routes qui parcourent des montagnes parsemées de champs d’oliviers ou surplombent la côte, chèvres en liberté... Mais la Crète a aussi ses spécificités : c’est le point de rencontre entre l’Europe et l’Orient, entre les influences vénitiennes et celles de l’Empire ottoman, comme en témoignent l’architecture et les minarets des villes de La Canée ou de Réthymnon. L’île est également connue pour ses gorges de Samaria que l’on parcourt à pied et pour son village de Loutro, accessible en bateau, avec ses maisons blanches aux volets bleus qui évoquent les Cyclades. Les pistes sont fréquentes et j’adopte naturellement un mode de voyage plus baroudeur. La V85 TT se révèle très à l’aise sur ces pistes sèches assez roulantes grâce à un mode « Offroad » adapté (qui accroît la réactivité et déconnecte l’ABS arrière), une position debout agréable, une garde au sol suffisante, une suspension efficace et une bonne adhérence. Dans les montées avec des pierres roulantes, il faut toutefois jouer du tableau de bord pour désactiver le Traction Control et ainsi retrouver de la motricité, sinon on reste scotché sur place. En descente, pour les plus avertis, il est aussi possible de déconnecter l’ABS avant. La transmission par cardan offre quant à elle un confort de voyage inégalé, surtout par la piste. Pas de chaîne « embousée » à nettoyer, à retendre ou à graisser. Côté logement, les campings – trop peu nombreux – et bonjour le bivouac. Une vraie communion avec la nature... Sur la côte, il faut se méfier du vent qui peut souffler fort et rendre le pilotage hasardeux sur certaines routes étroites... ou démater votre tente en pleine nuit. C’est ainsi que j’ai été contraint de tout replier à la lampe frontale, avant de remonter sur la moto, et de finalement trouver refuge sous l’auvent d’un restaurant. Une première ! Mais c’est ça, l’aventure... Je quitte cette terre d’épicuriens et poursuis mon épopée au rythme des îles, des traversées en bateau et des sites antiques, à la découverte de cette civilisation grecque qui a forgé notre culture et notre société européenne. Mais au-delà de mon enrichissement intellectuel, ces destinations sont surtout des prétextes.
Des prétextes pour rouler, juste rouler... pour profiter de ce bonheur simple qui me permet de me sentir libre et vivant. Alors, bon vent et comme on dit là-bas !