Le pays des hommes libres
Olivier, Éric, Franck et Ron l’Américain s’étaient donné rendez-vous pour aller explorer les confins de la Thaïlande, au guidon de Honda CRF 250. Voici leur récit, bien avant la pandémie !
Sur les routes – mais surtout sur les chemins – de Thaïlande, 4 aventuriers ont bravé les éléments pour un voyage XXL.
Chiang Mai ➜ Mae Chaem
Alors que la veille du départ et des premiers tours de roues, les 4 aventuriers se sont rejoints pour dîner au Rider’s Corner Restaurant, un établissement bien connu des motards voyageurs, après avoir pris possession de leurs montures chez un loueur du coin, le chant du coq, le « gong » du temple d’à côté, le ronronnement du climatiseur et sans doute l’excitation du départ auront eu raison d’un sommeil prolongé...
À 4 h 30, nous étions réveillés, prêts à bondir sur nos motos. Après un copieux petitdéjeuner, nous avons attaqué la circulation très dense sur le boulevard qui rejoint l’aéroport, vers le sud-ouest de la ville. 20 kilomètres plus tard, voici le premier chemin thaïlandais. Il est sec, recouvert de gros gravier et jonché de grandes feuilles mortes. Très sinueux, il est parfois technique.
C’est volontairement que j’ai choisi de mener ma petite troupe sur cette piste. Comme lors de chacun de mes raids, je profite de ces premiers moments de roulage pour jauger le groupe, adapter ma vitesse de progression à celle du pilote le moins aguerri. Ainsi, je détermine avec une relative précision la distance qu’il nous sera possible d’envisager raisonnablement chaque jour. Nous quittons cette première piste au bout de 15 kilomètres environ. Un long bout de route goudronnée, très sinueuse et tout en montées et descentes permet à chacun de bien respirer et de se détendre les membres. Une seconde section d’asphalte nous permet d’atteindre l’entrée d’une piste magnifique qui se déroule sur plus de 100 kilomètres. La piste terreuse, assez large, décrit d’innombrables woops dans une végétation luxuriante. Tantôt rouge, sombre et luisante – donc glissante – lorsqu’elle n’est pas directement exposée à la lumière du soleil, tantôt couleur crème et poussiéreuse, elle est empruntée par quelques pick-up chargés de choux, de cagettes de fraises, de cochons. Les portions les plus pentues des rampes en béton aux abords ravinés nécessitent une grande attention. En milieu d’après-midi, nous parvenons, réservoirs presque vides, à atteindre un village.
Une première station-service est fermée. Angoisse. Heureusement, plus loin, un cabanon attire mon attention. Trois fûts y sont alignés, surmontés de pompes à main fixées sur des bocaux gradués. Nous donnons à boire à nos montures déjà bien sales. La fatigue se lisant sur les visages, je décide de prendre le goudron pour rejoindre Mae Chaem, notre ville étape. Les deux premiers hôtels dans lesquels nous nous rendons sont complets. Un troisième nous semble trop onéreux. Nous poussons jusqu’à un quatrième, du genre miteux mais quasi vide.
C’est assez logique. Peu importe, nous ne sommes là que pour dormir. Et à 12 € environ la hutte au toit pointu, nous ne pouvons pas être trop exigeants. Les draps sont propres, des ventilateurs brassent l’air chaud et les douchettes crachent un filet d’eau tiède. Ça ira bien...
Mae Chaem ➜ Mae Sariang
Il ne pleut jamais en janvier en Thaïlande... sauf aujourd’hui ! C’est rageant. La trace du jour était prometteuse, presque exclusivement TT, mais le terrible orage qui s’est abattu cette nuit à l’ouest de Mae Chaem et les trombes d’eau qui se déversent encore sur le secteur de Mae Sariang nous ont empêchés de mettre ne serait-ce qu’un crampon dans les pistes escarpées, terreuses et extrêmement glissantes. Les chemins « dégueulent » sur les routes, rendant la circulation périlleuse.
La journée d’hier a laissé quelques autres traces également. Certains pilotes, peu habitués à rouler longtemps et sous une chaleur assez forte ont eu du mal à prendre la route ce matin. Il faut dire que les 130 kilomètres de mauvais bitume que nous nous apprêtions à boucler sous une pluie étonnamment fraîche en auraient refroidi plus d’un.
Mae Sariang
Après avoir été trempés par le haut hier en raison des fortes pluies qui se sont abattues sur nous entre Mae Chaem et Mae Sariang, il fallait bien s’attendre à être mouillés par le bas aujourd’hui ! La journée qui ne comporte (sur le papier) que 108 kilomètres s’annonce tranquille et débute par l’incontournable passage à la pompe à essence. Ensuite, nous prenons de la hauteur pour, 40 kilomètres plus loin, plonger vers la Salawin River. L’orage de la veille a causé de gros dégâts par ici.
Un pont submersible a été... submergé.
Les buses de béton qui devaient laisser passer le flux se sont bouchées et ont provoqué un chamboulement des rives. Tout le village est à la manoeuvre pour redonner un peu d’allure à l’édifice, sous l’oeil attentif des officiels en uniformes crème et bleu nuit qui, smartphones en main, immortalisent l’événement. Les quelques kilomètres qui précèdent notre arrivée au bord de la rivière se font sur une route défoncée et pleine de terre. Et c’est sans compter les buffles qui n’ont rien trouvé de mieux que de déambuler sur la chaussée, dans le brouillard. Au village, nous prenons la direction du Nord par une belle piste sinueuse. Un peu grasse par endroits, surtout à l’ombre des feuilles de bananiers. Elle nous mène
jusqu’à un autre village, que nous atteignons vers midi. Je fais le point. Nous avons mis près de 3 heures pour arriver jusque-là.
Il faut se rendre à l’évidence : le groupe n’a pas un niveau de maîtrise de la conduite sur piste suffisant pour que nous puissions envisager la remontée de la rivière sur plus de 40 kilomètres qui était prévue au programme. Nous décidons de manger sur place, puis de redescendre dans le premier village afin de tenter une escapade en « long boat » sur la Salawin River. Les eaux sont chargées de limon, le courant est violent. La balade de plus d’une heure nous mène en aval, jusqu’à un canyon cerné par les grands arbres, accrochés aux rochers. À bâbord, la Thaïlande et à tribord, le Myanmar. Une fois de retour, nous reprenons la mauvaise route goudronnée qui nous ramène à
Mae Sariang. Finalement, quelques bonnes flaques de boue collante, quelques gués significatifs, quelques grimpettes et descentes bien ravinées auront agréablement pimenté notre troisième étape et mouillé nos bas !
Mae Sariang ➜ Mae Hong Son
La plus longue de nos étapes (300 kilomètres), débute sous un crachin... breton, avec brouillard et petite fraîcheur avec de larges pistes, gravillonnées et peu vallonnées. Ensuite, ça se corse un peu au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude et que nous nous enfonçons dans la forêt, direction plein Nord. Les pluies des jours passés ont bien lubrifié la glaise de surface, « ça glissouille un max » ! Ron, peu habitué à ce genre de terrain aux USA, va goûter la piste à six reprises en moins de 10 kilomètres.
Lui et sa moto sont bien chargés de boue à présent. Ils se fondent dans le paysage.
Il n’y a guère que son visage, rouge tomate, qui trahit sa présence. Les pistes s’enchaînent à un rythme... en fait sans rythme. Tout au plus roulons-nous à 15 kilomètres par heure de moyenne. Les paysages sont magnifiques mais dès que nous levons le nez pour les admirer, nous partons à la faute. Les pauses, nombreuses, permettent cependant d’apprécier ce qui nous est offert par cette région, superbe. Nous retrouvons la route qui relie Mae Sariang à Mae Hong Son.
Elle est très connue des motards car elle comporte pas moins de 1 864 virages.
Et le bitume est parfait. Donc plein gaz... forcément. Un petit tour à la station-service de campagne aux pompes automatiques avaleuses de billets de banque, un bon poulet grillé au feu de bois, à l’étouffée dans une immense jarre en terre cuite, une bonne rasade d’eau fraîche, et hop ! C’est reparti. Toujours plein Nord, nous ne tardons pas à quitter à nouveau le goudron pour faire plaisir à nos motos. Le ciel est bleu, les versants des montagnes orientés au Sud ont séché. Mais ceux au Nord restent bien humides. Quelques belles montées où il ne faut rien lâcher et quelques bonnes descentes où là, on aimerait bien tout lâcher et se sauver vont donner quelques sueurs froides à Éric, Franck et Ron. Surtout à Ron. En milieu d’après-midi, tous sont lessivés. Nous prenons la route pour terminer l’étape. Mae Hong Son est une petite
ville bien sympathique qu’il faut découvrir le soir à la nuit tombée. Les temples illuminés se reflètent dans un petit lac. Autour, des dizaines de commerçants s’affairent. Nous choisissons la terrasse d’un restaurant « en dur » pour dîner au son des tubes de chez nous, revisités à la sauce asiatique.
Mae Hong Son ➜ Pai
Au départ de l’hôtel, tout le monde est en forme. La brosse à dents n’a pas été oubliée dans la salle de bains, le plein des machines est fait, les chaînes sont huilées, les consignes de prudence sont répétées. Je roule derrière. Ron est juste devant moi. Il respecte scrupuleusement les conseils que je lui ai donnés : lire la piste afin de croiser les saignées pile entre deux virages successifs, pour, chaque fois, s’engager dans l’extérieur des courbes, là où le terrain est le moins raviné. Et puis il y a eu cette descente, lisse et luisante de glaise humide. À vitesse réduite pourtant, il perd l’avant de sa moto et va se vautrer dans le fossé. Il se relève mais, au moment de redresser sa monture, il sent que son poignet droit a lâché. Nous sommes à 50 kilomètres de la première route goudronnée, dans la montagne, au milieu de rien, avec des bosquets pour seuls spectateurs. Après un rapide bandage, nous effectuerons plusieurs rotations pour descendre Ron et sa moto et récupérer l’autre Honda CRF. Une chute qui marquera la fin de l’aventure pour notre compagnon qui, avec son poignet cassé, aura fait 48 heures d’avion pour... 4 jours de moto.
Chiang Dao ➜ Fang
Après une journée pour nous retaper et une courte liaison jusqu’à Chiang Dao, nous quittons à regret ce petit paradis, par brouillard épais. Moins de 10 kilomètres après la sortie sud de la ville, nous piquons plein Est vers les montagnes. Une première piste complètement défoncée, serpentant entre les plantations d’agrumes s’offre à nos roues. À plusieurs reprises, je dois modifier notre itinéraire. Soit parce que la piste a été « déplacée », soit elle n’est plus praticable et il faut alors en « inventer » une nouvelle.
Cette fois, nous remonterons un cours d’eau sur quelques dizaines de mètres pour contourner un effondrement. De longs rubans de béton ont encore « mangé » les plus belles pistes du secteur ! Un phénomène déjà constaté lors de mes précédents voyages. Après un déjeuner « rustique », nous nous engageons dans une nouvelle piste, d’abord large et blonde. Très vite, elle se resserre et prend une jolie teinte rouge. Au bout d’une dizaine de kilomètres, elle se resserre encore et se transforme en un single. Le pilotage devient acrobatique et il est compliqué de retenir la masse conjuguée de la moto, des bagages et du pilote dans les descentes, vertigineuses et rainées par les passages répétés des cyclomotoristes locaux pour qui strictement rien n’est infranchissable.
Quelle dextérité ! Le roulage aura été vraiment agréable dans cette forêt peu dense, où les bambous et les hévéas se disputent la vedette. Nous sommes ensuite contraints de faire un demi-tour face à un portail métallique fermé, barrant la piste. Une autre belle boucle
tout-terrain nous attend. Un bout de route fait la jonction avec celle que nous terminons. Toute aussi magnifique, mais moins technique, elle va nous « déposer » à 5 kilomètres à peine de notre hôtel de Fang, ville sans saveur, mais l’hôtel fut une bonne pioche avec une excellente cuisine qui joue à fond la carte de l’écotourisme.
Fang ➜ Chiang Rai
Une étape totalement réussie... enfin !
Nous prenons plein Ouest pour vite percer les nuages et le brouillard. Nous traversons une forêt dense d’altitude (1 530 m). Elle est un refuge pour la famille royale qui y possède une propriété avec héliport de campagne. Dans cette forêt également, se trouve une nurserie d’une grande variété d’essences d’arbres. Nous replongeons bientôt dans la vallée. Il fait toujours froid sous le couvert nuageux. Mais bientôt, des pistes bien raides vont nous réchauffer. Comme ce single d’anthologie, que même les locaux ont abandonné. Nous ouvrons à nouveau la voie. Mais pour combien de temps ? La nature aura vite fait de recouvrir nos traces.
Chiang Rai ➜ Mae Salong
La journée commence comme toutes les autres ou presque depuis le départ : brouillard et froid. Mais ce matin, nous allons vite monter en température. En 2 h 30, nous n’allons faire que 30 kilomètres ! Les pistes sur lesquelles j’ai embarqué Éric et Franck les auront marqués. Plus technique, y’a pas ! L’itinéraire initial pour déjeuner dans un restaurant où j’ai mes habitudes, situé à mi-étape, juste à côté d’un pont suspendu que nous devrons traverser, ne sera pas possible. Un vilain chemin impraticable, à forte pente descendante et où un torrent s’est mis en tête de passer sans demander l’autorisation à la dernière mousson, a ravagé les traces pour ne laisser place qu’à des crevasses. Impossible de passer. Demi-tour, direction Mae Salong par la route.
Mae Salong ➜ Chiang Rai
Pour la première fois depuis notre départ de Chiang Mai, il fait beau et déjà chaud à notre réveil ! Direction plein Nord.
Les versants encore à l’ombre nous réservent de bons serrages de fesses dans les descentes. Ça « glissouille à mort » ! Mais très vite, l’évaporation de la rosée matinale rend les pistes moins techniques. Notre vitesse de progression peut faire un bond d’au moins... 5 km/h ! Un single bien costaud va toutefois nous réserver une fort mauvaise surprise. Le sentier a été délaissé à cause – sans doute – du bétonnage des pistes principales desservant les villages alentour. Il est devenu inutile et s’est, à la longue, bouché. Du coup, l’occasion m’est offerte de donner à Éric et Franck une petite leçon de «retourné de moto» bien pêchu. D’un côté le ravin, de l’autre, le talus encombré de bambous enchevêtrés. Puisque le single ne fait que quelques
dizaines de centimètres de large, l’idée, c’est de cabrer la moto en la faisant littéralement grimper le talus, profiter du court moment où elle se retrouve à la verticale pour ramener l’avant sur le sentier, dans le bon sens si possible et sans pour autant laisser filer l’arrière dans le précipice ! Pas simple. L’opération est un peu violente mais ça fonctionne. Nous faisons un peu de route goudronnée pour reprendre notre souffle et pour récupérer le temps perdu.
Peu après déjeuner, nous faisons une courte halte au point le plus au nord de la Thaïlande, à l’endroit même où se situe un poste frontière avec le Myanmar. La Chine se trouvant à une cinquantaine de kilomètres encore plus au Nord, il est le point de déferlante de produits « made in China ». Le flux est incessant.
Nous longeons ensuite le Mekong jusqu’au repère à touristes qu’est le Triangle d’Or. De l’autre côté du fleuve, se trouve le Laos. Après une pause bistrot, nous poursuivons notre chemin avec de nouvelles pistes.
Chiang Rai ➜ Phrao
Sur le papier pourtant, l’étape du jour semblait facile. Des « montagnettes », un début de journée passé à serpenter entre les rizières et les piscicultures, un p’tit restau sympa à midi... Et puis ça s’est franchement corsé dès le début d’après-midi. Heureusement que nous avions pris des forces. Il faut avouer que le single que j’avais dégoté s’est révélé très, très technique de l’avis de Franck et d’Éric. À maintes reprises, j’ai dû enfourcher leur moto pour les laisser souffler un peu et franchir pas mal de difficultés de terrain. De nouveaux glissements de terrain modifieront à nouveau le programme pour nous ramener vers Phrao.
Phrao ➜ Chiang Mai
Comme la plupart du temps, la dernière journée est écourtée ou modifiée par les participants. La peur de se faire mal, la fatigue accumulée, la crainte de la panne empêchant de restituer les motos dans les délais, l’envie d’une bonne douche et de quitter bottes et protections... ? Sûrement tout à la fois. Et puis le brouillard est tenace. La veste n’est pas de trop, surtout que la trace transformée et essentiellement routière nous mène dans un premier temps en altitude. La route est belle et sinueuse. Passé le massif, nous redescendons en plaine. Une grande route nous rapproche de Chiang Mai. Elle est vilaine et droite mais un vrai café rendra la pause que nous décidons de faire tout de même agréable. À une cinquantaine de kilomètres de la ville, nous tentons quelques pistes faciles. Elles sont superbes et serpentent en vallée. L’humidité de la nuit rend l’air plus lourd qu’à l’habitude. Autant dire que nos vestes ont été soigneusement rangées dans nos sacs. Chiang Mai se profile à l’horizon et sans tarder, nous allons rendre les motos. Quelques pièces de carrosserie et quelques poignées et leviers abîmés nous sont facturés. À peine 20 euros pour l’ensemble. Passage à l’hôtel, douche, lessive de la tenue « civile » pour ne pas sentir le buffle dans l’avion et retour à la civilisation. ■