Shift, le laboratoire de Fox…
Lancée en 1997 avec un Jeff Emig dominant le motocross américain, la marque Shift était depuis rentrée dans le rang. L’arrivée d’une nouvelle gamme, développée en collaboration avec Fox et Ken Roczen en ambassadeur de luxe pourrait annoncer un brillant fu
Les locaux de Fox à Irvine en Californie sont fameux pour leur monumentale entrée rouge à la forme calquée sur la mentonnière des casques V3. À l’intérieur, l’agencement est également très original. Une organisation en vastes espaces, séparés par une sorte de rue principale où sont présentées les collections dans de pseudos magasins. L’ensemble est moderne, fonctionnel, et déjà redoutablement avantgardiste. Les logos Fox sont omniprésents, ceux de Shift discrets. Mais la grande peinture représentant Ken Roczen au-dessus de la cafétéria met les choses au clair : le pilote, représenté en whip, porte des produits des deux marques. Un mélange qui ne peut qu’interroger : comment expliquer que le pilote le plus cher de la planète cross, roulant pour la marque dominant le marché de la tête et des épaules depuis des décennies, devienne ambassadeur de Shift qu’on connaît à peine si l’on fait partie de la nouvelle génération ?
Passé glorieux
La réponse se trouve dans l’histoire de la marque. Car pour les anciens, le nom Shift est associé à l’image du succès. Ceux de Jeff Emig en particulier qui gagna quasiment tout en 1997 dans le team Kawasaki. Cette annéelà, Jeffro remporte les titres SX et MX devant Mcgrath, de passage chez Suz et équipé alors en Fox. Créée par Greg et Pete Fox pour coller au mouvement freestyle/fmx qui demandait des pantalons baggy, la jeune marque s’impose donc dès sa première année en cross. Sans complexe. Pour preuve, la communication déjantée développée par Greg Fox est restée dans les annales. Qui ne se souvient pas des photos de Jeff Emig buvant du champagne dans un jaccuzzi de l’hôtel Mirage à Las Vegas le soir de son titre, entouré de bimbos siliconées ? Libérée des contraintes marketing traditionnelles imposées par la marque à la tête de renard, Shift permet aux frères Fox d’exprimer leur créativité et aux pilotes de se sentir appréciés pour leur personnalité. Bien entendu, Jeff Emig ne passait pas son temps à faire la fête. Concentré et motivé, il était un athlète très sérieux, mais avec une petite touche rebelle qu’il pouvait exprimer à travers Shift. Lorsque Chad Reed arrive chez Shift, c’est un
peu la même histoire. L’australien est un athlète accompli, très consciencieux, mais qui vient aux US pour bousculer la hiérarchie établie. Il est dans la peau du rebelle et colle parfaitement à l’image de la marque. Là encore, l’association fonctionne à plein
puisque Reed reste l’un des rares pilotes ayant remporté trois titres US, quatre en comptant le SX Lites en 2002, et donne un sacré crédit au logo Shift. Ce passé glorieux, Shift en use et abuse, au point de sortir une tenue spéciale vingt ans en début d’année. Mais 2017 n’est pas 1997 et communiquer sur le passé n’a aucune chance de rendre à Shift son lustre d’autant.
La solution LAB
Heureusement pour la petite marque, le nouveau CEO de Fox, Paul Harrison, voit d’un bon oeil la présence de plusieurs couleurs sous le même toit. Lui qui a officié à la tête de Reebok ou des casques Bell a l’habitude de cette mixité. « Chez Bell, en plus de mélanger le monde de la moto et du vélo, on gérait également les casques Giro, les guidons
Easton. L’expérience des uns profitait aux
autres », se rappelle-t-il. En 2015, il fait donc le voeu de relancer Shift et embauche Jayson Wickenkamp comme Général Manager. Celui-ci recrute une petite équipe qui va travailler dans les locaux Fox. Bénéficiant des ressources du numéro 1 mondial de l’équipement cross, Shift n’a pas à se soucier de budget, de réseau de revendeurs, de
délais de fabrication… Tout ce qui serait insurmontable pour une petite marque est déjà en place. Du coup, le team se concentre sur la création d’une nouvelle gamme, totalement décalée de l’existant. « Pour nous imposer, il nous faut créer un choc, explique Jayson, prendre le marché sous un angle
différent. » L’arme secrète de Shift pendant les quatre années de développement de cette nouvelle gamme se nomme LAB. Dans cette pièce rectangulaire située en plein centre du bâtiment Fox, des créatifs travaillent sur de nouveaux concepts. David Durham, le chef du design des deux marques, développe un concept fort : « L’idée qui préside à tous les produits Shift est la simplicité, énonce David en prenant son nouveau casque en main. Cela ne veut pas dire simpliste ou entrée de gamme pour autant ! Au contraire, simplicité signifie que l’on va se concentrer sur ce qui est absolument nécessaire au pilote. » Où est la révolution dans cet énoncé ? Le créatif n’a aucun mal à l’expliquer : « Une tenue traditionnelle, une paire de bottes, un casque, c’est souvent plein de petites choses inutiles et qui coûtent cher. Un logo ici, un joint là, une peinture excessive, des panneaux de tissu multipliés à l’excès… Si l’on supprime ces ornements inutiles, on économise pas mal d’argent sur la fabrication. Cela donne la possibilité de dépenser le budget économisé là où c’est vraiment nécessaire, en investissant dans de meilleurs matériaux aux endroits stratégiques par exemple. » Le logo LAB, apposé sur certains produits des deux marques, est donc le symbole de cette recherche d’optimisation. « On voudrait que LAB soit à Fox et Shift ce QU’AMG est à Mercedes ou la série M à BMW… Des séries spéciales, plus performantes car pensées différemment. »
Nouvelle gamme
L’examen de la nouvelle gamme Shift permet de se rendre compte que ce concept de simplification est en effet très puissant. Le nouveau casque en est un exemple frappant.
« Si l’on prend un casque Fox V1, continue le designer en chef des deux marques, on voit que l’on peut supprimer le joint en bas du casque, celui autour de l’ouverture centrale. La vis qui tient la visière peut être enlevée si on met une visière ultra-souple et les décorations peuvent être considérablement simplifiées sans nuire au look. Cela libère un budget que l’on a placé à l’intérieur du casque, là où ça ne se voit pas, mais où c’est important : on a donc un meilleur EPS et une plus grande sécurité, avec un casque qui coûte moins cher que le Fox tout en ayant un design plus moderne ! » On voit le même effort sur le pantalon d’entrée de gamme de Shift. « On a supprimé le zip. Cela
peut en choquer certains, mais cela a permis de trouver le budget pour mettre du cuir sur l’intérieur de la jambe droite afin d’éviter que le pantalon ne soit brûlé par les échappements. Le cuir est cher, mais on arrive à le mettre sur un pantalon d’entrée de gamme grâce à ce
concept de simplicité. » La nouvelle botte, une première pour la marque, reprend la partie inférieure des Instinct et Comp de Fox, mais innove sur le haut, avec une fermeture par une seule pièce en silicone. Installer des crochets permet une fabrication simplifiée et un coût sérieusement revu à la baisse par rapport à ses grandes soeurs, tout en gardant l’essentiel question sécurité. Le concept fait donc ses preuves, mais sans se limiter à l’entrée de gamme. Sur le Blue Label, très exclusif, le nylon remplace par exemple le polyester pour gagner du poids sans perdre en résistance, tandis que le lycra fait son apparition. Dans le Black Label, orienté compétition, la diminution du nombre de panneaux et l’ajout de maille rend les maillots plus légers. Les pantalons sont d’une épaisseur réduite de 30 % qui a été testée et jugée plus que suffisante pour les besoins réels. Enfin, les genoux voient leur volume réduit grâce à l’emploi de matériaux plus élastiques. Avec des prix échelonnés respectivement à 79, 159 et 229 dollars pour les pantalons des différents labels, Shift a désormais des gammes aptes à séduire les pilotes de tous niveaux, pourvu qu’ils soient sensibles à l’image un peu rebelle de la
« Aujourd’hui, Fox peut apprendre de Shift. »
marque. Pour les pros, cette notion de gamme est accessoire. Ce qui compte, c’est le Blue Label associé au LAB.
Sur-mesure
Car Roczen, comme Reed avant lui, a immédiatement compris l’intérêt que représentait Shift. Non seulement parce que son côté différent colle bien à l’esprit des
Californiens. Mais aussi, et surtout, parce que la puissance de développement du LAB, qui peut s’exercer sans les contraintes marketing du géant américain, permet à ces pilotes d’exception d’influencer réellement
le développement des produits. « Les tenues Blue Label sont vraiment pensées pour offrir un maximum de flexibilité sur les épaules, décrit
Jayson Wickenkamp. Tout est pensé pour la performance en supercross. Ce sont des tenues où le concept de simplicité permet d’éliminer les coutures inutiles, d’employer les matériaux les plus récents pour limiter le poids, d’augmenter la flexibilité et la ventilation, d’offrir plus de grip au niveau des jambes. Bref, proposer en série ce qu’on peut faire de mieux en laboratoire. » Ayant appris à maîtriser le logiciel Adobe Illustrator, Chad Reed avait pris l’habitude de dessiner lui-même ses graphismes. Allant plus loin, il n’hésitait pas à se faire couper des tenues spéciales, s’étant fait prendre les mesures dans le labo Fox. Avec Ken Roczen, la démarche va plus loin. Il s’agit réellement de tester de nouveaux procédés de fabrication, avec de nouveaux matériaux susceptibles de donner un avantage au pilote Honda. Après quatre ans de développement dans le plus grand secret, la démarche paye. Au point que David Durham peut affirmer, sans l’ombre d’un sourire, qu’aujourd’hui, « Fox peut apprendre de Shift ». À côté d’une gamme Fox aboutie et tournée vers la performance, Shift joue donc dès cet été la carte de la différence et de l’innovation, prenant l’industrie et les consommateurs à revers. Il faut être honnête, personne n’attendait la petite marque américaine sur ce terrain. La communication, qui fait la part belle aux pilotes, retrouve l’esprit originel de Shift et place la personnalité des riders au premier plan, avant la performance. Là encore, c’est innovant, drôle, et ça parle aux pilotes qui roulent avant tout pour le fun. Outre Ken Roczen, les vidéos décalées mettent en avant Josh Hansen, le freestyler Taka Higashino… Des pilotes filmés en noir et blanc qui plaisantent devant la caméra et apportent un vent de fraîcheur bienvenu dans un monde MX parfois bien trop formaté. Cela plaît aux fans comme aux athlètes de haut niveau. Si Ken Roczen, premier ambassadeur du LAB, a fait sensation cette année en passant de Fox à Shift, le vétéran Chad Reed faisant le transfert inverse, le mouvement ne s’arrête pas aux USA. Le Français Gautier Paulin, qui aime bien se démarquer des autres compétiteurs et adore tout ce qui est hightech, arbore désormais des tenues marquées du logo 97, tout en conservant casque et bottes Fox. Coup de bol ou coup de pouce du destin, il enchaîne les bons résultats ! L’absence de concurrence frontale avec le grand frère Fox devrait permettre à Shift de s’imposer dans les créneaux laissés libres par le numéro 1 américain. Le come-back de Ken Roczen, qui sera sans l’ombre d’un doute l’un des événements les plus médiatisés et attendus de l’histoire du cross depuis les origines, devrait placer Shift sur le devant de la scène. Ce succès attendu devrait valider la démarche créative du LAB et nous faire entrer dans une ère nouvelle où le plaisir de rouler sera mis en avant. Si les rebelles prennent le pouvoir, dans une époque peut-être moins déjantée que celle des années 90 mais certainement moins consensuelle que celle de l’ère Villopotodungey, ce sera la fin du politiquement correct et le retour du fun. De quoi réjouir les fans de base que nous sommes !
« Design d’avant-garde, Shift innove et surprend. »