Moto Verte

La Vialle’s family

Chez les Vialle, la moto ne s’est pas transmise en héritage. L’ex-top pilote français a bien essayé de lutter mais Tom, son fils, a fini par attraper le virus. Et comme l’animal est plutôt doué, il a bien fallu s’y recoller. Entre prépa physique à la russ

- Par Laurent Reviron

Cette journée chez les Vialle pouvait difficilem­ent commencer plus fort. À peine débarqué dans la maison familiale, tout près d’avignon, me voilà en tenue de course à pied pour une séance d’entraîneme­nt très particuliè­re. Jamais je ne me suis retrouvé dans un tel état de fatigue physique en si peu de temps. Le concept qui consiste à faire des sprints d’une trentaine de secondes dans une côte que vous envisageri­ez à peine en marchant est aussi simple que d’une violence inouïe. En quatre répétition­s, c’est-à-dire deux minutes de course, vous avez le goût du sang entre les dents et l’envie de vomir. Mais en plus de me faire découvrir un entraîneme­nt très spécial, cet exercice m’a permis de mesurer à quel point Tom Vialle était motivé. Comme moi, il devait avoir les jambes qui brûlaient. Comme moi, il était dans le rouge complet en haut. Comme moi, il n’avait pas franchemen­t envie de retourner au charbon à chaque fois. Mais plus que moi, il avait envie d’être devant. Et à chaque fois, il a mis un point d’honneur à conserver une ou deux foulées d’avance. Tom fait ça une fois par semaine pendant deux mois. Ça permet de travailler l’explosivit­é, ça aide quand il faut doubler quelqu’un, réaliser des chronos…

Pris par surprise

Le reste du temps, ce sont des sorties vélo classiques : « Il a des problèmes de genou alors on favorise le cyclisme. On fait un petit peu de musculatio­n mais uniquement avec le poids de corps », précise Fred Vialle qui est entré dans une logique de haut niveau avec son fils. Il a pourtant tenté de l’éviter

pendant des années : « C’est un sport difficile et dangereux. J’estime qu’il y a plein d’autres choses que le motocross dans la vie et c’est sûr que j’aurais vraiment voulu éviter qu’il fasse de la moto. Mais on s’est laissé un peu

surprendre. Au départ, on a acheté à Tom une petite moto sans penser que ça nous emmènerait là. Tom a toujours été hyper demandeur de rouler. » Nathan, le plus jeune de ses fils, aime lui aussi faire de la moto, mais juste pour s’amuser. À l’inverse,

« Tom voulait faire des courses, se souvient

Fred. On a retardé le moment au maximum, mais on a fini par y aller gentiment. Cinq à six courses au début, puis rapidement, on est arrivés à un programme d’une douzaine de courses dans l’année. On s’est laissé prendre au jeu. Et depuis quatre ans, on a compris qu’on n’avait plus vraiment d’autre choix que d’essayer de le faire bien. Il prend des cours par correspond­ance. Il pourrait encore aller à l’école – il y a d’autres bons sportifs qui y vont encore – mais pour moi, on ne peut pas être bon à la fois dans un sport et à l’école. On peut en revanche être moyen dans son sport et à l’école. Mais de toute façon, les études c’est comme le sport, il faut être dans l’excellence pour y arriver. Et c’est difficile d’exceller dans les deux. On a donc décidé de mettre tout dans le sport. »

Fred est désormais à fond derrière son fils, mais un peu par la force des choses :

« Si je vivais le truc bien, ça serait plus simple. Là, ça me stresse énormément. Le résultat ne m’importe pas, ce sont surtout la chute et la blessure qui m’inquiètent. Quand il fait premier ou deuxième, je suis content, mais ce n’est pas ma priorité. Même aujourd’hui, alors qu’il y a le team et les sponsors, je ne suis pas dans une logique de résultats. Et je ne serai jamais comme ça, à le pousser. On voit des parents qui vont jusqu’à taper leurs enfants… Ça ne sert vraiment à rien. Ça repousse juste un peu le problème qui se posera quelques années plus tard. L’envie doit venir du gamin pour passer le cap. » Tom a perdu le Cadet à Saint-jean-d’angély pour cinq points. Il a chuté et a été victime d’une petite perte de connaissan­ce. Fred a tranché : « Le médecin disait qu’il pouvait rouler, moi, je n’ai pas voulu. Une perte de connaissan­ce, ce n’est pas rien, on peut mourir si l’on reprend un autre pet’ par la suite. Certains vont me dire qu’il faut changer de sport. Mais pourquoi ? Mon fils n’a pas roulé ce coup-là, mais un titre de champion Cadet, c’est rien. »

Stress paternel

Presque bizarre, ce stress de la chute, sachant que Fred ne s’est jamais blessé en vingt ans de carrière de cross à haut niveau : « C’est sans doute pour ça. C’est un truc que je ne connais pas puisque je ne suis jamais allé à l’hôpital. C’est un paramètre que j’ignore. Mais Pichon est sans doute aussi stressé que moi alors que lui, il a connu la blessure durant sa carrière. Je pense que tous les parents sont stressés. Ce n’est vraiment pas facile. » Ça fait maintenant deux ans que Fred s’occupe de la structure qui fait rouler son fils. Une bonne façon de mettre son expérience du haut niveau au service

de Tom : « Mon quotidien, c’est désormais d’entraîner Tom. On a mis sur pied cette structure qui entre dans sa troisième année. Elle a été créée pour Tom mais aussi pour aider les jeunes. Il y a Thibault Bouillier dedans, Demeester… Je m’occupe de trouver des sponsors et de faire rouler Tom. L’idée était de monter, avec Stéphane Bouillier mon associé de chez Bigmat, une associatio­n pour aider un jeune à passer en MX. Aujourd’hui c’est Tom, mais s’il trouve une autre structure l’an prochain ou dans deux ans, on essaiera de trouver un autre jeune. On va s’adapter. Mais pour obtenir des sponsors, c’est bien d’avoir un team, les aides ne dépendent plus forcément que des résultats, mais aussi de l’image. Et à résultats équivalent­s, Tom Vialle va être plus regardé qu’un autre. Comme Zachary Pichon. C’est con, mais c’est comme ça. Ça engendre une pression supplément­aire pour le gamin mais il s’y habitue. » Les habitudes ont bien changé depuis le temps où Fred était pilote pro et si ce boulot occupe une bonne partie de son temps, il n’est pas pour autant très lucratif : « Je donne des cours en plus à côté pour me rémunérer. Ça me permet d’entraîner Tom et d’organiser le team. Mais je ne m’enrichis pas en travaillan­t dans

« On a retardé le moment au max, mais on a fini par y aller… »

cette structure. C’est misérable ce que Tom gagne par rapport à moi au même âge. On devient des bénévoles parce qu’il n’y a plus d’argent dans la moto. On paye beaucoup de choses, comme les pneus par exemple. J’ai une grosse réduction chez Afam mais je paye quand même, comme les bottes chez Alpinestar­s. On a les casques Bell gratuits, les lunettes Scott. Kenny et Bihr nous suivent aussi. J’ai quatre gros sponsors : Bigmat Bouillier, VRD Provence, Translev, B Trans. Et à côté, j’ai plein d’autres petits sponsors qui donnent quelque chose par rapport à ma carrière. On a un certain nombre de nos sponsors grâce au nom. Les gens prennent plaisir à participer à cette aventure parce que si le fils de quelqu’un qui a un nom dans le motocross perce, ça fait une belle histoire.

Après, il y a des partenaire­s qui viennent chercher des résultats. On est aidés par KTM et s’il n’y a pas de résultats, ce ne sera plus le cas. » De retour chez Fred après cette séance de course à pied, on enchaîne par quelques exercices de renforceme­nt musculaire et un bon plouf dans la piscine pour récupérer de cette matinée. Après un restau sympa, c’est de moto qu’il va s’agir l’après-midi. Fred a quasiment stoppé sa pratique du motocross le jour où il a mis un terme à sa carrière. Depuis 2005, ses apparition­s sur une moto de cross ont été rares. On a réussi à le motiver à faire une entorse au règlement pour ce reportage. En mettant ses Tech 10 qu’il n’a pas sorties depuis un an, il avoue : « Je crois que c’est la contrainte de s’habiller qui me démotive

à aller rouler. » Le style n’a pas vraiment changé. Fred est toujours aussi généreux sur la poignée de gaz, assez atypique. Mais il a gardé un bon coup de gâchette. Il enchaîne les runs avec ses enfants. Il fait même quelques départs et là, le naturel revient au galop : c’est toujours à celui qui partira devant. Il s’offre le luxe de signer quelques holeshots devant son champion de Tom. Je me fais également plaisir à enchaîner quelques virages avec lui. Pour les besoins d’une photo, on se fait un petit saut ensemble. L’appel n’est pas large et les guidons ne sont pas loin au moment du décollage.

Rester frais

On s’offre quelques chaleurs avant de remballer et d’aller se poser chez lui où l’on reprend notre conversati­on : « Je suis sûr qu’à niveau et à âge égaux, Tom est celui qui a le moins roulé de tous les pilotes de sa génération. C’est un avantage. Lui est frais, contrairem­ent à certains pilotes qui, à son âge, n’ont déjà plus envie de faire de la moto. Ce sport est tellement dur qu’il faut s’entraîner tout le temps, mais avec ma crainte de la chute, je cherchais sans arrêt des excuses pour ne pas l’emmener rouler. Du coup, s’il se met vraiment à bosser aujourd’hui, il va peut-être faire exploser son niveau. Tom est en fin de deuxième saison en 250. L’année dernière était une année d’apprentiss­age avec beaucoup de roulage. On faisait juste un peu de travail physique intensif à côté. Tom ne maîtrisait

alors pas encore assez bien cette cylindrée et l’on ne pouvait pas faire du roulage rapide, alors on comblait le manque d’intensité sur la moto par du fractionné. Cette année, on a mis les courses de sable à notre programme. On n’est pas allés sur le supercross parce qu’il ne maîtrisait pas assez sa moto. On a roulé dans le sable à la place pour qu’il gagne en endurance. Et puis, le sable, c’est la base pour les trajectoir­es. C’était une bonne façon de préparer l’europe. On a continué à faire du fractionné, mais sur la moto. » Fred pourrait se servir de son expérience pour aiguiller son fils vers le monde du haut niveau. Et pourtant… : « Je ne m’appuie pas sur mon expérience. Ça a tellement évolué que je suis dépassé. En revanche, je sollicite certaines personnes du passé qui ont suivi

l’évolution. On va souvent rouler avec Yves Demaria et ses pilotes, et c’est finalement lui qui établit le programme de roulage de Tom. L’année dernière, on a pas mal roulé avec Valentin Guillod. Cette année, c’est avec Lieber. Je les laisse faire pendant que j’assure la mécanique. C’est très bien, ça le tire vers le haut. » On pourrait croire que Fred vit la chose au jour le jour mais en fait, il a un plan

sur le long terme clairement établi : « Tout est travaillé sur le long terme. Tom n’a pas gagné en 85. Évidemment que si on avait pu, on l’aurait fait. Tom n’a pas fait de 125, il est passé directemen­t en 250. Il va attaquer sa troisième année dans cette cylindrée, alors que certains de son âge vont attaquer leur première saison en 250. Ça ne veut pas dire qu’on va être devant mais on s’est donné les moyens pour être bien. On pourrait aller en Grand Prix l’année prochaine, ce n’est pas un problème. Le problème, c’est d’y aller pour rouler devant, et là, c’est bien plus compliqué. Y rester, ça l’est encore plus. L’idéal serait de participer à l’europe l’année prochaine puis les GP l’année suivante en faisant du mieux possible. On roule cette année sur le supercross pour préparer au mieux le futur. Si ça se passe bien en GP et qu’il a la possibilit­é d’aller aux États-unis, il faut qu’il sache rouler en supercross. Aujourd’hui, c’est là-bas que tu peux encore gagner de l’argent. » La méthode « Fred Vialle » semble commencer à payer, avec quelques beaux résultats dernièreme­nt, comme une victoire en Elite à Pernes-les-fontaines : « Je suis surpris de sa victoire. Surtout de sa capacité à gérer l’événement. On était chez nous, c’est une pression supplément­aire. Rivaliser avec les top pilotes alors qu’il n’avait pas réalisé une saison correcte jusque-là… Je ne pensais pas qu’il allait être capable de profiter de son bon départ en 2e manche pour aller au bout. Il a fait une course intelligen­te. Il a surpris tout le monde, et moi le premier, parce qu’on venait de loin. En quinze jours, il a gagné l’elite et fait 6e en SX. Ça prouve son potentiel. Il est capable de jouer la victoire au Touquet, de gagner l’elite et d’être devant en SX. Sa force, c’est d’aimer ça. Il essaie de s’améliorer. Il est travailleu­r. Je trouve en revanche qu’il manque un peu de fun, il faudrait qu’il se relaxe un peu. »

À la clé de 12

Le rôle que Fred tient à la clé de douze et au Kärcher pourrait paraître ingrat pour un ancien champion, mais Fred l’assume : « Je continue à faire ça par passion et je me régale. Au début, c’était techniquem­ent problémati­que parce que, jusqu’à maintenant, je l’avais rarement fait. Et puis heureuseme­nt que c’est devenu un sport de fainéants par rapport à mon époque. On roule moins qu’avant sur les courses ! Au SX, on a usé entre deux et trois litres d’essence. En cross, ça roule une heure vingt par jour. Si ça roulait autant qu’avant, je crois que j’arrêterais direct. » On n’a donc pas fini de croiser Fred sur les courses et sans doute prochainem­ent sur les GP.

 ??  ??
 ??  ?? La « family » au complet sur les terres avignonnai­ses. Nathan, le cadet, n’a pas pour l’instant attaqué la compétitio­n. Pour l’instant…
La « family » au complet sur les terres avignonnai­ses. Nathan, le cadet, n’a pas pour l’instant attaqué la compétitio­n. Pour l’instant…
 ??  ?? Dans le garage, Fred a gardé quelques souvenirs photo de sa carrière. Mondial, US, il a laissé une belle trace dans l’histoire du cross français.
Dans le garage, Fred a gardé quelques souvenirs photo de sa carrière. Mondial, US, il a laissé une belle trace dans l’histoire du cross français.
 ?? – Photos Alex Krassovsky ??
– Photos Alex Krassovsky
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France