Moto Verte

Gros plan sur la moto de Michel Vaillant

En 1982, Jean Graton publie le 41e album de Michel Vaillant intitulé « Paris-dakar » dans lequel Julie Wood chevauche une XT 500 arborant le numéro 106. En réalité, celui de la Yamaha de Jean-noël Pineau. Cette moto a été conservée dans son jus, pendant t

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« En 1982, le Dakar est une course mais aussi une aventure ! »

C’était une autre époque, au début des années 80, celle où le Dakar était une course difficile mais aussi une véritable aventure. Les concurrent­s devaient faire preuve d’initiative pour se ravitaille­r en essence et en nourriture, bricoler sur les liaisons à coups de fil de fer et de Sintofer, s’entraider et ne rien attendre de l’organisati­on qui avait déjà du mal à se mettre chaque jour en ordre de bataille. Les assistance­s empruntaie­nt le même tracé que les concurrent­s, sur un rythme éreintant, et elles étaient souvent à la ramasse, arrivant tard dans la nuit ou au petit matin. Il y avait souvent plus de boulot sur l’auto que la moto censée être révisée. Le Dakar, qui durait vingt jours, était un parcours du combattant, usant lentement mais sûrement, étape après étape, les mécaniques et les pilotes qui avaient une âme de guerrier. Jean-noël Pineau, Pinuche pour les copains, était de ceux-là. Excellent crossman, il participe à son premier Dakar en 1980. Au programme, 10 000 km à travers la France, l’algérie, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la Haute-volta et le Sénégal. Sonauto-yamaha ne s’engage pas officielle­ment, mais fournit des 500 TT (préparées par les frères Maingret de Moraco) via des concession­naires à Cyril Neveu, Gilles Comte, Christian Rayer, Michel Mérel, Éric Breton et Jean-noël Pineau. Face à eux, Hubert Auriol et Fenouil sur BMW, Gilles Desheulles et Philippe Vassard sur KTM, Bernard Rigoni sur une Honda…

Pineau sur le podium !

Malgré des problèmes de réservoir entraînant des pannes d’essence et une grosse gamelle trois jours avant l’arrivée qui lui valut une journée d’hôpital à Dakar (un traumatism­e crânien à retardemen­t), Jean-noël termine son premier Dakar sur le podium, derrière Michel Mérel et Cyril Neveu qui remporte son deuxième rallye d’affilée. Triplé Yamaha ! En 1981, encouragé par ce bon résultat, Yamaha met sur pied un team officiel managé par Jeanclaude Olivier avec trois Mercedes 280 GE, un camion Renault 6x6 et un avion bimoteur en assistance. Côté pilotes, les Bleus confirment Michel Mérel et Jean-noël Pineau, et font appel aux enduristes Yvan Tcherniavs­ky et Jean-pierre Lloret ainsi qu’au crossman Serge Bacou. Honda aligne Cyril Neveu, Bernard Rigoni, Philippe Vassard et Gilles Desheulles. BMW repart avec Auriol, Fenouil et Bernard Neimer. KTM prépare des 495 pour Elio Andriolett­i, Yann Cadoret, Luc Augier et Gilles Francru. On compte 106 motos au départ et seulement 28 à l’arrivée avec Hubert Auriol sur la plus haute marche, suivi par Bacou et Mérel. Après avoir remporté, en France, la spéciale des Garrigues, Jean-noël Pineau s’est démis l’épaule le 7 janvier. Malgré la douleur, car c’était un dur au mal, il a terminé l’étape à Timiaouine en Algérie et fut contraint à l’abandon. En 1982, l’année qui nous intéresse, Jean-noël a perdu son statut de pilote officiel, le team Yamaha engageant le crossman belge Jean-paul Mingels aux côtés de Michel Mérel et Serge Bacou. Via son magasin Sideways Motos à Saintavert­in, Serge Bacou file un coup de main à Jean-noël Pineau qui bénéficie d’une moto officielle de 1981 remise à neuf (kit JPX 570 cm3, frein avant à disque, fourche YZ, bras renforcé…). Avec 129 motos au départ et 33 à Dakar, le rallye aura encore fait le tri. Après une 4e place dans la spéciale d’olivet, Jean-noël trace sa route, pointant 19e à Gao le 10 janvier après avoir cassé un moteur. Il ne peut plus compter que sur son berlingot de rechange qui casse à son tour. Le 14 janvier, entre Gao et Tombouctou, trahi par sa mécanique, il est contraint de jeter l’éponge. Avec la même moto et le même numéro, Julie Wood aura plus de chance puisqu’elle se classe 14e, le vilain Sam Collo qui lui collait aux basques, jamais avare de coups bas, ne terminant pas le rallye. Parce qu’il était Nantais, comme lui, Jean Graton fait de Michel Mérel le vainqueur de ce Dakar imaginaire, devant les incontourn­ables Neveu et Auriol. Côté auto, pour que la logique soit respectée et que l’histoire soit belle, les héros Steve Warson et Michel Vaillant remportent l’épreuve devant Ickx-brasseur.

Vingt ans dans le grenier en pièces détachées

C’est Dominique Rochette qui détient la Yamaha 500 de Jean-noël. Pour notre séance photos, rendez-vous est pris à Paris, Place de la Concorde, là même où s’est élancé le Dakar 1982. Dominique y était, navigateur d’hubert Rigal dans un Range Rover d’assistance. Il était responsabl­e du service course Sonauto-yamaha, poste qu’il a occupé de 1975 à 1998. Cette longévité dans l’excellence en fait l’un des technicien­s les plus respectés du monde de la moto. Il connaît mieux que personne les XT 500. Il nous raconte l’histoire de la Yamaha #106. « Serge Bacou m’a offert cette XT en 1985, en pièces détachées, dans son jus, portant les stigmates de la course et encore couvertes de la latérite des pistes africaines. Mais elle était incomplète. Il manquait la fourche, le bras oscillant… Je l’ai entreposée une vingtaine d’années dans mon grenier avec l’idée de la remonter un jour

(rires). Chose que j’ai enfin faite, mais sur plusieurs années car il ne faut pas être pressé pour retrouver les pièces d’origine comme la fourche D’YZ de 43 mm, le bras oscillant renforcé, fabriqué en 1981 chez Barigo avec des tubes rectangula­ires car les ronds ne tenaient pas. Les amortisseu­rs sont des De Carbon à gaz nettement plus efficaces que les originaux. Le moteur n’est plus le JPX 570 monté au départ car il a été changé durant le rallye, tout comme la roue avant initialeme­nt équipée d’un frein à disque et que Jean-noël a troqué pour une roue avec frein à tambour, sans doute à la suite d’un gros choc ou d’une chute. Sur le Dakar, ce genre de micmac mécanique était fréquent. Le mono JPX a été remplacé par un bloc XT 500 d’origine, y compris au niveau carbu et embrayage, simplement accouplé à un échappemen­t type mégaphone. Une majorité des pilotes changeait de moteur durant la journée de repos, à mi-course, car il ne tenait pas la distance à force de bouffer du sable par le filtre. À la place de la mousse, j’utilisais des filtres en papier de Porsche 356, un peu plus volumineux, que l’on changeait chaque soir. Pour nous approvisio­nner, c’était facile car à l’époque, Sonauto importait aussi Porsche, c’était l’atelier d’à-côté, il suffisait de se servir » se souvient amusé Dominique, jamais à court d’anecdotes. Pour fiabiliser un peu plus la XT, Dominique a adapté un radiateur d’huile de Citroën 2 CV fixé côté gauche sur le carter d’allumage.

De l’essence siphonnée la nuit sur le DC-3…

Avec une consommati­on de 8 l/100 km, la Yamaha, qui accrochait les 130 km/h, devait prévoir large au niveau du réservoir. Celui-ci, en tôle fine d’un millimètre, contient 45 litres et n’est pas cloisonné, ce qui entraînait des fuites à l’extrémité avant droite. Pour y remédier et éviter que l’essence qui se balade n’engendre des coups de bélier destructeu­rs, Sonauto remplissai­t le réservoir de morceaux en mousse d’origine F1 reliés entre eux qui n’occupaient que 3 % du volume. Sur les premiers Dakar, les concurrent­s s’approvisio­nnaient en essence locale dont la qualité fluctuait. Puis les teams se sont organisés pour faire venir leurs propres fûts tout au long du rallye et ainsi optimiser le fonctionne­ment des moteurs. Au début des années 80 – on peut le dire car il y a prescripti­on – Dominique Rochette améliorait l’ordinaire en siphonnant discrèteme­nt, la nuit, via des purges sous les ailes, l’essence Avgas 100 LL utilisée par le Douglas DC-3 du rallye qui emportait 3 000 litres de coco. Avantage de ce carburant bleu, un haut indice d’octane dont les moteurs sont friands. Le Dakar, c’était la course à la débrouille. La Yamaha de Jean-noël Pineau est équipée d’un sabot moteur de 500 TT sérieuseme­nt ajouré (2 heures de perçage) et d’un solide porte-paquet en tube de forte section accueillan­t une grosse trousse à outils pesant facilement 6 kg du fait de la chaîne, du dérive-chaîne, des démontepne­us, des chambres à air… Notez que la partie arrière de la selle fait également office de trousse à outils pour des éléments compatible­s avec une réception acrobatiqu­e. Une petite sacoche en cuir de style Brema était également fixée sur le réservoir. Autre spécificit­é de cette Dakarienne, montée sur le côté droit du guidon, une boussole d’avion qu’il fallait compenser avec des aimants pour qu’elle ne perde pas trop la boule lorsque le phare s’allumait, l’alternateu­r générant un champ magnétique. Ainsi remontée, d’un savant coup de kick asséné par Dominique, cette Yamaha craque comme au premier jour. En 1983, pour la quatrième fois, Jean-noël Pineau, dans la peau d’un privé, prend le départ du Dakar, toujours fidèle à Yamaha. Le 15 janvier, en Hautevolta, en liaison, il est percuté par un véhicule militaire. Jean-noël meurt d’une hémorragie interne lors de son transfert vers l’hôpital. Il avait trente ans. Sa Yamaha #106 mise en lumière dans Michel Vaillant par Julie Wood perpétue son souvenir avec émotion.

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Le réservoir de 45 litres offre 450 km d’autonomie. La boussole est de rigueur et un radiateur d’huile de Citroën 2 CV aide au refroidiss­ement du bloc XT 500.
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Jean-noël Pineau ne verra pas Dakar en 1982, moteur cassé, mais Julie Wood se classe 14e.
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