Olivier Perrin, un mec à part…
Olivier Perrin restera à jamais un pilote « à part », fruit d’un subtil mélange entre une personnalité rare et décalée et un pilote talentueux, aussi rapide que généreux de la main droite. Vingt ans après sa tragique disparition, MV Classic repart à la rencontre d’une des personnalités les plus décalées et attachantes que le motocross ait connues…
« Je n’aborde pas la vie de la même façon que les gens en général… »
Ses coups d’éclat, ses performances en MX, en SX, ses frasques légendaires sont autant de tranches de vie d’une décennie de carrière pro qui ont nourri d’innombrables récits que l’on retrouve au cours du temps dans les colonnes de MV et plus récemment sur la toile des forums spécialisés. Mais au-delà des anecdotes bien souvent hilarantes, nous avons eu envie de vous faire partager à nouveau la personnalité du pilote qu’était Olaf. Au travers de ses propres mots, de ses réflexions introspectives, de sa vision du sport et de la vie en général. Des paroles extraites d’interviews livrées dans nos colonnes à l’été 91. Morceaux choisis en compagnie de Christophe, dit Mao, et Xavier, dit Dilhat, ses deux plus jeunes frangins qui l’ont accompagné durant toute sa carrière…
Sa différence…
« Depuis l’école, j’ai toujours été différent. J’étais un élève différent de la norme et depuis, rien n’a changé. Quelle que soit la chose que je fais, je l’aborde différemment. Il en va de même pour le motocross. Enfin différent, je ne sais pas à quel point, mais c’est vrai que je n’aborde pas la vie de la même façon que les gens en général… »
Mao et Dilhat commentent : « Olive était un mec cultivé, très cérébral, très réfléchi, dans un grand bordel organisé ! Il tenait son caractère de notre père. Il avait un besoin constant de nourritures intellectuelles. Son éducation chez les Jésuites lui a permis de s’ouvrir sur pleins de choses. Il parlait anglais, espagnol, italien et était passionné d’histoire et de géographie. Il était curieux de tout par nature. C’est cet aspect de sa personnalité qui a marqué le plus les personnes – et elles sont nombreuses – qui l’ont côtoyé dans le milieu. En fait, il parlait très peu de moto avec les gens de la moto ! Et forcément, quand il se pointait sur un podium en pantalon de flanelle de chez Berteil et ses Weston aux pieds, ça créait un décalage ! Attention, il ne le faisait pas par frime, mais par respect ! Parce qu’il fallait être respectueux des organisateurs, des bénévoles, du public et que porter un tee-shirt et un blouson publicitaires n’était pas une marque de respect. C’était son éducation, notre éducation, et il était vraiment en décalage à ce niveau-là avec le reste des pilotes. Assez récemment, j’ai reçu un message particulièrement émouvant de Broc Glover qui me disait qu’il avait rarement rencontré un mec d’une qualité et d’une instruction comme celles de notre frère et qu’il avait passé des moments exceptionnels avec lui… »
Un mec simple
« Une bonne journée pour moi, c’est une course, réussie ou pas, dans laquelle je me suis bien donné. L’autre jour, je suis allé faire un cross Inter en Angleterre et j’étais seul avec mon petit Ford Transit (NDR : Foxhill 1991.) au milieu des camions officiels. Les mecs me regardaient de haut […] Après les chronos où j’avais le quatrième temps, ils me regardaient différemment. En course, j’ai vraiment bien roulé (NDR : DNF/4/3), je me suis bagarré avec Jobé et Malin et j’ai finalement terminé troisième, Thorpe était à huit secondes sans jamais pouvoir revenir sur moi. Après la
course, j’étais là, torse nu […] et tout le monde me regardait avec respect, pas pour ma personnalité mais parce que je venais de faire une bonne course. Et moi, j’étais heureux. […] Le soir, dans le ferry, j’ai claqué plein de thunes dans les machines à sous, il ne m’en faut pas plus et j’ai passé un super week-end. J’aime les plaisirs simples de la vie… »
Mao commente : « D’ailleurs, en arrivant à Foxhill le samedi matin, les marshalls nous ont refusé l’entrée du parc coureurs Inter pensant que c’était un pilote amateur ! Faut dire que le Transit blanc ne payait pas de mine ! Lui s’en foutait complètement… Ça aussi, ça venait de notre éducation. Bien qu’il soit concessionnaire et que le business marchait bien, mon père n’a jamais acheté un camion neuf pour nous emmener sur un cross. Avec lui, c’était : “On y va avec une bagnole, une remorque, si t’es le meilleur en piste, tu gagneras, ça sera très bien. Pas besoin de se prendre pour un autre, si ça marche pas, on fera autre chose. Et point barre !” C’était sa façon de voir les choses et cet état d’esprit est toujours resté dans l’esprit d’oliv’. »
Une sensibilité à fleur de peau
« Chez moi, l’émotion prend le pas sur la discipline, ça ne fait aucun doute. J’ai toujours tendance à me laisser dépasser par les événements. […] Je suis incapable de faire les choses raisonnablement. Je n’arrive pas à me mettre au premier plan et mon organisation en souffre évidemment. Je pense toujours aux autres, mais ça, c’est le résultat de mon éducation. Les Jésuites ont laissé quelques traces chez moi. Le cerveau d’un môme, c’est une plaque de plâtre frais et ils ont laissé de sacrées empreintes. Je suis imprégné, ces cons-là m’ont marqué à vie. C’est un peu ça aussi mon problème… Quand j’ai débarqué en Inde (NDR : SX de Poonawalla, Trophée Rodil) la première fois, je ne savais pas où j’avais mis les pieds. Enfin quoi, je venais disputer une course de moto dans un pays où les mecs crèvent de faim sur les trottoirs, j’avoue que je me suis demandé ce que je venais foutre là. C’était indécent, presque une insulte vis-à-vis de ces gens. » Mao qui accompagnait Olaf dans ce trip témoigne : « Oliv’ était vraiment choqué. Au point de se prendre la tête à ce sujet avec son grand pote Pat Boulland… Bon, ce qui ne l’empêchera pas, une fois sur la moto, de faire le show. À tel point qu’après la course, on a commencé à entendre le public scander “We want Perrine, we want Perrine”. Il faisait 40° à l’ombre et j’avais déjà commencé à démonter la moto. Mais lui, il voulait y retourner ! Il a emprunté celle de Maloigne et fait deux tours de circuit en roue arrière… Le public était complètement dingue ! C’était devenu un dieu et l’on a mis trois heures à sortir du stade… Le soir, après la remise des prix, il a passé deux heures à distribuer une bonne partie de sa prime aux enfants qui mendiaient dans la rue… Il était d’une générosité incroyable, voire irresponsable ! S’il avait trois maillots pour une course, il était capable d’en filer deux. Et neufs ! Car il n’allait pas filer un maillot dégueu à un supporter… Sur le moment, ça m’exaspérait, mais j’ai compris bien plus tard que c’est cette générosité qui resterait.
« Les voyages sont indispensables. La monotonie me fait peur… »
Il n’était pas matérialiste pour un sou, il ne gardait jamais rien, ne vendait rien, il donnait tout ! »
Olaf, le globe-trotter
« Les voyages sont indispensables. Moi, la monotonie me fait peur, même dans le cross, c’est vite la routine. Alors faire une course en Inde ou en Australie, c’est bien sûr l’occasion de rompre avec le quotidien, c’est quelque chose de nouveau. C’est découvrir des pilotes, des pays, je regarde autour de moi et j’y vois un tas de choses… Quand je pars comme ça, je m’intéresse plus au mode de vie des gens qu’à la course. Attention, je ne dis pas que je la néglige, au contraire, j’ai toujours l’anxiété de bien faire, mais le reste est quand même plus important. […] Je m’arrange toujours pour essayer de voir comment les gens vivent. Je vais dans les bars, les centres commerciaux, on y voit beaucoup de choses. » Mao et Dilhat analysent conjointement : « L’anxiété de bien faire… Ça, c’est une certitude. Il était super anxieux ! Au point où il n’arrivait jamais à dormir la veille d’une course. Ceux qui ont partagé des chambres d’hôtel avec lui s’en souviennent encore ! Toute la nuit, c’était une pile électrique, il n’arrêtait pas ! Il faisait nonchalant comme ça, mais c’était quelqu’un de très anxieux, de très angoissé intérieurement. Souvent, il roulait mal parce qu’il se mettait trop la pression. Sinon, les voyages ont toujours été essentiels chez lui. Il ne regardait pas la prime qu’on lui donnait, il regardait avant tout la destination où il allait. Le motocross était devenu un prétexte au voyage, à l’évasion, à l’échange culturel. À l’étranger, quand on restait plusieurs jours au même endroit, on ne le voyait pas de la journée. Il partait seul, allait visiter des endroits paumés à la rencontre des gens et de leur mode de vie. Le soir, il rentrait et nous expliquait tout ce qu’il avait vu pendant trois heures avec une ferveur incroyable. La moindre anecdote pouvait devenir chez lui une source de réflexion métaphysique ! C’était un globe-trotter dans l’âme. Il avait une vraie faculté à s’adapter aux personnes, aux cultures. Son approche avec les pilotes étrangers était incroyable. Il a toujours – et mes parents et nous avec ! – accueilli à la maison des pilotes venant
des quatre coins de la planète. Des Australiens, des Canadiens, des Néo-zélandais, des Réunionnais… Les frères King, Darryl et Shane, Darryl Atkins, Jeff Leisk et plein d’autres… Les mecs restaient trois mois, six mois… Y’avait toujours une caravane ou un camping-car dans la cour ! Il se démenait auprès de Moncler et Bougie pour inscrire un tas de pilotes étrangers sur les listes de cross Inter. Toujours de façon gratuite, juste pour aider les mecs… Il avait le coeur sur la main et il était vachement reconnaissant des gens qui l’ont aidé au cours de sa carrière. C’était sa nature profonde. »
Sa relation au motocross…
« Quand tu consacres 90 % de ton temps à une activité, c’est relativement profond. Sinon, ce n’est pas la peine. Bon, je ne sais pas si le motocross l’est en lui-même, c’est la façon dont tu t’impliques dedans. […] Il y a des moments privilégiés dans ce sport, la félicité que j’éprouve après certaines courses est quelque chose de rare, surtout après une bonne course bien sûr. Ce sont des moments rares qui ne dure pas longtemps et je ne sais pas si je retrouverai cette sensation quand j’en aurai fini avec le cross… Bon, je suis un peu maso, c’est vrai, mais quand tu es mort de fatigue, complètement vidé, avec des trucs fugitifs et insaisissables qui te passent par la tête, c’est grand ! Je n’ai jamais dédaigné les petites épreuves et j’ai toujours eu un calendrier chargé ! Et c’est peut-être pour ça que je n’ai jamais réussi à faire une saison complète au niveau que l’on attendait de moi, je ne me suis jamais préservé et de toute façon, je ne sais pas refuser. Mais j’aime la compétition et je me donne partout à 100 %. » […]
Mao poursuit : « Oliv’ était au guidon comme dans la vie : on fait les choses à fond ou on ne les fait pas ! Il n’était jamais en demi-mesure, c’était “on” ou “off” et c’est pour cela que c’était aussi un tueur aux chronos. C’était sa façon de rouler, d’être au guidon d’une moto. Y’a jamais eu de calculs chez lui et c’est ce qui lui a coûté bien des titres et des victoires… C’était un compétiteur né. Que ce soit au mini-golf ou au baby-foot, il détestait perdre ! C’était la compet’ pour tout et il était bon dans tous les sports qu’il a pratiqués : gymnastique, football, golf, tennis. Le seul sport qu’il n’a pas pratiqué, c’est la natation car il ne savait pas nager… Il avait une peur bleue de l’eau ! D’où le traumatisme encore plus grand de la noyade de Pat (NDR : Boulland, disparu le 25 décembre 1991, quelques mois après cette interview alors qu’ils étaient ensemble sur une plage de La Réunion)…
« La félicité que j’éprouve après certaines courses est quelque chose de rare. »
« J’ai fait des trucs sympas qui correspondent à ma personnalité. »
Un potentiel gâché ?
« J’ai donné beaucoup d’énergie mais en négligeant des petits détails qui ne me semblaient pas très importants à l’époque. Mais je ne regrette pas plus que ça, ponctuellement j’ai fait des trucs sympas qui correspondent bien à ma personnalité. Je suis spontané et impulsif. Maintenant, j’ai trouvé une ligne de conduite mais elle s’est imposée à moi naturellement sans me forcer le moins du monde. C’est peutêtre un peu tard, mais je l’accepte avec philosophie. C’est sûr que certaines performances ponctuelles dans des grandes courses, ma vitesse de pointe dans des qualif’ ou en supercross m’ont prouvé que j’avais le potentiel pour faire mieux, mais c’est comme ça… Oui, je suis peut-être passé à côté d’une carrière plus conséquente. Mais bon, pour cela, j’aurais dû mettre de côté des choses auxquelles je n’étais pas prêt à renoncer. Et je ne veux surtout pas avoir de regrets. Mettons que je suis quelqu’un qui se pose des questions et j’ai mis du temps à me cerner car j’aime beaucoup de choses dans la vie. Alors c’est vrai que j’ai toujours eu du mal à me consacrer à 100 % à une activité qui m’a toujours paru extraordinaire, mais un peu futile… C’est dommage parce qu’à une époque, j’aurais pu saisir le coche. J’avais tout, y compris la vitesse, et je sais que Royal Moto m’avait donné une bonne chance au niveau matériel. J’y pense encore car vraiment, ça aurait pu marcher et je suis encore reconnaissant de ce qu’ils ont fait pour moi… Bon, ça a merdé pour tout un tas de raisons d’organisation personnelle, mais je ne regrette rien, je suis comme je suis ! » Ce que confirment les frangins : « Il était incroyablement tête en l’air ! Il a perdu dix fois son portefeuille, son passeport… Notre mère en pleurait ! C’est sûr que vu de l’extérieur, il était très bordélique, mais intérieurement, il était très impliqué et appliqué. C’est juste qu’il était différent. Il faisait les choses à sa façon, avec sa vision des choses. Il était impossible à cadrer… Il n’a jamais pensé que pour gagner il fallait un camion propre, bien rangé, bien organisé et qu’il y avait des codes à respecter pour gagner en crédibilité… Ça ne le gênait pas entre deux manches d’aller s’acheter une gaufre au chocolat avec son blouson KTM officiel sur le dos et de la manger devant tout le monde ! Après, il a réussi à faire cette carrière en étant autonome, sans jamais devoir une thune à personne. »
La fin de carrière
« J’ai commencé le motocross assez tard et je suis allé à l’école jusqu’en 1985. Je sortais du bahut le vendredi soir, mon père m’emmenait et l’on roulait toute la nuit. J’arrivais sur le terrain le samedi, j’avais encore mes mocassins et mon pantalon de flanelle. Je me qualifiais, roulais le GP et le lundi, c’était terminé, je retournais au lycée. Mais je ne regrette pas du tout, ça m’a permis de rester dans un style de vie normal pendant plus longtemps et surtout de prendre un peu de distance avec tout ça. Je ne considère pas avoir perdu du temps, juste vécu les choses
d’une manière différente. Le jour où je vais sentir qu’il est temps pour moi d’arrêter, ça ne me posera aucun problème, ce qui n’est pas le cas de tout le monde… »
Ses frères poursuivent : « Sa carrière s’est finalement stoppée nette un peu plus d’un an après au SX de Dortmund début 93… (NDR : voir encadré) En passant en 500 avec sa propre structure, il avait retrouvé la flamme et obtenu ses meilleurs résultats en Élite comme en GP. Ça n’a pas dû être facile parce qu’il venait de signer un bon contrat avec un programme complet sur les GP et un début de saison en SX aux US, mais il était fataliste. Sa jambe était détruite. Il voulait passer à autre chose et comme il le dit, ça ne lui a pas plus posé de problèmes que ça. La page était tournée. Il suivait toujours le MX et analysait les résultats avec attention. Il aimait le sport, tous les sports, il ingurgitait des tonnes d’informations que ce soit en cyclisme ou en foot. Après, il est devenu passionné de courses de chevaux. Il allait voir les entraîneurs, leur posait des tas de questions sur la préparation, l’entraînement ou la santé des canassons. Pour lui, il était inconcevable de mettre bêtement une croix sur un numéro. En quelques mois, tout le monde le connaissait dans les paddocks. C’était un passionné ! »