« Strijbos-cagiva, Jmb-honda, tout oppose le Néerlandais et le Français. »
En deuxième manche, Straï gagne et je fais trois derrière Mike Healey car j’ai un gros souci de pneus. Je roule Michelin pour l’usine, mais on connaît des problèmes d’arrachement de crampons sur ce genre de terrain un peu dur et rocailleux. Au bout d’un quart d’heure, j’arrache tous les crampons à l’arrière et je finis en pneu slick… Même devant, j’ai des crampons qui s’arrachent ! Autant dans la boue nous étions “royal”, autant là, sur un sol plus dur et caillouteux, c’était la galère ! En première manche, la terre était plus humide, ça allait, mais en seconde, les pierres sont ressorties et c’était la cata ! Au bout de vingt minutes, je n’avais plus de grip. Nous avions également des soucis avec les mousses qui étaient en plein développement. En Finlande, on a été obligé de visser les pneus sur la jante tous les 15 cm car sur l’angle, le pneu rentrait à l’intérieur de la jante et attaquait la mousse… »
Ça ne manque pas d’air!
« Je suis en Dunlop ! Maintenant, je peux le dire, il y a prescription (rires) ! En Suisse pour la finale, mes pneus étaient stickés Michelin, mais c’était des Dunlop “factory”… En fait, au soir de la Finlande, je suis allé voir Michelin en leur disant que s’ils avaient des soucis de développement, moi et eux avions un titre à jouer ! Je leur ai donc demandé l’autorisation de faire “autrement”. Ils m’ont dit “OK” et j’ai appelé Jean-pierre Labbaye de Dunlop que je connaissais bien. Je lui ai demandé la faveur de pouvoir me monter ses pneus en les stickant Michelin. Il a accepté… »
Sept points d’écart à la veille du dernier GP
« Y’a plus le choix ! Je suis confiant parce que c’est de la terre et que sept points finalement, ce n’est pas grandchose. Ce n’est pas une grosse avance et c’est lui qui a la pression car je n’ai plus rien à perdre de mon côté. En première manche, je suis largement en tête, au panneautage je sais que Straï remonte, mais ce n’est qu’une fois la ligne franchie que je sais qu’il fait quatre et que l’on se retrouve à égalité de points… C’est dingue après vingt-deux manches ! Et là, honnêtement, dans ma tête, je suis beaucoup plus costaud qu’en milieu de saison. C’est lui qui subit, ce n’est plus moi ! »
« Bon, tu le tues, hein! »
« Juste avant le départ de la deuxième manche, je suis dans le pré-parc et je vois ma mère qui vient vers moi. Normalement, une maman, c’est toujours protecteur vis-à-vis de son fils avant le départ d’une course. Mais là, elle vient me voir avec un air sérieux, grave… Je pense qu’elle va me dire “fais le maximum, fais ce que tu peux”, mais en fait elle arrive, elle me regarde dans les yeux et me dit : “Bon, tu le tues, hein !” »…
Une course, un titre…
« Quand tu grandis depuis tout petit dans ce milieu-là avec la passion de la compétition et celle de gagner, quand un instant comme ça qui peut te consacrer, récompenser toutes ces années d’investissement se présente, il n’y a plus de réflexion. Il faut le faire. Point barre ! Tu es face au truc que tu as construit pendant tant
d’années que tu n’as plus le droit de passer à côté, de faire machine arrière. Tu t’es mis toi-même au bord du précipice. Ce n’est pas confortable, c’est beaucoup de pression mais tu y es… Donc, tu sautes et tu sautes le plus haut et le plus loin possible ! Le départ est hyper chaud ! Dès que je sors de la grille, je regarde à droite pour savoir où il est… Et il est là, à mon niveau, et je comprends que le freinage va être super chaud ! En 125, c’était long le départ ! Il fallait s’appliquer, passer les vitesses vraiment au bon moment parce que sinon tu perdais tout de suite 50 cm. Je retarde au maximum le freinage et quand je rentre dans le virage, j’ai son radiateur sur ma jambe ! On se touche, c’est tendu… Et l’on sort un et trois, Conti (ndr : Massimo Contini), son coéquipier, est avec nous. Straï est en tête, Conti est deux et je suis trois. Je me méfie car je sais que Conti va faire son maxi pour me faire commettre des erreurs. Après, c’est un Italien, c’est un compétiteur, mais il est assez fair-play. Bon, il ne va pas me laisser passer, c’est sûr, et je dois me méfier. Mais surtout devant, je vois Straï qui se traîne. Je le vois de suite et je sais que je peux rouler deux secondes plus vite sans soucis. Donc, je ne panique pas et j’attends la bonne opportunité en me disant : “dès que tu le passes, t’allumes et tu ne lui laisses pas la possibilité de venir te toucher ou te prendre la roue”. J’attends encore un peu et quand je le passe, je fais trois tours à bloc et je lui mets cinq ou six secondes en trois tours et là, il craque… C’est fini ! La course est réglée ! »
Jmb/straï
« Pour lui, c’est terrible… J’en ai reparlé avec lui, on s’est revu sur des courses il y a deux ans, on a vécu simultanément une saison charnière cette année-là. Qui te marque à vie. Ça peut basculer d’un côté comme de l’autre… Ça bascule du bon pour moi, du mauvais pour lui… Un duel avec une fin comme celle-là, ça change ta vie, ça change ta carrière. Après, ce n’est plus la même. Je suis champion du monde et avec Pat (ndr : Boulland), un mois plus tard, on part aux US, on rencontre Roger (ndr : de Coster), on planifie ma venue aux US, ça change tout… Je valide la première étape de mon parcours cross. Maintenant avec Straï, nous n’avions pas les mêmes objectifs de carrière. Lui, son truc,
c’était de rester en Europe, d’enchaîner les saisons, de passer en 250, de garder son guidon d’usine. Finalement, je ne pense pas que ça l’a affecté à ce point. Il perd le titre, mais il fait deuxième du championnat, son contrat est tout de même rempli… »
La célébration
« C’est une délivrance. La délivrance d’avoir réussi. En fait, c’est une étape pour moi, je sais qu’il y a des choses derrière et que la réussite de ma carrière n’est pas là. Mais je suis super content, le HRC est content, tout le monde autour de moi est content. Je sais que cela va me permettre d’être plus à l’aise avec Honda pour la suite. Mais ce n’est pas la folie. Ça n’a jamais été la folie de toute façon ! Je n’ai jamais été exubérant. Je ne suis pas très fanfaron ! Je suis dans la satisfaction
intérieure d’avoir réalisé quelque chose de beau, mais je ne suis pas dans la satisfaction d’être le meilleur et de dire que je les ai tous écrasés. Ce n’est pas du tout mon style et pas du tout ma façon de voir les choses. C’est une joie très personnelle, en fait. »
Si je n’avais pas eu le titre?
« On ne refait pas l’histoire ! Je n’y ai jamais trop pensé en fait… Et surtout, j’ai tout fait pour l’avoir ! Parce que je savais que mon futur dépendrait beaucoup de ça. Je n’ai jamais repensé à l’éventualité d’avoir perdu cette course et ce titre. À aucun moment… Je dis “cette course” parce que pour moi, je n’ai pas été champion du monde sur la saison, mais sur une course ! D’ailleurs, quand tu regardes la saison, tu vois que l’on est pareil avec Straï. Un coup l’un, un coup l’autre,
selon le destin et l’on se retrouve à la dernière course à égalité de points. En fait, il fallait gagner une course et c’était celle-là ! »
Moment d’histoire « Tu as l’impression que le scénario est écrit d’avance pour une production hollywoodienne ! C’est un truc de fou… C’est ma vie depuis que je suis dans ce milieu, il y a des trucs qui se passent et qui viennent d’autres mondes… Là, c’est la première fois que j’y suis confronté mais après, avec le recul, je m’aperçois que ce ne sera pas la dernière et qu’il y aura plein de trucs comme ça qui vont venir marquer mon évolution… Me donner la possibilité d’aller pousser dans mes derniers retranchements. Cela aurait pu être plus facile pour moi, mais non, il fallait ça, il fallait cette dernière course couperet, ce moment incroyable. Pour que plus tard, j’aie la possibilité de m’imposer dans un milieu comme le SX US qui était extrêmement fermé aux pilotes français, et étrangers tout court ! Aujourd’hui, ce n’est plus pareil, les USA se sont largement ouverts. Donc, ce final incroyable m’a bien servi… »
Le jour d’après « Ma seule idée, c’est de partir aux US ! Je sais que Roger n’attendait qu’une chose : que je sois champion du monde et que je vienne le voir pour préparer la saison 89. Je le rencontre donc aux US et je lui présente les propositions que j’ai reçues pour rouler en championnat US. Celle de Suzuki, de Kawa et ma proposition de monter en GP 250 par Honda France et le HRC. Et là, Roger me dit : “ne vient pas ici avec une Suzuki ou une Kawa. Regarde les résultats d’honda depuis des années, nous sommes tout le temps devant. Ici, si tu veux gagner, ce sera avec une Honda. Donc, laisse-moi un an, fais les GP 250, soit champion du monde, viens le plus souvent possible ici, installe-toi ici et viens faire le SX en début de saison”. Dès septembre, je mets ce plan en route, je trouve une maison et je prends une licence américaine pour pouvoir faire le début de saison SX. »
Le couac de la licence américaine « En fait, j’étais obligé de prendre une licence américaine car le SX US n’était pas encore un championnat du monde, mais un championnat national. Et là, ça pose un problème avec la fédé. Ils le prennent mal parce qu’à cette époque-là ce sont des ignorants et des incapables qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez ! Avec le recul, mes titres aux USA ont contribué à développer le cross français. Je ne voulais pas devenir Américain, je voulais rouler aux USA ce n’était pas la même chose. Et pour cela, je n’avais pas le choix, il fallait que je prenne une licence AMA, c’est tout ! J’ai trouvé un accord avec eux et j’ai payé 55 000 francs, soit l’équivalent de 10 000 € actuels. J’ai
fait le chèque en rigolant et je me dis qu’ils vont le payer à leur tour. Je n’avais rien contre la France, j’ai toujours été Français, y compris aux USA. Aujourd’hui, j’habite en France, les trois quarts des pilotes qui sont partis courir là-bas sont encore aujourd’hui résidents là-bas, pas moi ! À aucun moment, je ne me suis “américanisé”, j’ai toujours été un Français aux États-unis. En réaction à l’attitude de la fédé, je fais le championnat du monde 250 en 1989 sous la bannière du drapeau américain. J’ai un responsable de L’AMA qui m’accompagne sur les courses et quand je gagne, j’ai l’hymne américain derrière. Et là, c’est pour me foutre de la gueule de la fédé française ! Vous avez voulu jouer, on joue jusqu’au bout ! S’ils n’avaient pas réagi comme ça, j’aurais mis une casquette française en écoutant l’hymne américain, des choses comme ça, j’aurais trouvé des solutions pour palier à ce problème incontournable de licence… Ça m’a bien agacé. Avec un peu de recul, je me suis dit que c’était la bêtise de certaines personnes mais ça ne m’a pas détourné du fait que je voulais gagner aux USA en étant Français, ce que j’ai fait… »