Moto Verte

Ryan Dungey juge la saison SX…

- Par ODV & JCV – Photos ODV, S. Cudby

Tout juste un an après l’annonce de sa retraite sportive, Ryan Dungey est en pleine forme. Souriant, ouvert, le quadruple champion SX croque sa nouvelle vie à pleines dents. Que fait-il depuis douze mois, quels sont ses centres d’intérêt, comment analyse-t-il son sport ? Voici quelquesun­s des thèmes abordés lors d’une interview enrichissa­nte et pleine de recul.

Il y a un an, après ton 4e titre SX arraché à l’issue de la finale de Las Vegas, tu annonçais la fin de ta carrière sportive… Ça te paraît loin ou tu as l’impression que c’était hier ?

« Ça semble être les deux à la fois. Ça me paraît loin et en même temps, je n’arrive pas à croire que cette année est passée aussi vite. C’est vrai qu’on a l’impression que c’était hier. J’ai regardé un peu les courses de l’an passé, ce sont de bons souvenirs. »

Durant ces douze derniers mois, as-tu regretté une seule seconde d’avoir fait ce choix ?

« Non. J’ai beaucoup hésité à revenir à la compétitio­n mais je me suis à chaque fois souvenu de ce que ça signifiait comme effort et comme état d’esprit. Revenir, ce serait dans quel but ? Je pense vraiment que même si c’était difficile, j’ai pris la bonne décision. J’ai mis une bonne année à me décider ! Globalemen­t, je suis heureux comme ça, sans aucun regret. »

Quand on a été l’un des plus grands champions de son sport et que l’on dit stop du jour au lendemain, quelles sont les choses qui manquent le plus : le feeling de la victoire, l’ambiance des stades, l’adrénaline des départs ?

« Ce qui me manque, c’est le fait que ma vie était parfaiteme­nt structurée. J’avais un programme à suivre, tout était planifié. Quand tu es un pilote, tu as l’obligation de faire des courses pour gagner ta vie, mais tu as aussi l’opportunit­é de voyager. C’est excitant, même si tu n’as que très peu de temps libre. J’en ai profité au maximum mais maintenant, il faut passer à autre chose. »

Comment s’organisent tes journées ? Tu arrives à rester un peu cool de temps en temps ou ton planning est toujours aussi serré?

« Au début, c’était difficile. J’avais besoin de prendre du recul, de penser à la suite à donner à ma vie. Il fallait à la fois récupérer physiqueme­nt et mentalemen­t. J’ai essayé de profiter du fait que je n’avais pas grand-chose à faire pour me ressourcer. Bien entendu, ça ne se fait pas en une journée, et le plus difficile a été de répondre à cette question : et maintenant, on fait quoi ? L’idée, c’est d’avoir une influence dans le sport, d’utiliser mon expérience. À moi de trouver le rôle adapté. C’est là où j’en suis en ce moment. J’ai mis le reste en pause et j’essaie de définir la prochaine étape. J’essaie de comprendre et d’analyser ce qui m’a poussé à arrêter la compétitio­n pour anticiper ce qui me convient

dans ce futur proche. J’essaie de prendre de bonnes décisions, en sachant pourquoi je le fais. Tout ce processus demande du temps. »

Depuis la finale de Vegas 2017, tu sais à peu près combien de fois tu as roulé en cross ?

« Oh, je ne roule plus vraiment. Si je compte toutes les fois où j’ai roulé l’an passé, on doit arriver à quinze ou vingt sessions, c’est vraiment peu. En plus, je vis dans le Minnesota et avec la neige, ce n’est pas facile de rouler. » (rires)

Il y a quelques semaines, une rumeur faisait état d’un possible come-back, peut-être au guidon d’une 125, avec Villopoto. Info ou intox ?

« Non, il n’y a aucune chance que je revienne, même pas en 2-temps pour le fun… »

Quelle place accordes-tu au sport désormais, quelles discipline­s pratiques-tu régulièrem­ent et que t’apportent-elles ?

« J’ai gardé l’habitude de travailler ma condition physique, mais en modifiant mes exercices. Je n’ai plus à me soucier de la gestion de la saison, donc je peux courir sur de plus grandes distances, faire des sorties à vélo plus longues… J’ai plus de plaisir comme ça. Je fais aussi du golf, je pêche. Il y a plein de choses qu’on peut faire pour s’occuper, mais tu peux arriver à t’ennuyer quand même, ce n’est pas aussi excitant que la course »

As-tu essayé de t’impliquer dans d’autres sports, mécaniques ou autres, de manière sérieuse?

« J’ai essayé quelques trucs, mais rien ne s’est présenté qui ne m’ait semblé réellement attirant. En tout cas rien qui me poussait dans la direction que je souhaitais donner à ma vie. Je pense que l’idée, c’est de faire quelque chose d’utile. Et là où je serai le plus utile, ça reste dans le monde du cross, en aidant le team, les pilotes, en faisant du testing, en jouant le rôle d’ambassadeu­r. Je pense que c’est ce que je connais le mieux et que c’est donc là que je peux apporter quelque chose. »

Tu as passé cinq ans chez Suzuki puis six chez KTM, ce qui prouve que la fidélité est une valeur importante à tes yeux. Si demain Honda, Yamaha ou Kawasaki t’appellent pour te proposer un deal intéressan­t en rapport avec tes nouvelles attentes profession­nelles, tu étudieras la propositio­n ? C’est ce qu’ont fait Ryan Villopoto et Jeremy Mcgrath par exemple…

« Je ne sais pas ce que ces gars font exactement comme boulot pour Yam et Kawa, mais je ne veux pas être le genre de type qui est payé sans faire grand-chose. Je veux être réellement impliqué avec le team. Si j’ai pu gagner des championna­ts, je dois pouvoir aider KTM à gagner avec la prochaine génération de pilotes. Ryan et Jeremy font peut-être ça… En tant que pilote, tu as beaucoup de valeur pour le team, à moi de trouver un moyen de continuer à leur apporter quelque chose. »

Hormis lors de la saison 2011, ta dernière en jaune, tu as passé toute ta carrière aux côtés de Roger Decoster. Peux-tu nous parler de votre relation, comment elle a débuté, évolué et de quelle nature est-elle aujourd’hui?

« Oh, notre relation est restée la même. On a développé une amitié et un respect l’un pour l’autre qui va bien au-delà du lien habituel entre un team-manager et un pilote. Il comprend et soutient ma décision, même s’il aurait souhaité me voir continuer plus longtemps. Roger m’a donné la chance de ma vie, et je lui en suis reconnaiss­ant, en plus de tout le respect que j’ai pour lui. On a travaillé onze années ensemble et j’ai énormément appris de lui, tant au niveau de la compétitio­n que de la vie en général. Je tiens vraiment à garder cette relation intacte. »

Tu as roulé face à Stewart, Reed, Villopoto, trois immenses stars du SX US. Lequel t’inspire le plus de respect et pourquoi?

« J’ai toujours respecté mes adversaire­s. Villopoto, Stewart, Reed, ils étaient difficiles à battre mais je n’ai jamais réellement eu de problèmes avec eux. J’avais du respect pour eux, et ils m’en montraient en retour. »

Parlons de cette saison 2018. La nouvelle blessure de Roczen, les erreurs et les victoires de Tomac, l’avènement d’anderson, les résultats de Musquin… Tu as été surpris, déçu par certaines choses ?

« En effet, cette saison a été passionnan­te à plus d’un titre. Rien ne s’est passé comme on aurait pu le prévoir, surtout en début de saison avec toutes ces blessures… Même les incidents de la semaine dernière à Salt Lake City avec Jason qui se retrouve avec une roue cassée montrent à quel point il est illusoire de penser qu’on peut tout contrôler. C’est ce qui fait le charme de la compétitio­n, tout peut arriver. On a vu beaucoup de pilotes faire des erreurs, en effet, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas fait leur boulot. L’intensité des courses, le niveau général sont tels que ça pousse à la faute. Jason et Marvin se sont retrouvés à la veille de Vegas en lutte pour le titre. Tout le monde pensait que ce serait réglé avant la finale, mais c’est bien la preuve qu’en cross, ce n’est jamais fini tant

« Revenir ? Dans quel but ? J’ai pris la bonne décision… »

que tu n’as pas passé la ligne… Il ne faut jamais abandonner. »

Entre 2010 et 2017, Villopoto et toi avez tout gagné en SX. Une nouvelle ère vient donc de s’ouvrir. Penses-tu Anderson ou Musquin capables de débuter une période de domination sur plusieurs années ?

« C’est le but de chaque pilote. Je leur tire mon chapeau, ils ont fait une super saison. Anderson a franchi un palier dans son pilotage, dans son entraîneme­nt, et ça se ressent dans les résultats. Il est devenu régulier. Il se voit comme un champion maintenant et il a évolué dans le bon sens. À lui de confirmer maintenant… »

Tu as partagé beaucoup de choses avec Musquin. Depuis son arrivée en 450, il n’a cessé de progresser. 7e en 2016, 3e en 2017, vice-champion cette saison, que lui manque-t-il pour gravir la dernière marche ?

« Je pense que Marvin atteint juste maintenant sa maturité. On dirait qu’il a eu un déclic en fin de saison. Il est plus âgé que Jason mais il a toujours quelques bonnes années de compétitio­n devant lui, s’il en a envie. Il y a plein de pilotes qui peuvent prétendre à ce rôle de leader, mais je pense que Marvin en fait définitive­ment partie. Il a atteint un niveau où, après avoir travaillé sur ses faiblesses, il n’a plus beaucoup de lacunes et beaucoup de qualités. Un gars comme ça est difficile à battre et s’il peut rester régulier dans son entraîneme­nt et sa volonté de vaincre, il peut devenir le patron du cross US. Il a le talent, reste à savoir s’il en a l’envie. »

Tomac a gagné en deux saisons plus de finales que n’importe qui sans être titré. Comment peut-on à la fois être aussi fort et commettre autant d’erreurs ?

« Pour gagner, un pilote doit être passionné par son métier, aimer ce qu’il fait et avoir une vision claire de ses besoins. S’il peut améliorer ses points faibles et ne pas répéter les mêmes erreurs d’une course sur l’autre, ça doit marcher. Je ne pense pas qu’un titre s’offre à un pilote, à aucun moment. Il faut que celui-ci ait conscience de ce qu’il veut, de ce qu’il fait. Cela veut dire qu’il faut prendre en considérat­ion chaque minuscule aspect de ta vie : ton programme, ton entraîneur, la préparatio­n de la moto, la diététique, l’équilibre entre course et vie privée… Il y a tellement de facteurs qui affectent un pilote qu’il est très important de prendre les bonnes décisions et de regarder en avant sans rester bloqué sur le passé… Pour en revenir à Tomac, il a la vitesse, mais ses mauvaises courses sont très mauvaises. Il faudrait qu’une mauvaise course ne l’emmène pas au-delà de la 5e place. C’est ça son vrai problème… »

Un mot sur les anciens. Brayton qui devient le plus vieux vainqueur de l’histoire, Reed qui bat le record du nombre de finales disputées…

« Je pense que tant que tu apprécies ce que tu fais et que ta famille te soutient, pourquoi pas ? Tant que cela n’a pas d’effets négatifs sur ta famille, sur ton entourage, tu peux continuer. En plus, ces deux pilotes ont encore un sacré niveau, alors s’ils ont la passion et si ce n’est pas seulement pour l’argent, c’est bien de continuer la course.

« Le gars qui fait le MXDN prend le risque de faire un burn-out… »

Si en revanche le feu sacré n’est plus là et que tu ne cours que pour toucher un chèque, alors il est peut-être temps de tourner la page et de trouver une autre occupation dans laquelle tu te sens à l’aise… »

À l’inverse, donne-nous ton avis sur la relève US. Selon toi, qui sera le prochain homme fort en provenance des 250: Cianciarul­o, Sexton, Forkner, Smith, Plessinger ?

« Ils sont jeunes, avec beaucoup de potentiel, une bonne vitesse. À leur âge, ils ont beaucoup à apprendre… Je pense que Forkner peut devenir incroyable­ment performant. Je n’étais pas le plus talentueux, j’avais plein de lacunes, mais j’ai compensé avec énormément de travail et de passion. Si ces pilotes comprennen­t que même les meilleurs ont des faiblesses, que moi-même j’en avais, ils comprendro­nt peut-être qu’ils peuvent y arriver eux aussi. Mais ils doivent aussi considérer les efforts à mettre en oeuvre pour travailler sur leurs lacunes et les réduire. Il ne suffit pas de dire qu’ils vont le faire, il va leur falloir s’y mettre pour de bon, ce qui est différent. »

Cette année, le MX des Nations se dispute à Red Bud. C’est la première fois depuis l’édition de 2010 et votre victoire à Lakewood que l’épreuve revient aux USA. Aimerais-tu être impliqué dans cette aventure?

« J’y serai, c’est sûr, mais pas comme pilote (rires). Je pense que le circuit cette année sera l’un des meilleurs circuits outdoor de la saison et je pense que les pilotes vont l’adorer. Pour le public, les fans, l’endroit est extraordin­aire. Au niveau du team, je pense que Roger a les choses bien en main. On verra qui il pourra avoir dans son team… »

Le team US n’a plus gagné les Nations depuis 2011. Selon toi, quelle serait la meilleure équipe pour s’imposer à Red Bud ?

« C’est dur pour les top pilotes qui se battent pour remporter un championna­t de prendre la décision de faire cette course. Bien entendu, cette année il sera peut-être un peu plus tentant de faire partie de l’équipe US du fait que ça se déroule aux USA, mais c’est si longtemps après la fin de saison… Si un pilote décide de s’entraîner pour cette épreuve, il va décaler tout son programme et n’aura aucun temps de récupérati­on. Il prend le risque d’avoir un burn-out et de rater la saison suivante. C’est une décision délicate. »

Pour finir, c’est bientôt l’été, tu as prévu de partir un peu en vacances ?

« Nous avons un trip prévu en Italie pour deux semaines. C’est pour le travail, mais on aura aussi l’occasion avec ma femme Lindsay de découvrir des coins qu’on ne connaît pas. Ça sera fun… Mais sinon, je crois que je vais essayer de passer du temps sur mon bateau pour pêcher un peu… »

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 ??  ?? Pour lui succéder durablemen­t en haut de la pyramide du SX US, RD5 mise évidemment sur Anderson… et Musquin. Sans trop se mouiller quand même. Sacré Ryan !
Pour lui succéder durablemen­t en haut de la pyramide du SX US, RD5 mise évidemment sur Anderson… et Musquin. Sans trop se mouiller quand même. Sacré Ryan !
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La force de caractère de Roczen impression­ne mais ce sont les détails qu’il faut soigner…
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Ryan a désormais plus de temps à consacrer – hors moto – à son épouse. Même si le business reste omniprésen­t, il envisage de voyager pour profiter davantage. Prochaine destinatio­n, l’italie…

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