Un 500 CR dans un châssis 450…
« Yann, un gars vient de se faire préparer un 500 CR dans un cadre alu de 450 actuelle, ça peut faire un essai sympa pour le prochain MV. » Mon collègue La Pouge, son truc à lui, c’est l’enduro, et en le sentant excité par l’essai d’une bécane de cross, ça interpelle ! Mais comme se retrouver aux commandes d’un 500 2T des années folles modernisé est loin de nous déplaire, on est parti voir !
Coup de fil à l’intéressé. Emmanuel Grange est à proximité de Saintétienne et carrément emballé pour nous présenter son outil à gros piston. Fallait pas traîner, le bougre est pépiniériste, spécialisé dans la production de sapins de Noël. Autant dire qu’à partir de novembre, il n’y a plus de place pour le cross, son loisir préféré qu’il pratique avec ses fils en ligue Rhône-alpes. Rendez-vous pris chez lui avant dernière semaine d’octobre. On longe les champs de sapins en attente de coupe avant de se parquer dans la cour de l’entreprise. Emmanuel est passionné de motocross depuis toujours. Dans les années 90, il roulait principalement en 125. Il est ensuite passé à la 500 et il a conservé sa CR de 1995 même s’il roule dorénavant « comme tout le monde » sur un quatre-temps, une KTM 350 SX-F : « Je pensais la refaire d’origine, repeindre le cadre, refaire comme il faut le moteur, mais l’idée de la transformer m’a toujours trotté dans la tête. Il fallait trouver quelqu’un de compétent et c’est en lisant un article sur une 500 CR-AF dans MX Magazine que le déclic s’est produit. J’ai contacté le préparateur et c’est parti comme ça. » Le préparateur en question, c’est Nicolas Bravard. Nico était encore il y a peu à la tête de BNR, atelier de préparation en Dordogne. Il vient récemment de cesser son activité pour partir vers d’autres horizons. Avec la réalisation que mes confrères D’MX Mag’ ont présentée et le bijou que j’ai sous les yeux, ce sorcier du Sud-ouest a laissé sa trace. Nico serait prêt à replonger pour un nouveau défi et tient à préciser que la réalisation n’est pas uniquement de lui. D’autres intervenants spécialisés ont également apporté la touche high-tech de l’outil. Emmanuel a eu l’opportunité de dégoter une partie-cycle de 450 CRF de 2017 auprès du quadeur Jérémy Warnia. La partie moteur a été entièrement confiée à Philippe Dartiailh, plus connu dans le milieu sous le nom de Bud. Philippe était un pilier incontournable chez Bud Racing. Il vient de quitter le navire pour voler de ses propres ailes en créant sa boîte de préparation, Biket Racing, à Saint-geours-de-maremne. Croyez-moi, il y a là du « high level » pour ce qui est maniement de la clé de douze. Le moteur traité à l’électrolyse est intégralement nettoyé. Vilebrequin, carters, cylindre, culasse (dôme modifié) et carburateurs ont été préparés. On est dans du haut de gamme mais pour l’instant du classique. Nico, « chef de projet », s’est ensuite lancé dans un vrai casse-tête pour assembler tout ça. La partie entière du
berceau aluminium a été remplacée par un modèle fabriqué sur mesure afin d’y loger le bloc 2T. Les radiateurs ont été modifiés pour placer le pot d’échappement. Deux étapes ont été particulièrement compliquées. Le choix de l’amortisseur et la réalisation de la boîte à air. Pour cette dernière, d’origine la partie avant est démontable. Nicolas en a fait fabriquer une nouvelle par l’entreprise Havel Grégoire à Grayan-et-l’hôpital, qui officie notamment sur les bateaux de compétition. Sa forme revue permet d’intégrer le manchon d’air du deuxtemps. L’amortisseur du 450 avec bombonne horizontale est trop volumineux, il a fallu libérer l’espace pour le manchon avec un modèle bombonne à droite. Première tentative sans succès avec un WP, c’est finalement le corps d’amortisseur Showa de 250 CRF 2013 qui passera. Nicolas a dû aussi fabriquer les différents supports pour le pot, le silencieux, le CDI et la bobine. Une platine usinée bouche l’emplacement de la pompe à essence pour recevoir le robinet du 2T.
Saveur jouissive
Sous nos yeux, l’outil numéro 847 pour pulvériser les appuis et holeshoter à tout va est rutilant. 847, ça correspond aux mois de naissance des trois fils d’emmanuel. Rien à redire sur la qualité de finition, superbe. Reste à savoir si les performances sont à la hauteur de cette esthétique sans faute. Le détail complet de la réalisation est passionnant, mais nous voilà arrivés à l’étape la plus excitante, le coup de kick pour libérer le bruit caractéristique et envoûtant du gros deuxtemps. Souvenirs, souvenirs… J’ai en mémoire la 500 KX côtoyée début des années 90. Ça y est, j’y suis, et je m’y crois à mort. La hauteur de selle est conséquente. Premier coup de kick et pointe à l’adducteur fragilisé suite à une boulette lors d’un essai récent. Le gros piston me nargue d’entrée, ça ne démarre pas. Papy se replace correctement pour pouvoir actionner convenablement le levier de mise en route, le ding, ding, ding, ding caractéristique me résonne enfin dans les esgourdes et des vibrations se répande le long de la colonne vertébrale jusqu’à la tête, trop bon ! Le temps de dégorger la mécanique dans un bon nuage parfumé à la synthèse et une sonorité oubliée, première enclenchée, c’est parti sur un chemin plat pour rejoindre le tracé privé situé quelques centaines de mètres plus loin. Commandes précises, embrayage souple, les suspensions ont l’air confortables avec un arrière assez haut. L’assiette est sur l’avant mais la position est agréable. L’accélération est franche, la poussée instantanée et puissante. À vous rappeler de ne pas oublier de serrer le guidon sur ce type de machine. La piste large est tracée à travers bois sur une terre sèche tendance sablonneuse. Seulement deux sauts, dont l’un étant un dôme à absorber ou pour léger décollage. Mais de beaux appuis, des courbes, des chicanes, des ornières, du virage serré, du freinage troué et de longs bouts droits pour ouvrir en grand… Largement ce qu’il faut pour goûter à cette pièce unique. Et la saveur est instantanément jouissive. Non seulement le feeling haute de selle est tout de suite oublié, mais le moteur répond à merveille et quelle réponse ! Les premiers tours de chauffe permettent de reprendre ses marques avec le pilotage spécifique à cette motorisation devenue originale. Frein moteur et inertie ne sont plus de ce monde. Et quand sur une sortie d’appui, gaz ouverts en grand, la pleine puissance vous projette vers l’arrière de selle limite perte du guidon, on se la joue tout de suite moins Dave Thorpe. Le temps de se remettre en mode pilotage mi-régimes gros couple, là ce n’est que du bonheur et ça va très vite ! En plus, la partiecycle légère réagit très sainement. Finalement une bonne assiette, des suspensions confortables tout en étant efficaces dans les trous, les freinages et réceptions violentes. L’ensemble moteur deux-temps/partie-cycle moderne est en parfait accord et se montre vraiment maniable, un régal quoi ! Je prends de l’assurance, je pousse le 500 à plein régime dans les bouts droits. Il faut prévoir de l’espace ! Ça cliquette un peu en haut, signe d’une carb’ un peu pauvre à ce niveau. Voilà bien le seul défaut que j’ai pu entrevoir, alors au moment de s’arrêter, il y a comme un petit pincement au coeur. Un retour aux années 1990, sur une machine pouvant scrubber, whipper et encaisser les obstacles d’un circuit cross actuel, tout cela aussi efficacement que sur une moto moderne, tout en vous envoyant au septième ciel à chaque coup de gaz virulent, j’en redemande… Merci Manu !