Raconte-moi ton histoire, papa
Christophe Nambotin, alias « Papa », alias « Nambot’1 », a l’un des plus beaux palmarès de l’enduro français et mondial. À l’heure où il s’apprête à entrer en pré-retraite chez KTM France, on refait le match. Et quel match !
LES ANNÉES MX
« C’est la plus belle période pour moi, une période sans soucis. C’était du roulage en famille sans prise de tête et puis des victoires. 1997 a été ma grande année dans cette période 65 et 80 cm3. J’avais été 4e du Minivert éducatif, mais en 97, j’ai été champion de France et vice-champion d’Europe Cadet derrière Boniface. L’année où j’ai été recruté par Jacky Vimond. Le bon moment parce que mes parents ne pouvaient plus suivre financièrement. Dès la saison suivante, j’ai eu un guidon, j’étais semi-pro avec des sponsors et un entraîneur. J’avais 14 ans. Puis en 99, j’étais un Espoir en 125 face à Johnny Aubert ou Steve Ramon. Mais j’ai loupé le train, puis j’ai vécu d’un team à l’autre en Junior et en Élite, un peu de SX mais en végétant un peu. J’étais déjà indépendant, j’avais mon appart’, j’ai rencontré ma femme à cette époque-là. Je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne un métier et j’ai passé mon B.E. de moniteur. Je suis descendu dans le Sud pendant six mois et je rencontre Fred Lambert, mon formateur. J’étais sur le point d’arrêter la moto à haut niveau et puis je refais l’Élite en amateur avec des résultats à la clé. Je finis 4e en MX Élite et une place se libère chez JK Racing. J’ai fait quelques GP avec eux sur une 450 Yamaha en 2004. Puis Fred Lambert m’a présenté à la SIMA qui m’a fait faire de l’enduro en championnat d’Europe. J’avais un coup de main de Fred Weill qui m’a bien aidé à mes débuts. Ça m’a plu d’entrée de faire des chronos ! En 2006, j’ai basculé en championnat de France d’enduro et aussi en Mondial avec Azzalin qui me prête la moto d’Eriksson qui était blessé. C’est parti comme ça… Avec des hasards et des coups de chance. »
JUNIOR 2007
« Finalement pour 2007, je me retrouve sans guidon car Azzalin m’a préféré Nicolas Deparrois. Mais comme j’avais fait les ISDE en Nouvelle-Zélande fin 2006, le manager Gas Gas, Bepe Pou, m’avait remarqué et il décide de m’engager en Junior. Coup de bol, en 2007 l’âge maxi pour le Junior passe à 23 ans au lieu de 21. Et à quatre jours près, grâce à ma date de naissance, je peux signer avec Gas Gas un contrat de deux ans. Encore un coup de chance ! Je termine vicechampion du monde Junior derrière Joakim Llunggren et 4e Élite en France. J’ai loupé le titre de peu. Dans la dernière spéciale du dernier GP en France. À 200 mètres de l’arrivée, j’ai chuté, c’était foutu. Mais
ça a forcément amené du changement dans ma carrière. Je me suis retrouvé officiel Gas Gas en E3 pour 2008. Deux soucis mécaniques et je termine 4e mondial cette saison-là. Mais on gagne en équipe les ISDE en Grèce. La fameuse « équipe B » que personne n’attendait ! »
SCRATCH ISDE 2009
« Cette année-là, j’ai remporté le scratch aux ISDE au Portugal en plus de la victoire par équipe en Trophée. Un scratch aux Six Jours, c’est une victoire importante dans la vie d’un enduriste. Un tournant aussi dans une carrière au même niveau qu’un titre mondial. »
2012, L’ANNÉE PLUS PLUS
« Il y a eu 1997, 2007 et surtout 2012 comme saison charnière dans ma carrière. 2012, c’était vraiment une saison incroyable puisque je gagne le scratch aux ISDE en Allemagne avec la victoire en équipe, mais aussi le titre mondial E3, le Ahola Brave One et l’Extrem Award en Mondial, le Trèfle Lozérien… j’avais tout gagné cette année-là. 14 Grands Prix sur 16 avec deux 2e place. Oui, une année exceptionnelle. Je venais de signer chez KTM après plusieurs saisons chez Gas Gas où j’avais beaucoup appris aux côtés de Boni, un des sorciers du team mondial. Tout s’est concrétisé en 2012. »
CHAMPION(S) 2012
« En 2012, on est quatre Français champions du monde et notamment Pela Renet qui est champion E2. Avec Pela, on vivait tout ensemble. On se déplaçait, on s’entraînait, on était très porches. On l’est toujours, on était encore au téléphone hier soir. Pour moi d’ailleurs, c’est un manque dans ma carrière de sportif. Avec lui on ne partait pas travailler, on s’amusait. Des moments incroyables ! L’amitié était et est toujours très forte. Et puis on s’apportait beaucoup de choses. Moi le côté rigoureux, lui, le côté détente, savoir prendre du recul… On se complétait bien. Mais une chose est sûre, c’est que l’un comme l’autre on est des bosseurs. Et puis on s’entend sur tous les sujets. On voit la vie de la même manière, on est raccord sur l’entraînement, sur les trajectoires, la préparation des motos… »
CHAMPION 2013
« Après 2012, j’ai enchaîné deux belles saisons et deux titres mondiaux de plus. Tous les champions te le diront, gagner un titre mondial, c’est pas facile, mais le conserver c’est encore plus dur. J’y suis resté
trois ans et c’était plutôt pas mal. Surtout en changeant de moto en 2014, en passant du 300 deux-temps au 250 quatre-temps. »
CHAMPION 2014
« Changer de moto, ça n’a rien d’exceptionnel, mais je trouve que c’est important de se remettre en question. Ça implique plus de travail mais justement, ça t’oblige à sortir de ta zone de confort. Ça t’oblige à évoluer et avancer. En tout cas je suis champion une troisième fois en 2014 sur la 250. Et puis après ça se passe mal en 2015. Je me suis fait les ligaments croisés à la première épreuve… Une année difficile, j’ai serré les dents. J’ai pas été performant dans les côtes. Ça a toujours été mon point faible. J’aurais pu être champion face à Remes en 2015 mais sur deux courses, j’ai commis des erreurs dans des montées en spéciale et j’ai perdu le titre là-dessus. Je me suis fait opérer tard du genou et pour 2016, je passe en 350. Une nouvelle moto, associée à une perte de sensibilité à une épaule, ça ne l’a pas fait en 2016 non plus. KTM a pourtant été toujours derrière moi toutes ces années, que ce soit Farioli, Eric Bernard, Christophe Meyer. Même si je ne gagnais plus, tout le monde était derrière moi. »
ISDE 2017
« J’ai fait un bon début de Six Jours où j’étais en tête au scratch et puis je me blesse à la main. Au final, victoire en équipe avec beaucoup d’émotion forcément. Ma sixième victoire en trophée et devant le public français, c’était très fort. J’ai toujours gagné avec l’équipe Trophée, sauf 2018 au Chili, l’année de trop pour moi. J’ai toujours du mal à parler de mon palmarès, de ma carrière. Sans vouloir rester faussement humble ou se cacher de sa réussite, j’ai du mal à l’évoquer. En fait, je garde plus l’émotion que le titre en tête. C’est plus le souvenir de ce que j’ai vécu qui m’importe que le titre en lui-même. Je ne sais pas si je me fais comprendre… Mais bien sûr je suis très fier de ce palmarès. Je suis fier de mes trois titres mondiaux mais les six victoires en équipe Trophée me semblent encore plus importantes auprès du public. J’ai l’impression que ça touche plus les gens
parce qu’ils disent “on est champions”, alors qu’un titre mondial c’est surtout “il est champion”. Comme quand l’équipe de France de foot remporte la coupe. »
DIX TITRES DE CHAMPION DE FRANCE
« C’est pas un objectif de départ. C’est mon boulot de faire des résultats. Mais l’an dernier, quand j’ai décroché mon dixième titre Élite, oui, j’étais fier d’apporter un titre français à la SIMA et à Fred Fourgeaud. Ça peut sembler facile un titre français, mais en fait, ça tient parfois à peu de choses, une panne, une chute et tu finis 2e. Mine de rien, j’en ai enchaîné un paquet sans avoir de problèmes. Mais ça représente aussi beaucoup de travail. »
AVEC SÉB GUILLAUME ET DAVID KNIGHT
« Séb était le gendre idéal quand j’ai débarqué en Mondial. J’admirais beaucoup son style de pilotage, propre et coulé. C’était quelqu’un d’apprécié, ni tricheur, ni ambitieux, qui n’aimait pas tirer profit de chaque situation. J’ai toujours adoré rouler avec lui. Et quand on se croise, j’ai toujours beaucoup de plaisir à parler avec lui. À l’opposé, David Knight était un pilote incroyable, qu’on aimait ou pas. Pas toujours un type respectable avec son team ou sa moto, qui lançait des “fuck” à tout va, mais un pilote qui a marqué son temps. Un pilote extraordinaire, surtout quand les épreuves étaient dures, avec de grosses extrêmes, des lignes vraiment dures. Son pilotage d’ancien trialiste l’avantageait dans ces conditions. Il était moins en avant quand les épreuves sont devenues plus roulantes, plus taillées pour les pilotes cross comme moi, Aubert, Méo, Pela… etc. »
AVEC JOHNNY AUBERT
« Je l’ai connu en 96/97 en cross. Le talent à l’état pur. Encore aujourd’hui. Il a ouvert le chemin pour un tas de pilotes français en Mondial. Seb Guillaume ou Marc Germain étaient sur le podium mais avaient du mal à gagner en Scandinavie ou certaines épreuves typées. Séb a montré qu’un Français pouvait gagner dans toutes les conditions. En Finlande ou ailleurs. Il a même gagné le scratch en championnat italien alors qu’on disait que c’était impossible. Il était rapide
partout, dans l’herbe comme dans le sable et ça a débloqué des choses chez les autres pilotes, donné une certaine confiance. En plus il est simple, discret, convivial. Il a donné une belle image des pilotes d’enduro. »
AVEC MÉO
« On se connaissait du MX, on se côtoyait pas mal à cette époque, avec ses parents aussi. Il a été en équipe de France MX et l’on a déjà des souvenirs de cette époque avant l’enduro. Ce que je retiens du bonhomme, c’est son orgueil et sa facilité dans le dépassement de soi. Avec lui, ça passe ou ça casse et souvent ça passait. C’est un filou, un malin, il fait croire qu’il fait la fête, mais il est comme JMB, il bosse. Beaucoup. Moins doué qu’un Aubert, c’est sûr. En plus il a eu un bon feeling avec Christophe Meyer ce qui l’a fait gagner pendant longtemps. Mais à la fin en championnat de France, il ne repérait quasiment plus et était capable de signer un scratch avec dix secondes sur tout le monde au guidon de la 125 ! Sans ambiguïté, sans tricher. Sans casser de piquets dans tous les virages. Il a sorti des chronos de fou. En plus, de toute sa carrière exceptionnelle, ces titres, ce qui m’a le plus marqué, c’est sa capacité de sortir des temps de malade. Ajoute à ça son côté provocateur, son côté joueur. En 2019 encore, il est venu signer le meilleur temps de la Supertest du GP d’Italie. Incroyable ! »
BLESSURES
« Je touche de la peau de singe aujourd’hui. Je ne peux pas me plaindre de mes blessures. J’en ai eu quelques-unes mais rien de grave. Même parfois elles ne m’ont pas empêché de gagner des titres comme en 2017 avec les ISDE à Brive et le titre de champion de France quinze jours plus tard. Bon, c’est vrai que ce qui est étonnant, c’est qu’une égratignure au doigt, je vais m’en plaindre toute la journée, et à côté de ça, je suis capable de rouler avec la main cassée et des choses plus graves encore… On fait un sport risqué et plus je vieillis, plus j’y pense. Ça ne me freine pas, quand je suis sur la moto je roule toujours comme un fou, sans appréhension. Mais quand je suis assis au volant de mon camion, j’y pense. »
LA FAMILLE
« La famille a toujours eu une très grande importance. Au-dessus de tout et bien sûr de la moto. Mon fils a été la mascotte du team KTM. Je ne sais pas si j’ai été le premier à le faire monter sur le podium, mais je revois toujours cette image de 2012 où il tend le pouce alors qu’il a seulement trois ans. Une des belles images qui me restent en tête. Et puis on partait en famille en caravane quand il était petit, avant l’école. C’était de bons moments. Maintenant Loucas et Talia ont 10 ans et 7 ans et j’espère encore leur faire vivre quelques émotions cette année. »