►La Scott MX Boots, toute une histoire…
Elle devait révolutionner le genre, porter la botte de cross dans une nouvelle dimension. Elle avait tout : look, innovation, technologie et la caution de la star US de la fin des années 70, Bob Hannah. Hélas, des défauts majeurs et un prix élevé ont plombé la carrière de cette Scott MX Boot qui n’a jamais fait école.
La question est posée : mise en valeur dans la vitrine d’un magasin aujourd’hui, la Scott MX Boot ferait-elle encore sensation 42 ans après sa sortie ? Ses fans de la première heure vous le garantiraient ! En 1979, cette botte en plastique avait créé l’événement bien qu’elle ne soit pas la première tentative dans le genre. Quatre ans plus tôt, la société française Heckel avait commercialisé une botte de cross articulée en polyéthylène à une époque où le cuir était hégémonique dans la discipline.
Cette idée était assurément dans l’air du temps puisque de l’autre côté de l’Atlantique, Scott USA, entreprise américaine de pointe dans le matériel de ski et fraîchement impliquée dans le MX avec des lunettes et masques portés par de nombreux pilotes américains dont les meilleurs, travaillait aussi sur un concept similaire. Pour renforcer sa position dans cette discipline montante en Amérique-du-Nord, Scott veut alors sortir un produit révolutionnaire.
Jim Tobin, le patron de l’époque, se convainc qu’il est possible d’opérer la même mutation dans la botte de cross que celle qui a permis à la chaussure de ski de passer du cuir au plastique.
Que des avantages
Sur le papier, une telle botte ne présente que des avantages par rapport à un modèle en peau. Une
plus grande protection, un entretien minime, une imperméabilité intéressante, un meilleur vieillissement, une réparabilité possible et une infinie possibilité de couleurs. Tobin est prêt à investir massivement pour la conception d’un produit dont il espère qu’il portera la part de la moto de 10 à 40 % dans l’activité globale de Scott USA. Pour accompagner cette ambition, il fait réaliser un premier prototype en juillet 1975, testé par Mark Blackwell. Pendant un an, cet ex-champion 500 National expérimente une botte gauche, sans chausson interne, partageant l’expérience avec le pilote de désert A.C. Bakken, vainqueur de la Baja 1000 en 1973, ou encore le Néerlandais Gerrit Wolsink, pilote de GP 500, qui passe ses hivers en Californie.
En juin 1976, la botte Scott est assez artisanale quand la marque décide de débaucher de chez Lange, un de ses concurrents dans la chaussure de ski, un jeune ingénieur de 28 ans, Scott Boyer. L’homme a travaillé cinq ans au service R&D de Lange, en charge d’appliquer sur les chaussures de série les enseignements tirés du suivi de l’équipe olympique américaine de ski et il pratique la moto tout-terrain. Boyer est nommé project-manager et va poursuivre le processus d’amélioration de la botte Scott, accompagné par Chris Dawson, chargé du design. Pendant dix mois, le duo va travailler manuellement sur les moules et élaborer huit prototypes durant l’hiver 1977. La difficulté se concentre sur le système d’articulation que Scott USA ne veut pas aussi basique que le simple pivot de la Heckel. Boyer conçoit un principe qui permet d’avoir la nécessaire flexion de la cheville d’avant en arrière (sur 95°) mais autorise aussi un mouvement latéral (sur 24°), le Floating Hinge, composé d’une articulation en inox qui s’inspire de celle du pied humain. Sur le terrain, c’est Danny LaPorte qui est en charge des tests, des bottes droite et gauche cette fois, mais toujours sans chausson. Après quinze prototypes élaborés, huit systèmes de boucle étudiés et quatre changements majeurs de semelle, la Scott MX Boot connaît son baptême du feu en course le 30 octobre 1977 sur une épreuve de la Texas Trans-Am. Jimmy Weinert a cet honneur mais, l’officiel Kawasaki n’est pas convaincu et ne les remet pas pour la deuxième manche. Le développement se poursuit avec Danny LaPorte et Gerrit Wolsink quand en janvier 1978, une étape majeure se profile. Scott Boyer s’envole pour la Californie pour montrer la MX Boot – désormais pourvue d’un chausson – à Bob Hannah. Bien que
titré en indoor, la star du cross américain a raté plusieurs épreuves de championnat l’année précédente pour des problèmes récurrents de cheville et la carapace que représente cette botte l’interpelle. Pendant trois jours, les deux hommes roulent dans le désert et travaillent à l’amélioration du produit pour qu’il satisfasse Hurricane.
Hannah repart chez lui avec deux paires, devenant de fait test-rider en chef. Même s’il confie à son ami Larry Maiers, célèbre speaker mais aussi représentant pour l’accessoiriste HiPoint, qu’il n’aime pas vraiment ces bottes, il reconnaît leur protection intéressante pour ses fragiles chevilles. Seigneur, Maiers lui accorde de pouvoir porter les Scott malgré le contrat moral qui les lie depuis plusieurs saisons.
Six semaines plus tard, Hannah est au départ de l’ouverture du supercross US à Seattle sur sa 250 Yamaha officielle, bottes Scott aux pieds. LaPorte et Weinert les ont portées aux essais mais ils restent fidèles au cuir en course. Hannah, lui, malgré une chute en finale, ne renonce pas. Il persiste sur les épreuves suivantes et offre la première victoire à la MX Boot à Houston, sur les quatrième et cinquième rounds du championnat SX. Sur cette saison 1978, les Scott bénéficient d’une exposition exceptionnelle aux pieds du n° 1 US. Car Hannah est en feu : il défonce l’opposition avec un enchaînement inédit de 22 victoires consécutives de manches en cross et supercross sur des championnats qui alternent alors de l’un à l’autre selon le calendrier.
« SCOTT AURAIT DÉPENSÉ UN MILLION DE DOLLARS AVANT LA COMMERCIALISATION DE SA MX BOOT. »
De quoi exciter les amateurs tout autant que les revendeurs mais la firme de Sun Valley en est toujours à phosphorer sur la version définitive. À l’été 1978, Scott engage un nouvel ingénieur, Mark Soderberg, pour finaliser la version de production que l’officiel Honda Marty Tripes fait triompher sur le GP des USA 250. Des préséries sont confiées à d’autres pilotes et à des journalistes qui les testent sans relâche. Jamais une botte de cross n’a été aussi novatrice et belle, ringardisant ce qui existe sur le marché. La version définitive déploie une batterie d’innovations, le Floating Hinge bien sûr, le liner interne en nylon qui assure l’imperméabilité, les trois crochets réglables de fermeture intégrés à la ligne, la semelle remplaçable et sans rebord pour ne rien accrocher ou la coque supérieure qui monte sous le genou pour une protection maximum. À l’intérieur, le chausson en mousse caoutchoutée assure du confort et permet aussi d’ajuster la taille dans la coque inférieure. Celle-ci est disponible en deux dimensions de façon à couvrir un large panel. Le coût de production est réduit et cela permet au revendeur de jouer sur la taille du chausson pour satisfaire son client et d’avoir à stocker moins de bottes quand un modèle en cuir étudié pour chaque pointure demande de grosses commandes. Question prix, ça tape fort : 180 dollars la paire soit presque le double d’une botte en cuir. C’est que tout ce développement a coûté bonbon à Jim Tobin, quasiment un million de dollars peut-on lire dans la presse… Pour sa fabrication, la paire demande plusieurs moules : les deux pieds en deux tailles de coques et les deux « jambes » soit un coût de 330 000 $. On comprend pourquoi Scott a pris son temps pour parfaire cette botte ! Beaucoup de défauts…
À sa sortie dans le commerce début 1979, la presse consacre de nombreuses pages à ce produit inédit. Elle souligne ses qualités mais aussi ses défauts qui peuvent apparaître rédhibitoires. Sont loués la très grande protection, la finition léchée, l’esthétique canon, l’entretien facile. Toutefois, le nécessaire besoin d’acclimatation à cette botte très rigide, le manque de feeling qu’elle induit au niveau des commandes, les risques aggravés de blessure au genou avec cette protection maximale de la cheville, la mauvaise étanchéité, l’absence d’aération qui conserve la chaleur et accélère la transpiration, la partie terminale supérieure qui monte trop sur le genou, les ravages sur la peinture du cadre et/ou les caches latéraux causés par le frottement du plastique ou une certaine fragilité sont déplorés par les analystes. Pour autant, Scott vend en une semaine la première fournée de 2 000 paires ! La MX Boot s’expose dans des campagnes de pub et elle est cautionnée par quelques-uns des meilleurs riders du moment, au premier rang desquels Bob Hannah mais aussi Danny LaPorte, Jeff Ward, les vedettes des courses de désert Larry Roeseler et Jack Johnson, et même Wheelie King, le roi de la roue arrière. À Brioude pour les ISDT 1980, les pilotes de l’équipe américaine sont aussi chaussés par Scott.
Si les Yankees adhèrent en partie à cette botte made in USA, en Europe, la Scott ne fait pas autant sensation. C’est que
la concurrence y est féroce : Alpinestars, Sidi et Gaerne sont bien implantées avec des produits de qualité. En outre, d’autres propositions de bottes en plastique ont cours par chez nous comme chez M.Robert, Vendramini ou Nava, des modèles plus rudimentaires que la sensation américaine. En France, la MX Boot est distribuée par TT Import, société spécialisée dans les marques US. C’est un produit de luxe dénichable uniquement dans les officines pointues comme 1Tercross qui vend la paire 1 095 F contre 595 F pour la nouvelle Sidi Superpro, le must européen du moment. Largement diffusée à partir de 1979, la carrière de cette botte sera finalement courte. Une fois l’effet nouveauté passé, le tarif élevé et les inconvénients évoqués plus haut vont mettre un frein à son expansion. Les pros commencent à la bouder et même Hannah, son ambassadeur suprême, va se résigner à ne plus la porter. Au retour d’un grave accident de ski nautique qui lui a fait rater la saison 1980, on le revoit épisodiquement avec des MX Boot
(en livrée jaune et noir très classe !) en 1981 mais l’Ouragan reviendra finalement dans le giron de Hi-Point avec des bottes en cuir qui sont depuis toujours des Alpinestars rebadgées… Pas plus que les quelques tentatives européennes, la botte en plastique articulée de Scott ne transformera l’essai, pas assez convaincante pour faire évoluer les mentalités. Affaiblie financièrement par des résultats médiocres dans le ski au début des années 80, Scott, ne poursuivra ni le développement ni la commercialisation de sa MX Boot. Jusqu’au tournant des 90’s, le cuir va rester la valeur sûre avant que les bottiers ne commencent à lui adjoindre des morceaux de plastique ça et là puis proposent des parties supérieures articulées rendant quelque part hommage à la MX Boot. Ironie de l’histoire, Scott créera à nouveau la sensation dans le genre en 2007 avec la Genius, une botte 100 % plastique conçue par le designer et homme d’affaires français Gérard Valat. Avant-gardiste mais inconfortable comme son aïeule, elle connaîtra le même sort : d’énormes investissements pour un résultat commercial décevant. Quand trop d’innovation tue l’innovation…
« TROP RIGIDE, TROP CHÈRE, LA SCOTT MX BOOT N’A FINALEMENT PAS CONVAINCU… »