ET SES JOYAUX
Le plus prestigieux service course du monde de la moto a produit un nombre de prototypes conséquent pour sa maison-mère dans le domaine de la vitesse comme dans celui du tout-terrain. Le Honda Racing Corporation a parfois poussé très loin la technologie pour faire gagner ses pilotes. Certains ont été plus marquants que d’autres, comme les joyaux que nous avons sélectionnés…
Jamais dans l’histoire de la moto, un service course n’a autant gagné dans toutes les disciplines que le HRC. À l’époque de son âge d’or, la décennie 1980, la prestigieuse cellule compétition Honda a tout fracassé, avec des protos de folie et des pilotes conquérants. Retour sur une impressionnante suprématie. Depuis le milieu des années 70, Yamaha occupe le devant de la scène sportive en vitesse comme en cross, en Europe comme aux USA. Cette hégémonie a le don d’agacer Honda et ses hommes. Pourtant, le constructeur n° 1 mondial sort à bonne fréquence des prototypes émanant du Racing Service Center Corporation (RSC), son service course mis en place en 1965, transformé en une filiale en 1973 pour l’endurance, le cross et le trial où ces machines officielles se distinguent brillamment. Mais Yamaha, et dans une moindre mesure, Suzuki et Kawasaki empilent les titres mondiaux avec leurs 2-temps dans les disciplines majeures. Honda reste partagée : déjà investie dans le 2-temps en MX, la marque ailée demeure pour le reste fidèle au 4-temps qui lui a permis de dominer la vitesse mondiale entre 1961 et 1967 avec de fabuleux multicylindres, avant de se retirer pour se consacrer à la F1 auto. Le moteur à soupapes lui vaut encore de beaux succès en endurance et en trial, mais aussi un bide retentissant en 1979 pour son grand retour en vitesse avec la révolutionnaire NR 500 à pistons ovales, développée par une unité spéciale au sein du service R&D et non pas par le RSC. Cet entre-deux ne fonctionne pas bien. L’époque est unanimement au 2-temps dans le sport moto et un aggiornamento s’impose pour Honda qui veut frapper fort au
plus haut niveau de la compétition sur les deux grands continents. À Tokyo, au tournant des années 80, une réflexion s’engage dans les hautes sphères entre le président Kiyoshi Kawashima et les seniors advisors dont fait partie l’omnipotent Soichiro Honda, père fondateur de la nation rouge et compétiteur forcené. Le but est de replacer Honda au sommet du game. Quoi qu’il en coûte.
Une structure indépendante
Pour cela, la firme doit se doter d’un nouveau service course, puissant, indépendant, créatif. Une stratégie de combat est établie avec la garantie d’un engagement sur dix ans et le recrutement des ingénieurs les plus talentueux pour concevoir et fabriquer les meilleures machines confiées aux meilleurs pilotes. Le 1er septembre 1982, le Honda Racing Corporation est officiellement créé. Cette unité qui réunit les forces du RSC et une partie du R&D est installée à Saitama dans de nouveaux locaux dédiés, avec un management dissocié et un président de première classe, l’ingénieur Shoichiro Irimajiri, père des blocs 4, 5 et 6 cylindres des années 60, des moteurs des premières F1 et de nombreuses Honda de série dont la spectaculaire 1000 CBX. Le budget de fonctionnement est conséquent mais des recettes sont tout de même attendues via la commercialisation de machines compé-client et de kits compétition. Le HRC est une cellule très secrète avec des missions tous azimuts dont la plus immédiate est de battre Yamaha dans la catégorie reine du sport mondial, les Grands Prix 500 de vitesse sur lesquels l’Américain Kenny Roberts règne en maître avec sa 500 YZR officielle, mais aussi en motocross aux États-Unis, dans la spectaculaire discipline du supercross dominée par Bob Hannah, pilote d’usine Yamaha lui aussi.
L’offensive est lancée à travers la fabrication de machines d’une qualité rare, des protos audacieux qui n’empruntent pratiquement rien aux modèles de série, portant des solutions innovantes, blindés de pièces faites à la main, taillés sur mesure pour leurs pilotes. En vitesse, le HRC prend à contre-pied ses concurrents avec une 500 2-temps 3 cylindres quand Yamaha et Suzuki s’appuient depuis toujours sur des 4 cylindres. La victoire sera au bout de la piste avec le titre mondial dès 1983 obtenu par le prodige américain Freddie Spencer. En tout-terrain, le bras armé de Honda frappe fort sur les deux continents grâce à des machines extrêmement sophistiquées et des pilotes monstrueux. En Europe avec des RC 500 M magiques au guidon desquelles Malherbe, Thorpe et Geboers vont collecter six titres mondiaux pour le HRC entre 1984 et 1990, une razzia enrichie d’épisodiques mais bénéfiques apparitions en 125 et en 250 puisque Geboers pour sa pige en 250 en 1987 remporte le titre et Jean-Michel Bayle claque le doublé 125/250 en 1988 et 1989. Aux États-Unis avec des jeunes riders prometteurs qui vont tout emporter sur leur passage, particulièrement en supercross, le sport roi : American Honda s’impose avec Donnie Hansen en 1982, David Bailey en 1983, Johnny O’Mara en 1984, Ricky Johnson en 1986 et 1988, Jeff Stanton en 1989, 1990 et 1992, Jean-Michel Bayle en 1991 avant que Jeremy McGrath n’ajoute quatre titres consécutifs entre 1993 et 1996. Seul l’officiel Kawasaki Jeff Ward parvient à stopper momentanément l’armée rouge en 1985 et 1987…
Une armée d’ingénieurs
Avec quelque 250 employés dont une majorité de jeunes ingénieurs et de brillants techniciens, les forces vives du HRC phosphorent en permanence, sortent des machines raffinées plus étonnantes les unes que les autres,
DANS LES ANNÉES 80, PARTOUT OÙ IL S’EST ENGAGÉ, LE PUISSANT HRC S’EST IMPOSÉ.
testant d’innombrables solutions techniques, utilisant les matériaux les plus nobles, magnésium, titane, fibre de carbone… La puissance de feu du service course rouge fait dire à Ricky Johnson, alors pilote Yamaha USA et futur officiel Honda, « qu’il y a plus de personnes pour fabriquer des échappements de 250 au HRC que dans tout le département cross de Yamaha ! » Pour l’activité off-road, ce sont toutefois de petites équipes d’une demi-douzaine de personnes qui bossent sur chaque projet de ce que l’on peut saisir du fonctionnement de ce service course très secret. En 1984, la fertilité des ingénieurs est contrariée lorsque l’AMA, la fédé américaine, pour limiter cette course à l’armement entre Honda et ses concurrents, décide d’imposer la
« production rule » à partir de la saison 1986 en cross et en supercross. Les machines engagées dans ses différents championnats devront disposer du cadre, du bras oscillant, des carters moteur et du cylindre de la moto de série avec des restrictions concernant les matériaux utilisés pour certains autres éléments. Frustrés, les ingénieurs du HRC pourront néanmoins continuer à exprimer leur talent sur le reste de la machine et produire des engins toujours aussi performants sur la base des CR.
Un génie collectif
Et bien sûr poursuivre leurs études sur les protos qui participent au championnat du Japon, « unlimited » lui, et continuer à exercer leur art dans les autres disciplines off-road : en rallye-raid où leur génie collectif conduit à la création d’un de leurs chefs-d’oeuvre, la NXR 750, un proto développé en huit mois, invaincu sur le Dakar de son arrivée en 1986 à son départ en 1989 ; en trial avec des 4-temps uniques comme la RTL 360 qui permet au Belge Eddy Lejeune d’écraser la concurrence en 2-temps entre 1982 et 1984 ; en dirt-track où le HRC parvient à terrasser Harley Davidson avec sa singulière RS 750 emmenée par Ricky Graham et Bubba Shobert qui remportent le Grand National entre 1984 et 1987. Le bouillonnement durera jusqu’à la fin des années 80 lorsque Honda va commencer à se retirer progressivement, laissant des teams privés prendre le relais dans certaines disciplines, mais gardant les plus importantes sous sa coupe, principalement la vitesse et le cross américain. Dans une période compliquée pour le marché de la moto dans le monde, l’heure est aux restrictions de budget. Les programmes trial, dirt-track, rallyeraid et GP cross seront ainsi abandonnés officiellement par le HRC avant le début des années 90, laissant les amateurs de technique orphelins de tous ces protos admirables qui ont permis à Honda de dominer toutes les disciplines du sport moto à une période ou une autre de cette décennie 80. Un exploit qu’aucune autre marque n’est parvenue à réitérer depuis…