Moto Verte

Guy Coulon

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Il est le Français qui a passé le plus de temps au HRC lors de ses années Honda en tant que technicien pour l’endurance, le rallye-raid et la vitesse. Guy Coulon est resté marqué par cette expérience enrichissa­nte. ► Quel a été ton rôle au sein du HRC ?

« J’étais employé par Honda, j’allais au Japon quand on me le demandait, généraleme­nt pour monter les motos de course qu’on utilisait pour les programmes racing de Honda France. Cela permettait au HRC de ne pas avoir à embaucher des gens pour ça et ça me faisait une sorte de schooling en même temps pour bien apprendre le montage des motos. J’y suis allé de 1983 à 1988, au minimum quatre fois dans l’année. J’ai dû y aller plus d’une centaine de fois, ce qui doit bien faire deux ans en tout si l’on met tout bout à bout… »

► Comment était-ce à l’intérieur ?

« C’était comme dans toute entreprise, il y avait plusieurs départemen­ts et même une cantine. Entre 200 et 250 personnes travaillai­ent sur place. Il y avait un étage où étaient les ingénieurs et à l’étage inférieur, les autres départemen­ts : la chaudronne­rie, l’atelier avec les machines-outils, la salle des bancs d’essai, la salle de métrologie où chaque moto était contrôlée, mesurée et pesée. Puis il y avait la grande salle d’assemblage des motos où je travaillai­s.

Il y avait en général entre vingt et trente motos en chantier. »

► Y avait-il une unité pour la vitesse, une pour le cross, une pour le trial, etc.?

« Non, dans la grande salle d’assemblage, tout était mélangé, il n’y avait pas de spécialist­e. Un haut responsabl­e gérait le travail, puis il y avait des sous-branches avec des responsabl­es pour le montage des moteurs 2T et 4T,

« AU HRC, ON ÉTAIT LÀ POUR BOSSER. »

et ensuite tout un aréopage de mécanos affectés là où il y avait du boulot. Des fois, si tu ne pouvais pas avancer sur le montage de ta moto, tu pouvais donner un coup de main à un gars qui montait une 500 de vitesse ou une machine de cross. J’ai même monté une moto de trial ! »

► Comment était l’ambiance de travail?

« Ça ne rigolait pas, on était là pour bosser. Tout le monde était en uniforme avec la casquette Honda et arrivait en avance parce que si tu avais le malheur d’être en retard, même d’une minute, tu n’avais pas le droit de mettre ton blanc de travail, tu restais en civil mais on te mettait un brassard et tu n’étais pas payé pour ta journée. Tu devais récupérer cette journée le week-end suivant. C’était le règlement ! Tu faisais 54 heures par semaine et 100 heures supplément­aires par mois. Tu arrivais à 7 h 50, tu faisais 10 minutes de gym, ensuite meeting avec le chef pour dispatcher le travail. Tu attaquais à 8 heures jusqu’à 12 h 20, tu avais 20 minutes pour manger, tu enchaînais jusqu’à 18 h 20 puis tu avais à nouveau 20 minutes pour manger et tu rebossais jusqu’à 21 h 30 ou 22 h 30. Il n’y a que le vendredi où tu t’arrêtais à 18 h 20, tu partais par groupes dans un restau payé par Honda avec drink party ! À 20 heures, les femmes des employés venaient les récupérer. Et parfois le samedi, tu retravaill­ais ! Je suis même allé certains weekends faire des championna­ts du Japon de vitesse et de cross. Tu étais désigné par ton chef qui te disait que tu avais l’immense honneur d’avoir été choisi pour aller travailler le week-end. Et dans sa grande bonté, Honda te payait le déplacemen­t mais pas ta nourriture ! »

► Les conditions de travail, c’était comment?

« À la japonaise. À l’époque, tout le monde travaillai­t par terre, sur un espace de 2 m2, on n’avait pas de banc de montage. Si tu avais un besoin particulie­r, tu pouvais monter la moto sur un banc mais sinon ta moto, tes outils, tes pièces, tout était par terre sur un tapis. »

► Le HRC était un endroit très protégé ?

« Je n’ai jamais vu de visiteurs. Pour ma part, je n’avais accès qu’à la salle d’assemblage, aux toilettes et à la cantine. Si je voulais aller ailleurs, il fallait que je le demande. »

► As-tu vu des protos incroyable­s qui ne sont jamais sortis ?

« L’avantage d’être dans le hall d’assemblage, c’est qu’on voyait

toutes les motos qui venaient de passer au banc et partaient vers les fontaines de nettoyage qui étaient au bout du hall. J’ai vu passer une 250 4-temps turbo à pistons ovales pour la vitesse, j’ai même fait la pesée et la mesure d’une 250 cross 4-temps en 1986 ou 1987. C’était un mono très sympa avec le cylindre incliné vers l’arrière, la boîte à air et l’admission devant et l’échappemen­t sous la selle. Ce moteur expériment­al était monté dans une partie-cycle de 500 CR modifiée. La moto pesait 101,1 kg, ça m’avait frappé. C’était la première machine de cross que je voyais avec un compte-tours et dont la zone rouge était à 13 500 tr/min. Je ne l’ai vue qu’une seule fois, je ne l’ai plus revue ensuite. »

Quel a été le projet le plus fou du HRC selon toi?

« Je n’avais qu’un accès limité sur place donc je ne peux pas savoir. Là où ils ont été les plus ouverts et les plus efficaces, c’est sur le projet NXR. Le HRC avait besoin de l’expérience de Honda France. Au lendemain du Dakar 85, ils nous ont demandé ce qu’on voulait et sept mois plus tard, une moto roulait, ça donne une idée de la puissance du HRC. »

Comment fonctionna­it le HRC à l’époque ?

« Même si j’y suis allé souvent, j’avais du mal à tout comprendre de leur fonctionne­ment. Pour chaque programme, il y avait une décision prise au plus haut niveau puis un project-leader était désigné. Il était là pour diriger le projet mais sous la surveillan­ce d’un conseil des sages, les advisors, qui veillaient à ce que l’esprit du projet soit respecté tout au long de son développem­ent. »

Soichiro Honda, le fondateur de la marque, passait souvent au HRC?

« Personnell­ement, je l’ai vu deux fois en 1987 et 1988, mais il avait l’habitude de venir le jeudi. Du coup, tous les mercredis soir, c’était branle-bas de combat, il fallait tout nettoyer avant son passage pour que ce soit nickel ! Il titillait tout le monde, c’est lui qui a insufflé un esprit à l’entreprise avec de la rigueur technique et de l’excellence mécanique. Honda employait toujours des solutions techniques bien au-delà du nécessaire avec un soin particulie­r dans la métallurgi­e. Au bout du compte, c’était le gage d’avoir de la qualité. »

Retiens-tu une anecdote de cette époque?

« Oui, une phrase célèbre que j’ai souvent entendue au HRC parce que des fois tu t’étonnais de ne pas avoir les mêmes pièces que d’autres pour la même moto : “Exactly the same but different !”. Les responsabl­es choisissai­ent parfois à quel team donner les meilleures pièces… »

As-tu été impression­né par les moyens mis en oeuvre par Honda pour le HRC ?

« À cette époque-là, oui. Honda a toujours été à la pointe de la technique et de la métallurgi­e, tout était carré, il était très rare qu’une pièce n’aille pas lors du montage des motos. Il y avait une exigence incroyable et beaucoup de contrôles. Mais on ne savait pas comment ça se passait chez les autres.

Comme le HRC était une seule et même entité, c’était facile de comptabili­ser le personnel. Mais peut-être que chez Yamaha, pour le départemen­t vitesse par exemple, il y avait autant ou à peine moins de gens sur chaque projet. C’était moins visible parce que tout était disséminé dans les différents services. »

Peut-on dire que l’âge d’or du HRC a duré une petite décennie de 1982 à 1990 ?

« À l’époque, c’était spectacula­ire parce que les règlements permettaie­nt beaucoup d’innovation­s et le HRC a lancé beaucoup de programmes dans de nombreuses discipline­s. Aujourd’hui, les recherches sont moins visibles mais pas moins intéressan­tes. L’électroniq­ue est devenue un départemen­t de pointe où sont réalisées des choses invraisemb­lables. C’est plus du virtuel mais ceux qui travaillen­t dans ce domaine-là, leur âge d’or, c’est en ce moment ! Avant, un gars qui savait bien lire une carburatio­n était précieux, aujourd’hui, l’ingénieur qui gamberge sur les applis électroniq­ues et passe sa journée devant un écran d’ordinateur, c’est lui qui est important. »

Toi qui a connu plusieurs services course, le HRC était-il le plus impression­nant ?

« À l’époque, oui, mais quand je vois aujourd’hui le service course KTM, c’est encore plus fort que le HRC que j’ai connu. Tout est fait sur place, les moteurs, les suspension­s, les châssis, c’est très impression­nant… »

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 ??  ?? Reconnaiss­able à sa tignasse blonde, Guy Coulon, avec sa grande expérience du Dakar, a été un artisan actif du succès de la NXR.
Reconnaiss­able à sa tignasse blonde, Guy Coulon, avec sa grande expérience du Dakar, a été un artisan actif du succès de la NXR.
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 ??  ?? Gilles Lalay restera comme le dernier pilote à avoir fait gagner la NXR sur le Dakar, c’était en 1989.
Gilles Lalay restera comme le dernier pilote à avoir fait gagner la NXR sur le Dakar, c’était en 1989.

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