Moto Verte

COLLECTION

Gérard Goujat cuisine les vieilles…

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Chez Gérard Goujat, la journée démarre avec un bon café, à l’ancienne, comme le faisaient nos parents, en ouvrant le paquet qui diffuse son arôme, en donnant le temps à l’eau d’humidifier le filtre et en observant le goutte-à-goutte qui fait monter la marée noire dans un clapotemen­t hypnotique… Un détail qui en dit long sur l’état d’esprit du maître des lieux. Ici, le baroudeur de l’enduro – il débuta en 1975 sur un RocVale 50 – vit quelque peu retiré du tumulte de la civilisati­on, ce monde qui bouge un peu trop vite pour qui aime prendre le temps d’observer, de comprendre, de réfléchir avant de bien faire les choses, sans avoir besoin de recommence­r car la première fois est la bonne. Le travail de qualité, même lorsque l’on parle de restaurati­on en tant que loisir, c’est culturel chez Gérard Goujat, grâce à une formation technique : CAP d’ajusteur et de dessinateu­r industriel, BEP de mécanique générale, Bac F1,

GÉRARD CULTIVE L’ESPRIT PIONNIER DE L’ENDURO ET LES BONS COUPS DE MOTO ENTRE POTES.

avant d’oeuvrer chez Wheel’s Fargo Styling comme plasturgis­te, casseur à Vaujours, mécanicien chez l’importateu­r Cagiva (Grassot Moto Production), motociste à Coulommier­s (Pulsion Motos, revendeur CagivaHVA-Ducati), VRP chez Mad, artisan dans la rénovation. Gérard a bien bourlingué, accumulant connaissan­ces et expérience, la sagesse en prime. Inutile de lui raconter la messe, il connaît la musique. Il n’est pas riche mais il a des valeurs, et des amis, son bien le plus précieux. Entre les deux, la courroie de transmissi­on, c’est la mécanique, sur deux et quatre roues. Il aime les Anglaises – Triumph Spitfire, Herald et rare Bond – et les Italiennes – Lancia Fulvia, Alfa Romeo Bertone. Éclectique, il roule en Volvo Amazon et Citroën CX break (comme feu Marcel Seurat) et cherche actuelleme­nt un Land Rover séries II ou III. Mais ce qui nous intéresse en premier lieu chez Gérard, et c’est le but de notre visite, ce ne sont pas les bagnoles mais ses bécanes ! Gérard a fait ses armes au guidon d’une HVA 125 WR puis d’une SWM RS 250 GS avant d’acquérir une KTM 125 GS « Touquet replica » de 1983 avec laquelle il gagna sa première course à Brionne. Pour autant, son premier amour de jeunesse, à égalité avec le groupe de rock britanniqu­e Jethro Tull – dont il avait dessiné les logos sur sa besace militaire lorsqu’il était en seconde – fut une Suédoise, la Monark. Une décennie plus tard, Gérard est sur un nuage en faisant main basse sur une Monark 125 ISDT de 1976 appartenan­t au président du club Ossa. Une opportunit­é rare car complèteme­nt d’origine, avec 2 500 kilomètres au compteur, immatricul­ée au nom de Royal Moto, dans l’Aube, où elle devait servir à l’importateu­r.

« C’est la moto de mes rêves. Il y avait un gars qui faisait des roues arrière et qui montait et descendait les marches de l’église devant le collège. J’étais scotché ! Elle n’était plus produite au moment où j’ai eu l’âge de la conduire, en 1977. Je l’ai achetée en 1984, à une époque où la moto ancienne n’était pas encore une mode et je n’ai jamais cessé de l’utiliser. Elle est de très loin, la Monark qui a le plus roulé en France, y compris en course. »

Plus de cent motos à son actif

Si Gérard a longtemps pratiqué

la compétitio­n, plusieurs fois champion Ile-de-France en 125 et 4-Temps (HVA 410), mais aussi sur des classiques comme La Baja espagnole, la Corsica 1000, le Quadruple Aveyronnai­s, le Trèfle Lozérien où il se classe 2e en catégorie trail sur une Honda 650 Dominator derrière Daniel Delavault et sa Yamaha 200 DTR, ce qu’il affectionn­e aujourd’hui, hormis de beaux rendez-vous comme les ISDT Vintage 2020 à Brioude, ce sont les coups de motos entre copains

« où les types ne viennent pas te tripoter pour savoir si tu as la dorsale NF machin ». Le ton est donné, Gérard, c’est un caractère bien trempé et il sait ce qu’il veut. Et ce qu’il ne veut pas, notamment les motos japonaises.

« Je ne me suis jamais reconnu dans leurs modèles. J’ai déjà couru et roulé avec, mais je n’en ai jamais acheté. Lorsque j’ai eu mon magasin et que je vendais des Husky, j’ai compris la méthode marketing des “Japs” qui se résume par : eux, ils sont, et nous, on doit prouver qu’on est. Et ça m’a bien énervé ! » Si Gérard Goujat a chevauché une centaine de motos, il en conserve une douzaine dans son garage, certaines bien rangées… dans des caisses, sur des étagères, en attente de retrouver le jour (HVA 400 1970, HVA 250 1969, Greeves Anglian 1966, bitza Monark 175), les autres, en état de fonctionne­ment, prêtes pour la balade, voire la compétitio­n : Monark 125 ISDT 1976, Hercules 125 GS 1975, HVA 250 Commando 1968, CCM 500 1978, Matchless G80 GS 1962, HVA 390 WR 1978, Cagiva 125 WMX 1986, Triumph 200 Tiger Cub. Elles ont toutes une histoire. « La CCM, qui se trouve être celle d’un ex-pilote inter Suisse, mais je ne sais pas qui, était celle d’un copain qui avait démarré la restaurati­on. Je l’ai échangée contre je ne sais plus quoi… Je me rappelle juste qu’elle était montée avec un réservoir de RM et que l’embiellage était libre ! La Matchless appartenai­t à Maurice Bataille, un grand cascadeur. Il fut le premier à faire rouler un camion sur deux roues. Il l’utilisait pour ses

DANS SES CARTONS, DE RARES HUSQVARNA DE LA FIN DES 60’S EN ATTENTE DE RESTAURATI­ON.

cascades, en sautant par-dessus des Simca Aronde et P 60. J’ai eu la chance inouïe qu’il m’ait vendu cette moto alors que je n’avais que 19 ans. Je n’en reviens toujours pas ! La HVA 250 Commando de 1968 était sur un stand à la bourse de Novegro. Quand je l’ai vue, j’ai craqué ! Comme je n’avais pas trop d’argent, je l’ai réservée avec une poignée d’euros et j’ai pris rendez-vous pour la récupérer plus tard, à Florence.

Mais alors que des potes passaient sur le stand, ils m’avertirent que d’autres collection­neurs, désireux de l’acheter, proposaien­t plus d’argent. Le soir, tous les potes se sont cotisés pour me prêter de quoi la paye intégralem­ent le lendemain et pour la ramener illico. Je ne savais pas alors que nous étions en pleine crise de la Covid à Milan et que je n’aurais sans doute pas pu la récupérer avant longtemps. » Gérard se dit rassasié, mais se laisserait volontiers séduire par une Jawa d’enduro, à restaurer bien sûr, car là est une part de son plaisir.

« Ma philosophi­e est simple : j’habite au paradis et je possède les motos de mes rêves, alors je ne suis pas pressé. Si j’ai des sous, j’avance, si je n’en ai pas, j’attends… pas de stress. » Hormis l’époxy, le nickelage bichromaté, la peinture des réservoirs et les autocollan­ts (confiés à son pote Hervé Rocchia), les embiellage­s et réalésages (réalisés par Lionel Brancquart), Gérard s’attelle, sans se forcer, à tout faire par lui-même, ayant en tête la phrase de François Arsène :

« Il n’y a de nouveau que ce qui a été oublié, et d’ajouter… surtout en mécanique. »

La passion, son fil conducteur

Le garage-atelier de Gérard Goujat n’est pas très vaste, mais il y entasse des trésors : toute une série de moteurs Sachs et de Husqvarna 250 et 400, des guidons, des fourches, des réservoirs dont un magnifique bidon

« Lindström » qui mérite que l’on s’y attarde. Gérard le découvre, en 2011, à la bourse italienne de Novegro,

« dans un gros tas, posé à même le sol ».

Il l’achète sans réfléchir, au coup de coeur, s’interrogea­nt sur sa provenance et à qui il avait bien pu appartenir. L’éclairage viendra de Jean-Marc Oziol, le docteur ès-enduro qui lit son post sur Le Guide Vert et remonte la filière. En fait, aux ISDT de Dalton, aux USA, en 1973, les pilotes engagés en équipes de club devaient – règlement oblige – rouler sur au moins deux marques différente­s. Sous la bannière SMK Eksjö, le Suédois Bengt Bokstedt, inscrit en classe 500 avec le numéro 279, eut recours à un stratagème dont les pilotes étaient coutumiers : rebaptiser une moto, ici une HVA, avec une autre appellatio­n, Lindström (un fabricant en lien avec Husqvarna) et le tour était joué. Dans un jus magnifique, ce réservoir noir patiné par la course est une exceptionn­elle pièce historique

« la mémoire vivante de cette aventure »,

ajoute Gérard qui tacle gentiment au passage ceux qui pensent que le rendez-vous bisannuel de Novegro ne mérite plus le déplacemen­t… Mais la chance est à géométrie variable.

« Lors de la rando à l’Historique Marchois, j’avais totalement restauré la boîte de vitesses avec des pièces neuves dont le fameux croisillon. Je ne connaissai­s pas sa provenance réelle. Il s’est avéré qu’il venait des States et que c’était de la daube. Il a explosé en mille morceaux, détruisant toute la boîte de ma 125 Monark. » Pas de quoi le faire renoncer car Gérard est bien dans ses pompes, conscient de ce qu’il a, plutôt que désireux ce qu’il n’a pas, avec une philosophi­e de vie limpide. « L’homme est heureux quand il est bien entouré, mais surtout si un fil conducteur

le dirige. La passion est ce fil conducteur, quel que soit le domaine. C’est le lien social indispensa­ble d’une bonne santé mentale. » Quel regard il porte sur le milieu de la moto ancienne, son évolution, s’il a des suggestion­s à formuler ? « En vieillissa­nt, les hommes cherchent le Graal et sont plus exigeants dans leur démarche. Je dirais que l’esprit de compétitio­n vient un peu gâcher les rencontres que l’on faisait sur les courses d’anciennes au début et rend un peu distants les gars entre eux. Et puis la catégorie C6 (motos de 1986 à 1991) ne fait rien pour arranger les choses. Les organisate­urs ont besoin de faire tourner leur club et je comprends qu’ajouter les anciennes sur leurs épreuves amène des brouzoufs dans les caisses. Néanmoins, les anciennes et les anciens qui sont engagés devraient être mieux considérés (en termes de temps, d’horaires de passage, avec des déviations pour ceux qui ne veulent pas casser leurs motos). Il faut quand même se dire qu’une moto refaite dans les règles, pendant des années, vaut parfois quasiment le prix d’une moto neuve. C’est normal de ne pas vouloir la jeter dans les grimpettes. On ne trouve pas les pièces chez le concession­naire du coin. » Puisqu’il est intarissab­le sur le sujet, un conseil aux nouveaux venus dans la moto ancienne ? « Il vaut mieux démarrer avec une bécane toute pourrie, pas chère et incomplète, pour comprendre immédiatem­ent le coût de revient d’une telle restaurati­on et s’attaquer ensuite à des projets adaptés à son savoir-faire. On comprend mieux la valeur des choses quand on s’est cassé le nez sur des épaves. » Et concernant les motos qui deviendron­t demain des collectors ? « Je dirais les machines des années 90, mais pour moi, ce sont des motos d’occasion. Le mieux étant d’acheter l’occase chez un concession­naire qui veut vite rentrer dans son pognon s’il a fait une reprise, sauf bien, sûr, s’il aime les vieilles motos. » (rires)

À TRAVERS LE LABEL TOXIC OLDIES, GÉRARD FÉDÈRE MAUVAISE FOI ET BONNE HUMEUR.

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 ??  ?? Gérard Goujat aime les motos européenne­s de caractère, comme cette CCM 500 de 1978.
Gérard Goujat aime les motos européenne­s de caractère, comme cette CCM 500 de 1978.
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 ??  ?? Triumph 200 Tiger Cub 1966 et Hercules 125 GS 1975, réservoir « Lindström » ISDT 1973 déniché à Novegro.
Triumph 200 Tiger Cub 1966 et Hercules 125 GS 1975, réservoir « Lindström » ISDT 1973 déniché à Novegro.
 ??  ?? Cagiva 125 WMX 1986 pour enduriser dans la colline autour de chez Gérard.
Cagiva 125 WMX 1986 pour enduriser dans la colline autour de chez Gérard.
 ??  ?? Moteurs Sachs et HVA, guidons, réservoirs… Gérard ne manque pas de stock.
Moteurs Sachs et HVA, guidons, réservoirs… Gérard ne manque pas de stock.
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 ??  ?? Matchless G80 GS 1962 destinée aux cascades, exMaurice Bataille.
Matchless G80 GS 1962 destinée aux cascades, exMaurice Bataille.

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