DÉCOUVERTE
Dans la roue de Julien Absalon…
Le plus grand pilote français de VTT cross-country est un grand fan de moto. S’il a dû mettre de côté cette passion durant sa carrière, il n’a pas tardé à se remettre en selle sur une 300 Husky une fois à la retraite. On vous raconte le bon coup d’enduro qu’on a eu l’occasion de partager avec lui pendant deux jours sur ses spots à Fréjus.
Les carrières en moto commencent généralement par un passage sur un vélo mais rares sont les histoires de champions de vélo qui n’ont pas été de près ou de loin influencées par la moto. L’exemple de Julien Absalon avec qui nous avons passé deux jours, chez lui, dans le Sud, à découvrir ses traces enduro du côté de Fréjus, confirme en tout cas cette théorie. Comme pas mal de gamins, le double champion olympique de VTT a d’abord lorgné vers le deux-roues motorisé :
« Quand j’avais dans les 14/15 ans, mes parents ne voulaient pas m’acheter une mobylette. J’habitais un village où les maisons étaient dispersées et pour aller voir les copains, il fallait forcément une mobylette ou un scooter. Mes parents trouvaient ça trop dangereux alors, je me déplaçais à vélo. C’est ce qui m’a donné le goût à l’effort. Et à force de suivre les copains qui étaient sur leurs mobylettes, ça m’a aussi certainement fait la caisse. À cette époque, mon père avait un ATC, un truc hyper dangereux avec deux roues à l’arrière et une à l’avant. Je le lui piquais assez souvent. J’avais aussi une voisine qui avait un PeeWee. Je le lui empruntais alors qu’il était bien trop petite pour moi. J’aurais rêvé étant gamin de faire de la moto. À dix ans, j’avais des posters de Jean-Michel Bayle dans ma chambre. Un jour, mes parents m’ont dit que si j’avais un 15 de moyenne, ils m’offriraient une 125 trial. Jusque-là à l’école, je faisais le strict minimum pour avoir 10/11 de moyenne et là, bingo, la carotte a fait son effet.
J’ai eu 15 et j’ai pu commencer à rouler dans les champs à moto. J’y ai tout de suite pris goût. Plus tard, lors d’un voyage en avion pour les championnats du monde Junior de VTT, je me suis retrouvé à côté de Fabien Barrel
(triple champion du monde de VTT de descente). On rêvait tous les deux du titre et nous nous sommes dit que si nous le décrochions, à notre retour en France, on s’achèterait une moto. C’est exactement de qui s’est passé et je me suis payé une Yamaha 250 WR 2-temps. Quinze jours après, je passais mon permis moto pour me mettre à l’enduro. » Dans un contexte différent, on aurait très bien pu imaginer Julien faire carrière dans la moto : « Quand tes parents ne sont pas branchés, se lancer dans un sport mécanique est compliqué. C’est coûteux et il faut forcément que les parents soient motivés au départ. »
En mode « extrême »
À mesure que le vélo a pris une place de plus en plus importante dans sa vie, Julien a dû mettre de côté la moto :
« J’en ai fait de 1998 à 2004. D’abord avec cette WR, puis avec une CR quand
« À 10 ANS, JULIEN ABSALON AVAIT DES POSTERS DE JEAN-MICHEL BAYLE DANS SA CHAMBRE. »
j’ai commencé à aller sur les terrains de cross avec mon frère. En 2004, lorsque je préparais les jeux d’Athènes, j’ai fait une chute et je me suis fait un bel hématome à la cuisse. Je me suis alors dit que ça ne serait pas sérieux de se blesser à moto à la veille les jeux. Pour ne pas avoir la tentation d’en refaire, je l’ai vendue et n’en ai plus refait de 2004 à 2018. » C’est donc tout récemment qu’il a remis le pied à l’étrier quand sa compagne Pauline Ferrand-Prévot, qui vise l’or en VTT aux prochains Jeux Olympiques de Tokyo, a eu l’idée de se mettre à la moto pour travailler sa technique de pilotage : « Pauline avait des petites difficultés à accepter la vitesse à vélo. L’idée était de faire de la moto pour prendre confiance. J’en ai profité pour acheter une moto en même temps qu’elle. Elle n’en a pratiquement pas fait contrairement à moi. J’en suis à ma deuxième Husqvarna 300 et j’ai vendu la première, avec 150 heures au compteur en un an. »
Julien roule en moyenne deux fois par semaine, avec une bande locale plutôt branchée « franchissement ». On a rendez-vous à 9 heures chez lui pour une première sortie. La nouvelle 300 de Julien, protégée de partout, semble confirmer que le parcours devrait être typé « extrême ». C’est Julien qui nous guide ce matin : « Ah mince, t’as pas de protège-mains sur ta Gas ? Me glisset-il. C’est pas idéal ici. » En effet, dans le Sud, la végétation est dense et dès le premier passage serré, les branches qui dépassent veulent toutes me prendre le frein avant. Il faut rester sur ses gardes, mais l’itinéraire est si technique, tant au niveau du tracé que de la nature du sol et du relief, que l’on ne prend guère de vitesse. La boucle est franchement sympa.
Je m’attendais à des chemins poussiéreux glissants et plein de pierres mais les pluies de ces derniers jours ont rendu le sol vraiment agréable : « J’aime bien quand il y a du franchissement et que c’est assez dur. Je considère l’enduro comme un vrai sport. Quand je fais une sortie, j’ai besoin de rentrer bien rincé. Mais quand ça va trop vite, ça ne m’amuse pas.
Il y a des risques assez importants en cas de chute. Je préfère les montées hyper raides. On a moins de risques de se faire mal. »
Sur la terre dans le Sud
On n’a pas le temps de s’ennuyer sur le parcours de Julien. Quand on n’est pas concentré sur sa trace et le pilotage, on lève les yeux et le paysage est somptueux. La boucle nous emmène jusqu’à Bagnols-en-Forêt. Un endroit vraiment joli et aussi bizarre que cela puisse paraître dans le Sud, avec des chemins sur de la bonne terre. Julien veut nous emmener vers un beau point de vue mais l’accès est un peu technique. La trace n’est pas large et semée d’embûches et de virages serrés. C’est même carrément trialisant par endroits. On y laisse quelques gouttes de sueur mais le panorama vaut en effet le détour. La fin qui nous ramène à une section plus roulante n’est pas très longue, mais aussi bien costaud. C’est limite si l’on ne doit pas porter la moto dans les blocs de cailloux. La redescente se fait sur une piste sous une ligne électrique et là, « ça sent le Sud ». C’est sec, plein de pièges et de cailloux roulants… En trace direct bien raide, on ne met pas longtemps à se retrouver en bas. On se fait un petit casse-croûte chez Julien avant de repartir pour une petite cession avec les enfants. Tout le monde est visiblement à bloc avec la moto dans la famille. C’est sur un tracé privé qui tourne en rond que l’on se retrouve tous pour terminer cette journée de moto. Ju a sorti la moto de trial pour varier les plaisirs : « Je roule dans le coin avec plusieurs groupes et notamment avec des anciens qui ont une soixantaine d’années et qui ont fait de la moto toute leur vie. Ils ont un bon niveau technique parce qu’ils ont pratiqué l’enduro et le trial. Ils m’ont tous dit que le trial était une bonne manière de progresser. Et c’est vrai que c’est réellement sympa. C’est ludique et ça m’apporte énormément pour l’enduro. Et puis en trial, c’est facile d’aller rouler une heure. C’est beaucoup moins de préparation et d’organisation que l’enduro. Et surtout, comme je pars de zéro, c’est super agréable de se sentir progresser. » Dans un style complètement différent, Tom et Louca,
« JE PROGRESSE À MOTO ALORS QU’À VÉLO, C’EST PLUTÔT L’INVERSE… »
les deux gamins, se régalent à enchaîner les boucles sur leurs minimotos. Julien alterne les zones de trail et les virages avec ses minots. À la fin de cette première journée, tout le monde semble en avoir assez, même Julien qui a pourtant toujours une condition physique bien supérieure à la moyenne.
Le moins vite possible
On remet ça le lendemain à la même heure, mais cette fois le rendez-vous est donné chez Azur Motos, la concession Husqvarna de Fréjus. On retrouve une belle brochette d’enduristes de la région dont Didier, le patron du magasin, qui va nous guider : « La moto m’a vraiment permis de faire de belles rencontres. C’est enrichissant d’évoluer dans un autre milieu que le VTT. La mentalité est différente. » À voir le profil des motos des locaux, la sortie ne devrait pas être bien différente de la veille. On longe d’abord Le Reyran, un torrent du Var, sur un chemin large, plat et roulant. À la première occasion, Didier nous embarque dans le chemin le plus étroit qu’il trouve et nous prévient :
« On devrait se réchauffer maintenant. Allez-y un par un. » La côte n’est pas forcément hyper raide, mais la difficulté consiste à réussir à faire passer à la fois la moto et le pilote. Je me coince dans un passage où il y a une grosse ornière, une énorme racine avec le guidon bloqué dans l’arbre intérieur et le sac à doc accroché à une branche en haut. Le genre de situation où en effet, on se réchauffe. La suite est lente, technique mais vraiment sympa d’autant plus qu’il fait un temps magnifique et que ce chemin qui longe un petit cours d’eau est particulièrement pittoresque. La promenade continue sur le même thème avec une côte bien corsée.
Le but commun étant visiblement de passer le plus de temps à faire le moins de kilomètres : « La dernière fois, on a attendu 45 minutes en haut que les derniers arrivent ! », précise un acolyte de la bande. Ça ne durera peut-être pas 45 minutes cette fois, mais il faudra quand même un bout de temps avant que toutes les motos soient en haut. La fin de la boucle restera dans cette même logique, mais avec un peu moins de passages compliqués. La journée de moto n’est pas encore terminée que Julien prend déjà rendez-vous avec ses collègues pour refaire une sortie assez vite. Le champion de VTT a vraiment accroché avec l’activité : « Je ne me vois pas arrêter le vélo pour faire uniquement de la moto mais c’est intéressant parce que je progresse alors qu’à vélo, ça aurait plutôt tendance à être l’inverse. Ça me plaît beaucoup et c’est très addictif. J’avais prévu de faire la Grappe de Cyrano mais elle a été annulée à cause de la Covid. » Mais même si Julien est un compétiteur dans l’âme, il reste là dans une logique de loisir :
« À 40 ans, je ne vais évidemment pas aller chercher les résultats et encore moins une seconde carrière dans la moto. »