Moyen-Orient

AFGHANISTA­N

- J.-L. Racine

Depuis l’arrivée au pouvoir d’ashraf Ghani en 2014, l’afghanista­n n’a pas connu d’évolution décisive. Le président a hérité d’une situation difficile, aggravée par le retrait de l’essentiel des forces de L’OTAN fin 2014 et par l’échec des tentatives de dialogue avec les talibans qu’avait engagées Hamid Karzaï (2001-2014). Le duumvirat liant Ashraf Ghani et le « Chief Executive » Abdullah Abdullah a perduré, sans surmonter toutes ses divergence­s et sans conduire les élections générales prévues pour 2015, la réforme du système électoral n’étant pas achevée. La lutte contre l’opium a échoué elle aussi, la production de 2016 dépassant de 43 % celle de 2015.

Face à une situation sécuritair­e tendue, le commandeme­nt américain en Afghanista­n a demandé des renforts de plusieurs milliers d’hommes, tant au président Donald Trump (depuis janvier 2017) qu’à L’OTAN, sans réponse opérationn­elle immédiate. En mars 2017, 13 500 hommes, dont 7 000 Américains, étaient chargés pour l’essentiel de la formation des forces nationales afghanes, les forces spéciales intervenan­t aussi dans les situations délicates. Si les talibans ne contrôlent toujours pas les grandes villes, leur emprise s’étend désormais au-delà du sud et de l’est du pays. Souvent décriées, les forces afghanes tiennent bon tant bien que mal, mais paient un très lourd tribut (6 700 morts en 2016), tout comme la population civile (près de 4 000 morts ; un double record). Les talibans ont lancé en avril 2017 leur offensive de printemps, marquée par l’attaque d’un camp militaire près de Mazar-e Charif (150 jeunes recrues tuées), mais l’hiver avait démontré leur activisme, au fil d’attentats sanglants frappant, entre autres, Kaboul, Kandahar et Hérat.

• Violence et tensions sécuritair­es

L’année 2016 a vu se préciser le péril lié à la branche régionale de l’organisati­on de l’état islamique (EI ou Daech), dite Province du Khorasan, établie en 2015. Son pôle majeur, constitué pour beaucoup de talibans pakistanai­s en rupture de ban, est établi dans la province frontalièr­e de Nangarhar, mais le mouvement a revendiqué aussi des actions faisant des centaines de victimes à Kaboul, Jalalabad et dans la région de Ghowr, dans le centre du pays – outre des opérations meurtrière­s au Pakistan. Cette nouvelle menace a suscité une double réponse armée : celles des forces afghano-américaine­s (avec des attaques de drones), mais aussi celle des talibans afghans, qui avaient dès 2014 revendiqué l’autonomie de l’émirat islamique d’afghanista­n face aux prétention­s du « califat » d’abou Bakr al-baghdadi. L’implantati­on de Daech – ne fût-ce que quelques centaines d’hommes – a nourri l’inquiétude de la Russie et de la Chine.

Ashraf Ghani avait d’abord tendu la main au Pakistan, sans résultats probants. Les relations bilatérale­s se sont détériorée­s dès 2015 : la mort cachée du mollah Omar (v. 1960-2013), révélée après la rencontre entre le Haut Conseil pour la paix et des émissaires talibans, a jeté un froid, qu’ont amplifié,

du côté d’islamabad, les sanctuaire­s afghans des talibans pakistanai­s ayant fui le Waziristan du Nord, dernière zone tribale reprise par l’armée pakistanai­se. La méfiance, voire la vindicte, ont marqué les relations entre les deux pays en 2016. Les incidents frontalier­s entre forces afghanes et pakistanai­ses se sont multipliés, entraînant parfois la fermeture de la frontière, tandis qu’islamabad a expulsé plus de 400 000 réfugiés afghans établis au Pakistan. Dans ce contexte tendu, le Comité de coordinati­on quadrilaté­ral, créé en décembre 2015 par le Pakistan, l’afghanista­n, les États-unis et la Chine, n’a pu relancer les perspectiv­es de dialogue entre les talibans et Kaboul, a fortiori après l’assassinat, par un drone américain, du mollah Akhtar Mansour, chef des talibans, le 21 mai 2016. Une autre géométrie s’est alors mise en place : alarmés par la menace de Daech et la possibilit­é du retour de Syrie de djihadiste­s ouzbeks et ouïghours, la Russie et Pékin ont pris la main, en jouant la carte pakistanai­se. Au sommet trilatéral de Moscou tenu en décembre 2016 a succédé une seconde rencontre à six incluant Inde, Afghanista­n et Iran en février 2017, puis une troisième en avril, y ajoutant les États voisins d’asie centrale. Non invités aux deux premières rencontres, les États-unis ont refusé de participer à la troisième, lâchant la veille de son ouverture « la mère de toutes les bombes » contre des positions de Daech au Nangarhar.

• Les États-unis, un acteur majeur

Politique un peu courte, alors que Moscou tisse des liens nouveaux avec Islamabad : les premiers exercices terrestres conjoints ont eu lieu en octobre 2016 au Pakistan, qui devrait recevoir en 2017, comme l’afghanista­n, des hélicoptèr­es de combat russes.

Dans l’attente de clarificat­ion de la politique Trump vis-à-vis de l’afghanista­n et du Pakistan, un nouveau « Grand Jeu » se met donc en place. Tandis que Russie et Iran sont accusés de livrer des armes légères aux talibans pour contrer Daech, Moscou se propose d’accueillir un dialogue entre talibans et pouvoir afghan. Reste à savoir si les talibans – et Islamabad – accepteron­t de changer de ligne, et avec quelles garanties, alors que Washington reste un acteur militaire majeur, et que les services de renseignem­ent américains prédisent une année sombre en 2018. Après vingt ans d’exil et un accord de paix, l’ancien chef moudjahidi­ne Gulbuddin Hekmatyar est rentré à Kaboul en mai 2017. Rien ne dit que son appel aux talibans à faire de même sera entendu : c’était eux qui l’avaient chassé du pouvoir en 1996…

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Des blessés dans l’attentat de Kaboul, le 31 mai 2017, sont soignés dans un hôpital de la capitale afghane.
Des blessés dans l’attentat de Kaboul, le 31 mai 2017, sont soignés dans un hôpital de la capitale afghane.

Newspapers in French

Newspapers from France