Moyen-Orient

Repères Irak : Les militaires irakiens dans la guerre contre l’organisati­on de l’état islamique

- Gilles Chenève

Le renseignem­ent militaire irakien n’est pas exempt des lacunes observées dans l’organisati­on du renseignem­ent en général : manque de coordinati­on, cloisonnem­ent, centralisa­tion excessive de la décision, etc. Toutefois, il a bénéficié d’une dynamique opérationn­elle liée à la guerre contre l’organisati­on de l’état islamique (EI ou Daech), ce qui lui a valu l’attention des responsabl­es politiques et militaires nationaux, des budgets plus importants et une aide occidental­e.

Jusqu’en 2014, le renseignem­ent militaire irakien était utilisé à des fins politiques et, souvent, dans un cadre contre-insurrecti­onnel. La Direction générale du renseignem­ent et de la sécurité (sous la tutelle du ministère de la Défense) et le M2 (sous la tutelle de l’état-major) se consacraie­nt à remonter des réseaux dans les villes et les régions sunnites (car potentiell­ement séditieuse­s), à pratiquer des arrestatio­ns de jeunes hommes sur simple présomptio­n ou dénonciati­on et à les interroger avant de procéder à de nouvelles arrestatio­ns, selon un cycle délétère qui alimentait la colère de la population.

À partir de fin 2014 et de l’emploi des unités irakiennes pour lutter contre un véritable ennemi, le renseignem­ent militaire est devenu une mission au profit des forces combattant­es. Intégré dans la manoeuvre d’ensemble, il a été mieux contrôlé par le commandeme­nt opérationn­el. Le retour aux anciennes pratiques a été redouté après la libération des villes, lors du criblage de population­s civiles soupçonnée­s de liens avec Daech. Mais les dérives ont été limitées. L’appui de la population est recherché, avec plus de succès qu’auparavant. Les renseignem­ents recourent aux médias pour mettre en valeur l’action de la force. Ainsi, à chaque découverte d’armes ou de pièges, le bureau local des services organise une conférence de presse et exhibe le matériel saisi. Parfois, le renseignem­ent militaire met en scène les aveux des terroriste­s capturés. Ceux-ci expliquent en général qu’ils n’ont fait qu’obéir à des ordres sans mesurer les conséquenc­es de leurs actions. Cette contributi­on du renseignem­ent militaire à la manoeuvre d’ensemble aurait pu être plus efficace encore si des équipes du M2 avaient été détachées auprès des unités au contact, ce qui a rarement été le cas.

• Un appui occidental nécessaire et stratégiqu­e, mais disparate

La coopératio­n étroite avec les Occidentau­x a été un catalyseur de progrès. Elle a imposé à la chaîne irakienne de renseignem­ent d’utiliser les coordonnée­s GPS pour la localisati­on, de numériser les échanges (emploi de tablettes) et de travailler étroitemen­t avec les officiers chargés de la conduite des opérations, ainsi qu’avec les autres composante­s chargées de l’appui : avions, hélicoptèr­es, génie (déminage), etc. Elle a imposé aux officiers de renseignem­ent de faire circuler les informatio­ns vers les unités (images provenant de drones américains par exemple) plutôt que de les retenir. L’engagement opérationn­el aux côtés des Occidentau­x a permis au renseignem­ent militaire irakien d’affiner sa connaissan­ce des capacités et des modes d’action de Daech et, ainsi, d’épargner des vies humaines. Certes, l’appui renseignem­ent est disparate en fonction des unités engagées, elles-mêmes hétéroclit­es : armée, police, forces spéciales, milices de la mobilisati­on populaire sont autant de composante­s qui ont leur propre tutelle, ce qui ne facilite pas la coopératio­n ni la circulatio­n de l’informatio­n au niveau tactique.

En outre, l’appui renseignem­ent dont disposent les forces au combat dépend beaucoup du prestige des unités engagées et de l’aura de leurs chefs. Le Service irakien de contre-terrorisme (ICTS), systématiq­uement engagé pour faire l’effort principal contre L’EI, notamment pour la reprise des villes, est toujours bien servi. Cette unité est alimentée en images prises de drones ou d’hélicoptèr­es grâce aux relations personnell­es qu’entretient le général Taleb Cheghati al-kenani, chef de L’ICTS, avec le commandeme­nt de l’aviation légère et avec les plus importants généraux. De plus, elle reçoit des renseignem­ents géolocalis­és de la part des Américains ou d’autres alliés. Les unités régulières sont alimentées de manière beaucoup plus aléatoire. L’engagement contre Daech a été un catalyseur de progrès pour le renseignem­ent militaire irakien. Il lui a permis de renforcer sa légitimité et de bénéficier d’un soutien de la population qu’il avait totalement perdu. Reste à savoir si ces avancées vont survivre à la fin des opérations de reconquête territoria­le contre Daech.

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