Regard de Habib Abdulrab Sarori sur le Yémen
Il faudrait rétablir l’ordre et instaurer un gouvernement provisoire. Par ailleurs, ces divisions à l’échelle régionale et internationale ont laissé le champ libre à Al-qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA) et à l’organisation de l’état islamique (EI ou Daech) auxquels de nombreux attentats sont attribués, rajoutant encore de la complexité sur fond d’échec économique, de corruption et de conflits tribaux et personnels forts. La guerre au Yémen devient également une guerre civile qui a fait des dizaines de milliers de morts et affame la population. Cette situation aboutit à une crispation des protagonistes, Houthis et Ali Abdallah Saleh dans le Nord et partisans d’abd Rabbu Mansour Hadi dans le Sud, ces derniers se sentant par ailleurs de plus en plus légitimes à prôner l’indépendance de leur région.
Les contrats d’armement entre l’occident et l’arabie saoudite empêchent-ils certains pays de faire pression pour mettre fin à cette guerre ?
Tous les protagonistes tirent profit de cette guerre civile, qui se joue par puissances étrangères interposées et ravivée par la communauté internationale avec la coalition saoudienne. De leur côté, la France et les États-unis, ayant passé des contrats d’armement avec l’arabie saoudite et les pays du Golfe, sont aussi parties prenantes à ce conflit avec leurs intérêts commerciaux. On voit mal comment ils pourraient vouloir y mettre un terme. Par ailleurs, la guerre au Yémen constitue un terrain d’entraînement opportun pour l’arabie saoudite, qui n’avait pas d’armée aguerrie. Cela permet également au royaume de se positionner sur la scène internationale comme acteur incontournable de la région moyen-orientale. Il devient ainsi maître de sa stratégie politique depuis que les États-unis ont choisi de se désengager relativement du Moyen-orient pour se tourner davantage vers l’asie-pacifique, même si l’administration de Donald Trump vient de réaffirmer, en mai 2017, son aide à la coalition menée par Riyad. La guerre s’enlise et peut durer encore longtemps.
La dimension géopolitique des rivalités empêche-t-elle la résolution du conflit humanitaire qui ravage le pays ?
Le Yémen est le théâtre d’un conflit entre l’arabie saoudite et l’iran, qui règlent leurs antagonismes de façon détournée. Trop d’acteurs internationaux interviennent dans ce conflit, mais, d’un autre côté, parce que les intérêts géopolitiques prennent le dessus sur l’intérêt national, le pays ne peut se ressouder et se reconstruire seul. Sur le plan interne, les protagonistes yéménites, d’un côté Ali Abdallah Saleh et les Houthis, de l’autre, Abd Rabbu Mansour Hadi et ses partisans, veulent reprendre le pouvoir sans rien lâcher alors même que les discussions entreprises depuis des années n’ont toujours pas abouti. Seule une tierce partie, l’occident et les Nations unies, peut venir à bout de cet enlisement fait de tensions internes et internationales avec le bémol évoqué de l’implication des pays occidentaux dans la vente d’armes.
Les problèmes de gouvernance sont réels : Ali Abdallah Saleh a imposé un régime arriéré, développé le clientélisme, favorisé le népotisme et l’autorité des cheikhs, soutenu la corruption, ce qui a empêché la constitution d’un État fort. Pour venir à bout de celle-ci, il faudra des années, le temps que la classe politique soit renouvelée, mais – et là réside toute la difficulté –, depuis que la guerre a éclaté, les gens ne vont plus à l’école, la famine sévit… et le salafisme prend racine sur fond de pauvreté endémique, de crise économique. Cette révolution a néanmoins libéré les Yéménites de la peur et certains, pour la première fois, osent dire leur athéisme.
Assiste-t-on à une division irrémédiable du pays entre le Nord et le Sud ?
L’actualité le montre de plus en plus : dans le Sud, la volonté séparatiste/autonomiste est forte parce qu’il a déjà vécu deux guerres imposées par le Nord. Dès la première guerre, en 1994, les gens du Sud se sont sentis humiliés. En effet, quatre ans seulement après la réunification, Ali Abdallah Saleh, en envahissant le Sud, a voulu instaurer le salafisme et l’obscurantisme, s’approprier les terres pour ses militaires alors même que, dans le Sud, à l’époque socialiste, on ne donnait pas les terres et que la vie civile était bien différente de celle dans le Nord, conservateur. Au Sud existait une sorte de vie et d’administrations modernes (écoles, structures de l’état, etc.), non pas grâce au marxisme-léninisme, mais bien parce que les Britanniques l’ont occupé (1839-1967). Puis les guerres entre factions ont eu raison de la croyance en ce marxisme-léninisme qui les avait bercés. La volonté de séparatisme date de cette époque-là.
La seconde guerre, en 2015, quand les Houthis et Ali Abdallah Saleh se sont alliés, a vu des destructions plus violentes encore, ce qui n’a fait que renforcer la rancune de la guerre de 1994 et consolider l’idée d’une séparation d’avec le Nord. Ces mouvements du Sud sans représentation politique, sans parti structuré, s’allient parfois avec les loyalistes et expriment
Regard de Habib Abdulrab Sarori sur le Yémen
parfois clairement leur volonté de séparation. Début mai 2017, à la suite d’une manifestation, des milliers de personnes ont donné au gouverneur d’aden (limogé par Hadi), Aidarous al-zobidi, la légitimité de construire un conseil politique pour le Sud, ce qui a été fait et pourrait s’analyser comme les germes de la séparation. La situation, qui n’est pas encore suffisamment claire, dépend également des pays voisins, notamment des Émirats arabes unis et de l’arabie saoudite. Si cette séparation leur apportait de la stabilité, ils pourraient ne pas s’y opposer. Riyad ne voit pas d’un mauvais oeil que la région de l’hadramaout soit sous sa domination stratégique, car elle lui permet d’accéder à l’océan Indien.
Le Yémen subit une grave crise humanitaire (choléra, manque d’eau, malnutrition, famine). Comment la population fait-elle face ?
Le 14 mai 2017, le Comité international de la Croix-rouge a indiqué que le choléra avait fait 115 morts en deux semaines au Yémen. Le lendemain, les autorités de Sanaa ont déclaré l’état d’urgence face à la multiplication des cas de choléra dans la capitale et lancé un appel à l’aide internationale. Le ministère des Affaires étrangères français a annoncé une aide de 2 millions d’euros « pour soutenir des projets qui permettent de répondre aux besoins d’urgence absolue des populations, dans le secteur de la santé notamment ». Cette épidémie s’est développée à la suite de la grève des éboueurs, qui n’ont pas été payés depuis huit mois – et ils ne sont pas les seuls –, alors même que les gens sont déjà très endettés et que leur salaire leur permet juste d’assurer le minimum (alimentation). De plus, le système de santé a été fragilisé par la guerre civile.
La situation générale est par ailleurs catastrophique. En avril 2017, L’ONU a indiqué que 19 millions de personnes, soit 60% de la population, vivent en état d’insécurité alimentaire. Le pays est menacé d’une des pires crises de famine dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. En juin 2017, l’organisation mondiale de la santé (OMS) a informé que les combats auraient fait plus de 8000 morts et 44500 blessés depuis mars 2015.
Par ailleurs, et c’est un autre effet pervers de cette catastrophe, des gens se donnent la mort alors que le suicide est interdit en islam ; c’est dire le degré de désespérance de la population. Le Yémen est actuellement une prison à ciel ouvert et les frontières du sud sont périlleuses : mer, banditisme sécheresse… L’arabie saoudite et Oman n’acceptant pas les migrants, quitter le Yémen pour aller en Somalie équivaut à quitter un enfer pour en trouver un autre. Le Yémen est donc un pays fermé, contrairement à la Syrie, duquel les réfugiés peuvent s’échapper pour aller au Liban, en Turquie, en Jordanie ou ailleurs dans le monde même si c’est compliqué. Cette situation est d’autant plus insoutenable que le Yémen est entouré des pays les plus riches du monde arabe, qui sont aussi les plus obscurantistes.
Pourtant, l’argent est encore dans les caisses de l’état puisque les salaires ne sont pas versés depuis huit mois, ce qui permet un trafic d’argent, de marchandises, notamment via le port d’al-hudaydah, sur la mer
Rouge, vers lequel transite le peu d’importations possibles malgré les restrictions imposées au pays. Par ailleurs, les revenus de la vente du pétrole et du gaz servent l’économie de la guerre et non les civils. Ironie du sort, les impôts sont toujours perçus et la population, celle qui le peut, doit vendre son or, sa bibliothèque… La classe moyenne s’appauvrit et les plus pauvres meurent. La diaspora yéménite reste pour l’instant un recours encore possible pour sauver la population, qui envoie de l’argent à la famille à travers des relais personnels dans le pays ou en passant par Oman notamment ; mais cela prend du temps eu égard aux problèmes sécuritaires. Les dirigeants des deux camps tirent donc profit de cette situation, tout comme les puissances occidentales en vendant leurs armes. C’est un cercle vicieux duquel la population ne peut sortir que par le recours aux instances internationales.