Fiches pays
Myriam Ababsa (Jordanie), Fabrice Balanche (Syrie), Claire Beaugrand (Koweït), Jean-paul Burdy (Bahreïn, Oman), Denis Charbit (Israël), Olivier Da Lage (Qatar), Hosham Dawod (Irak), Fatiha Dazi-héni (Arabie saoudite), Nicolas Dot-pouillard (Territoires
palestiniens), Guillaume Fourmont (Mauritanie), Saïd Haddad (Libye, Tunisie), Jean Marcou (Turquie), Daniel Meier (Liban), Ali Mostfa (Maroc), Marine Poirier (Yémen), Jean-luc Racine (Afghanistan), Thomas Serres
(Algérie), Clément Steuer (Égypte), Frank Tétart (Émirats arabes unis), Clément Therme (Iran)
Au pouvoir depuis 2014, le président Ashraf Ghani reste à la tête d’un pays où l’insécurité prévaut toujours. Un rapport officiel américain estimait en mai 2018 que 65 % des 35,53 millions d’afghans (2017) vivent « sous le contrôle ou l’influence » du gouvernement, 12 % sous celui des insurgés et 23 % dans des « zones contestées ». À la demande de Kaboul, ce document n’indique pas les pertes des forces afghanes (6 700 morts en 2016) : un mauvais signe.
L’ONU a recensé 10 453 victimes civiles en 2017, dont 3 438 décès, chiffres comparables à ceux des années précédentes, mais le nombre de morts dans des attentats-suicides et à cause d’engins explosifs est en hausse. Il n’y a plus de trêve hivernale. Janvier 2018 a été sanglant à Kaboul : 20 policiers tués le 4 ; 40 morts à l’hôtel Intercontinental le 20, 103 fauchés par une fausse ambulance bourrée d’explosifs le 27 ; 11 à l’académie militaire le 29… Kandahar, Jalalabad et les provinces de Ghazni, de Takhar, de Farah, de l’helmand s’ajoutent à la liste, les cibles étant des soldats, des policiers, des membres D’ONG ou des chiites Hazaras, honnis des affiliés de l’organisation de l’état islamique de la Wilayat Khorasan (EI-K), filiale locale de Daech apparue en 2015. Elle compte moins de combattants exfiltrés de Syrie que d’anciens talibans pakistanais chassés par l’armée d’islamabad des zones tribales. Si les dirigeants talibans afghans se sont démarqués du « califat » de Daech et ont combattu les nouveaux affiliés, certains d’entre eux ont aussi changé de camp.
• Un gouvernement politiquement affaibli, en attente d’élections
En dépit des relations complexes entre Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah, son « chef de l’exécutif », le gouvernement afghan a tenu bon, mais son affaiblissement est patent, comme l’ont montré les tensions entre le président et deux gouverneurs de provinces du nord, Balkh et Samangan. La lutte contre l’opium échoue : la production, en hausse de 87 % en 2017, atteint 9 000 tonnes. La perte de crédibilité tient à l’insécurité et au climat de peur entretenu par les attentats. Les élections législatives, prévues en 2015, ont été plusieurs fois repoussées. La mise à jour des listes électorales a commencé en avril 2018 ; depuis, les bureaux d’enregistrement sont la cible d’attentats. Les législatives auront-elles lieu le 20 octobre comme annoncé ? L’enjeu est de taille, la présidentielle étant attendue en 2019.
Depuis la création en 2010 du Haut Conseil pour la paix, l’hypothèse d’une négociation avec les talibans est posée. La communauté internationale a entériné ce processus « conduit par les Afghans ». En 2015, au Pakistan, émissaires de Kaboul et délégués talibans s’étaient rencontrés, sous l’égide des services pakistanais, avec observateurs chinois et américains. Réunion prometteuse mais vaine. Ni le groupe quadrilatéral de coordination (Pakistan, Afghanistan, Chine, États-unis) établi en 2016 ni les trois initiatives russes de 2016-2017 n’ont permis de réamorcer le dialogue interafghan. En février 2018, Ashraf Ghani a proposé aux talibans l’ouverture d’un bureau à Kaboul, une négociation sur la Constitution, un cessez-le-feu. Mais ils n’y ont pas donné suite.
• La politique belliqueuse de Donald Trump en Afghanistan
Le président américain a porté à 14 000 hommes la présence militaire de son pays en Afghanistan. Intensifiées, les frappes aériennes ont accru le nombre de victimes civiles en zones rurales, mais nul ne gagne cette guerre asymétrique. La politique sud-asiatique de Donald Trump, exposée en août 2017, a mis le Pakistan sous pression, réduisant les financements américains faute d’actions claires contre tous les groupes terroristes, et louant la politique indienne d’aide à l’afghanistan. Les relations entre Kaboul et Islamabad sont restées tendues, malgré les visites de haut niveau, chacun accusant l’autre d’offrir des sanctuaires à ses talibans, tandis que Washington considère que Moscou et Téhéran fournissent des armes légères aux talibans afghans afin de contrer L’EI-K.
Les politiques de connectivité régionales méritent aussi l’attention. Les premières livraisons indiennes de blé sont arrivées en Afghanistan en novembre 2017 par le port iranien de Chabahar. Le vieux projet de gazoduc TAPI (Turkménistan, Afghanistan, Pakistan, Inde) a été relancé à Hérat en février 2018. Mais si les talibans ont annoncé qu’ils protégeraient la construction, le financement du projet est loin d’être assuré. La Chine accroît sa présence, pour des raisons à la fois stratégiques (la crainte d’un débordement extrémiste vers le Xinjiang), diplomatiques (initiative quadrilatérale) et économiques (intérêts miniers, projet de corridor ferroviaire Chine-iran). Les initiatives économiques contribuent-elles à la paix, ou la question sécuritaire bloque-t-elle le développement ? Certaines avancées sont notables, mais le taux de croissance en 2017 demeure à 2,5 %, comparable à la croissance démographique,
pour un PIB estimé à 21 milliards de dollars, l’espérance de vie moyenne étant de 52 ans. L’aide internationale est plus que jamais nécessaire, mais la paix indispensable demeure élusive.
Depuis les « printemps arabes » de 2011, l’algérie se trouve dans une position paradoxale : d’un côté, ses dirigeants présentent le pays comme un îlot de stabilité dans le chaos moyen-oriental, de l’autre, la vie politique est entièrement conditionnée par la crainte d’une dégradation des équilibres socio-économiques et institutionnels. De ce point de vue, l’année écoulée ne déroge pas à la règle, si ce n’est qu’elle rapproche l’algérie de l’élection présidentielle de 2019, une échéance cruciale qui posera à nouveau la question de la perpétuation ad vitam du mandat d’abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999.
• L’industrie pour sauver l’économie
Les réserves de devises du pays ont fondu, passant de 192 milliards de dollars en juillet 2014 à 98 milliards en novembre 2017 et conduisant le gouvernement à lancer un programme de restructuration économique dans des secteurs stratégiques identifiés (industrie, agriculture, tourisme, énergies renouvelables, technologies de communication). Objectif : réduire la dépendance aux hydrocarbures et prévenir le gonflement de la dette extérieure. L’accent a été mis sur le renforcement des capacités productives afin de diminuer la dépendance aux importations. Tout au long de l’année 2017, ces efforts se sont heurtés à un certain nombre d’obstacles liés aux intérêts divergents entre travailleurs, hommes d’affaires locaux, entreprises étrangères et gouvernement. La question sensible de la délivrance des licences d’importation a ainsi donné lieu à d’intenses luttes de pouvoir. Dans ce contexte, le Fonds monétaire international (FMI) a accru la pression sur les autorités algériennes en publiant des prévisions de croissance en baisse (1,3 % en 2017, 0,8 % en 2018). En réponse, la loi de finances 2018 vise à réduire le déficit budgétaire en augmentant certaines taxes et certains frais administratifs et en baissant les subventions pour les carburants et les cigarettes. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia (depuis août 2017), a promis un contrôle strict des dépenses publiques. Le gouvernement s’est engagé à réformer le marché du travail et le système de retraite malgré une contestation sociale toujours vive, y compris de la part d’organes connus pour leur soutien au président Bouteflika, tels que le Parti socialiste des travailleurs (PST) et l’union générale des travailleurs algériens (UGTA). Afin de calmer le mécontentement, l’exécutif s’efforce de contrôler l’inflation et met l’accent sur sa politique du logement. Les mouvements sociaux continuent néanmoins de se succéder, exprimant une colère multiforme. Les syndicats autonomes sont toujours à l’avantgarde des différentes mobilisations, notamment dans le secteur de l’éducation. À la fin du mois de mai 2018, le mouvement des médecins résidents paralysait encore de nombreux hôpitaux. La mobilisation, qui avait débuté en octobre 2017 pour protester contre l’obligation de prendre des gardes
pendant la journée, s’est heurtée à une répression brutale lors d’une manifestation au début du mois de janvier 2018. Certains conflits donnent aussi naissance à des alliances improbables : à Béjaïa, sur la côte, à environ 220 kilomètres à l’est d’alger, le blocage de l’usine du géant de l’agroalimentaire Cevital, en septembre 2017, a entraîné une mobilisation populaire au nom du « soutien aux travailleurs et aux investissements ».
• Un cinquième mandat pour Bouteflika ?
Dans ce contexte tendu, le président est mis en scène. Absent physiquement des débats publics, il est présenté comme un arbitre qui corrige ou rejette certains projets de loi, figurant une forme d’autorité désincorporée. Cela ne règle nullement la question de l’avenir politique du pays à un an de la prochaine présidentielle. L’instabilité gouvernementale a été à son comble en 2017. Après cinq années de services, Abdelmalek Sellal a été remercié en mai. Son successeur, Abdelmadjid Tebboune, n’a tenu que trois mois, avant d’être sacrifié au nom des intérêts des affairistes liés à la coalition dirigeante. C’est donc à Ahmed Ouyahia, président du Rassemblement national démocratique (RND), qu’il revient de mener le gouvernement algérien pour la quatrième fois en un peu plus de vingt ans.
Tandis qu’il s’attelle à mettre en oeuvre les réformes et à contenir le mécontentement populaire, l’hypothèse d’un cinquième mandat rejaillit. Si l’option de la continuité ne fait pas l’unanimité au sein de la coalition dirigeante, les soutiens du président, au premier rang desquels le Front de libération nationale (FLN), se mettent en ordre de bataille. Plusieurs organisations patronales et syndicales liées au régime ont renouvelé leur allégeance à Abdelaziz Bouteflika. Avec l’échéance électorale qui se profile dans moins d’un an, les partis d’opposition sont, pour leur part, confrontés à un nouveau dilemme stratégique : boycott, candidatures dispersées ou candidature unique, ou négociation avec le régime. L’incertitude est d’autant plus grande qu’il est toujours aussi difficile de décoder la volonté présidentielle, si tant est qu’elle existe encore.
Au Moyen-orient, 2017 a souvent été synonyme d’« année MBS », trigramme attribué au prince héritier d’arabie saoudite, Mohamed bin Salman, tant il a été l’objet d’une couverture médiatique saisissante. Les impressions qui ressortent sont mitigées, oscillant entre fascination et défiance, mais, surtout, incertitude liée à son ascension fulgurante. Cette perception confuse a été entretenue par un contexte intérieur dense et une exacerbation des tensions régionales où l’arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’imposent comme les acteurs clés d’une nouvelle diplomatie faite d’interventionnisme et d’intimidation. Mohamed bin Salman cible les moins de 30 ans (60 % de la population) en s’adressant à eux avec des références culturelles générationnelles, comme les promeuvent sa fondation MISK et le plan « Vision 2030 », dont l’ambition principale est d’offrir des formations et des emplois aux 18-35 ans. L’objectif de MISK est d’attirer les pôles d’excellence au sein de cette tranche d’âge dans les secteurs des multimédias et de la numérisation de la nouvelle économie. Le prince fait de ce public le socle de sa légitimité populaire en parvenant à recueillir son adhésion à son projet de transformation habillé en surface d’une dose de libéralisation sociale. Cependant, contrairement à ses prédécesseurs, Mohamed bin Salman, qui ne jouit pas de la légitimité dynastique, est plus que jamais soumis à une obligation de résultat. Les jeunes certes adhèrent à son projet de transformation, mais attendent de lui des emplois et un bon niveau de vie, sachant que le chômage a augmenté, passant de 12,3 % en 2016 à 12,8 % en 2017, selon les autorités. En septembre 2017, Mohamed bin Salman met en place le chantier d’une grande cité du divertissement et du sport. Le 25, il annonce que les femmes auront le droit de conduire à compter de juin 2018. Il organise un coup d’éclat destiné à intimider les contestataires qui tenteraient de s’élever contre sa politique intérieure et étrangère. Entre septembre et octobre 2017, il procède à une vague d’arrestations ciblant des intellectuels, des militants pour les droits civiques et de l’homme, des proches de la mouvance « sahwiste » (Frères musulmans), dont certains clercs prestigieux et populaires. Il entend briser la voix autant de ceux qui dénoncent le durcissement de sa politique étrangère que de ceux qui critiquent la « Vision 2030 » et remettent en cause les mesures d’austérité et les projets de privatisation d’une partie des grandes entreprises publiques. Parallèlement, le prince choisit de marquer les esprits en s’adressant au monde extérieur à l’occasion du séminaire « Davos du désert » des 24 et 25 octobre 2017, qui réunit les plus importants investisseurs internationaux, et déclare vouloir mettre fin à la compromission du royaume avec l’obscurantisme religieux. Le 4 novembre, il ordonne une purge à grande échelle, inédite dans l’histoire du pays. Il envoie un signal d’intimidation fort au reste de la communauté saoudienne des affaires en affirmant sa volonté d’en finir avec une corruption endémique et institutionnalisée.
• Rupture au sein du CCG
Mohamed bin Salman semble placarder à sa politique régionale la même formule qu’il applique à
sa politique intérieure, où séduction, cooptation, radicalité et intimidation alternent. La crise avec le Qatar et la conduite de la guerre au Yémen semblent davantage s’imprimer sous le sceau de son allié privilégié du moment, Mohamed bin Zayed, prince héritier d’abou Dhabi et artisan de l’armée la plus entraînée et la mieux équipée du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Ainsi, l’annonce, avant la tenue du sommet de Koweït les 5 et 6 décembre 2017, de l’instauration d’un partenariat stratégique privilégié réunissant Riyad et Abou Dhabi par le gouvernement émirati a eu pour objectif de saper la crédibilité de la rencontre et les efforts de médiation du Koweït pour parvenir à une issue négociée de la crise avec le Qatar. Le 5 juin 2017, l’arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’égypte annonçaient la rupture de leurs relations diplomatiques avec Doha, l’accusant de « soutien au terrorisme » et de participations à diverses entreprises de déstabilisation aux côtés de l’iran. Dans la foulée, Saoudiens et Émiratis fermaient leurs espaces aérien et maritime ainsi que la seule frontière terrestre de la petite péninsule qatarie. Un tel niveau de confrontation entre membres du CCG n’a jamais été atteint, rompant avec la tradition voulant que les rivalités et tensions interdynastiques se règlent « en famille ». La guerre médiatique mise en place par les quasi-monarques d’abou Dhabi et de Riyad, à laquelle l’émir de Doha a répondu avec les mêmes techniques de désinformation, est inédite dans l’histoire du CCG.
En introduisant le paradigme de la rupture générationnelle, avec un style populiste consistant à délégitimer les anciennes élites, y compris la famille régnante, pour se rendre incontournable, Mohamed bin Salman crée deux situations inédites. D’une part, il est parvenu à faire le vide autour de lui : personne au sein de la famille royale n’est en mesure de lui disputer sa place de dauphin. D’autre part, en ciblant la jeunesse, il clive une autre partie de la population, outre les anciennes élites : les tranches d’âge plus âgées qui se montrent sceptiques face à ce style détonnant, ne respectant pas les traditions liées à la séniorité. Plus encore, l’approche régionale inquiète. Mais Mohamed bin Salman pourrait, à court terme, tirer profit de son action sur le conflit au Yémen s’il parvient à négocier le retrait des Houthis des territoires qu’ils ont conquis depuis septembre 2014.
Sept ans après le « printemps de la place de la Perle », une apparence de normalité règne à Bahreïn : un Grand Prix de Formule 1, une offre touristique, le dialogue interreligieux, l’annonce de la découverte d’un gisement de pétrole et de gaz de schiste. Et l’envers du décor : une répression ininterrompue, une ingénierie électorale antichiite, un alignement systématique sur les choix régionaux de l’arabie saoudite.
Bahreïn évolue vers un statut d’émirat postpétrolier, mais les hydrocarbures représentent 85 % des revenus de l’état. La faiblesse persistante du prix du baril a généré en 2017 un déficit budgétaire de 3,5 milliards de dollars et creusé un peu plus une dette de 26 milliards. Or les ressources en pétrole s’épuisant, les hydrocarbures sont pour l’essentiel fournis par l’arabie saoudite, et les investissements étrangers n’ont jamais redécollé depuis la crise de 2011. Dès lors, les agences de notation ont dégradé la dette souveraine du royaume ; les choix de la Banque centrale sont contestés par le Fonds monétaire international. Le secteur tertiaire (61 % du PNB) est concurrencé par celui des Émirats arabes unis, de même qu’un secteur immobilier spéculatif. Les efforts de diversification sont réels. Manama mise sur le tourisme (6 % du PNB) en menant des campagnes de promotion du patrimoine, des musées et du sport (Formule 1, tennis, formation cycliste Bahrainmerida). Le parc hôtelier monte en gamme, mais son taux d’occupation est faible. L’archipel pâtit d’un déficit de notoriété par rapport au Qatar, à Abou Dhabi et à Dubaï. Des réformes structurelles sont mises en oeuvre. La générosité de l’état-providence va déclinant : si le secteur public reste le principal employeur des nationaux, le gouvernement a progressivement supprimé les subventions pour la viande et les carburants, et augmente les tarifs de l’électricité et de l’eau. Une taxe à la valeur ajoutée sera introduite fin 2018. Le 1er avril, le royaume a annoncé la découverte d’un gigantesque gisement de pétrole et de gaz de schiste près de ses côtes orientales. Mais les opérateurs internationaux attendent des évaluations fiables des ressources exploitables pour envisager d’investir : le retour annoncé de l’or noir est pour le moment virtuel.
• Une répression antichiite permanente
Les médias locaux étant aux ordres du gouvernement et les internationaux interdits de séjour, seuls les réseaux sociaux et une société civile exsangue permettent de chroniquer une répression permanente depuis 2011. Les organisations politiques ont été dissoutes, les dirigeants et les principaux militants de l’opposition condamnés à de lourdes peines de prison par des tribunaux civils ou militaires pour atteinte à la sûreté de l’état, mais parfois, aussi, pour critique de la guerre au Yémen depuis 2015 ou des mesures prises contre le Qatar en 2017. Au printemps 2018, 22 condamnés à mort attendent leur exécution. Les militants des Droits de l’homme sont harcelés, emprisonnés. Des opposants sont expulsés, d’autres, privés de leur passeport pour les empêcher d’aller témoigner devant la Commission
des droits de l’homme de L’ONU, à Genève. Le régime a prononcé 741 déchéances de nationalité depuis 2012, dont 223 entre janvier et mai 2018. Les jeunes qui participent aux manifestations dans les quartiers chiites sont souvent torturés.
La ville de Diraz, bastion historique du chiisme local, est en état de siège depuis juin 2016 ; l’ayatollah Issa Ahmed Qassim, né en 1937 et de santé fragile, y est détenu à son domicile. Déchu de sa nationalité en 2016, il fait depuis 2017 l’objet d’une procédure pour « menées théocratiques en lien avec [l’iran] », « soutien au terrorisme » et « collecte illégale de fonds et blanchiment ». Cette coûteuse coercition permanente (plus du quart du budget de l’état), largement antichiite, entretient la contestation. Les législatives prévues fin 2018 seront de pure forme, le découpage des circonscriptions minorant le vote chiite et les militants des organisations dissoutes étant interdits de candidature.
• Contre l’iran, l’alignement sur l’arabie saoudite
Diplomatiquement et militairement soutenu par Londres et Washington, le royaume reste aligné sur la politique régionale de Riyad : participation à la coalition contre les Houthis au Yémen depuis 2015 ; rupture des liens diplomatiques avec Téhéran en janvier 2016 ; stigmatisation de Doha depuis la mise en quarantaine du Qatar à l’été 2017. Alors que la normalisation des relations avec Israël progresse discrètement, celles avec l’iran sont détestables. Manama attribue rituellement à Téhéran (et au Hezbollah libanais) la responsabilité des tensions dans l’archipel. L’incrimination de l’iran est étayée par le soutien déclaratoire qu’apporte Téhéran aux revendications des chiites dans leur ensemble, et des chiites bahreïnis en particulier. Compte tenu des préventions occidentales envers l’iran, exacerbées depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2017, il est politiquement payant pour Manama de dénoncer la main de la République islamique dans les tensions internes et régionales. Bahreïn s’est donc félicité de la décision américaine de déchirer le 8 mai 2018 l’accord sur le nucléaire iranien.
Malgré des réformes en chantier dans de nombreux domaines, le choix du tout sécuritaire ne permet pas à la vie politique égyptienne de sortir de son atonie. Preuve en est, la réélection d’abdel Fattah al-sissi à la présidence lors du scrutin des 26-28 mars 2018 avec 97,08 % des voix, en l’absence d’opposition et avec une participation en baisse (41 %).
À la suite des mesures intervenues dans le cadre du prêt du Fonds monétaire international accordé à l’égypte fin 2016 (dévaluation de la livre, réduction des subventions, introduction de la TVA), les réserves de change ont crû de manière spectaculaire, la balance commerciale s’est améliorée, le déficit courant a été réduit et la dette en partie remboursée. Le tourisme repart. Le corollaire de cette politique économique est cependant une inflation mal maîtrisée, qui pénalise les populations les plus démunies en affectant surtout l’alimentation et les transports. Le prix du ticket de métro cairote a ainsi augmenté en mai 2018 de 250 % pour les longs trajets, passant de 2 à 7 livres égyptiennes, soit de 0,09 centimes d’euro à 0,33, alors qu’il avait déjà doublé en 2017.
• Des mesures économiques pour un avenir meilleur ?
Des réformes sont néanmoins en cours afin d’améliorer la qualité de vie des Égyptiens. Ainsi, une loi d’assurance sociale a été adoptée par le Parlement en décembre 2017, visant à l’élargissement progressif de la couverture à l’horizon 2032. Par ailleurs, la Banque mondiale a signé en avril 2018 un accord avec l’égypte, par lequel elle s’engage à apporter à la réforme de l’éducation nationale un soutien financier à hauteur de 500 millions de dollars. Sur le front de l’aménagement du territoire, outre l’extension de la troisième ligne du métro du Caire et le projet de rénovation du tramway d’alexandrie, notons l’annonce de la construction de monorails reliant Le Caire à deux villes nouvelles, ainsi que celle de nouvelles lignes de trains à grande vitesse visant notamment à connecter la future nouvelle capitale administrative au reste du territoire. Le gouvernement investit par ailleurs dans le développement de l’énergie renouvelable (usines solaires et hydrauliques), en sus de l’exploitation du champ gazier Al-zohr (commencée en décembre 2017) afin de faire face aux besoins énergétiques croissants de la population. Enfin, le développement du Nord-sinaï semble être désormais une priorité, avec des annonces de financement avoisinant 100 milliards de livres. La situation dans la péninsule est devenue extrêmement préoccupante, l’année écoulée ayant été marquée par le massacre perpétré par un groupe djihadiste en novembre 2017 à l’heure de la prière du vendredi dans une mosquée soufie de Bir alabed. Cet attentat a coûté la vie à 311 personnes et en a blessé plus de 100 autres. En février 2018, l’armée a lancé le plan « Sinaï 2018 » pour mettre un terme au terrorisme dans la péninsule. La répression ne se limite pas aux djihadistes et vise la plupart des courants associés à la révolution de 2011. Le régime tend par ailleurs à se crisper sur le plan des moeurs. La communauté LGBT a ainsi été visée par une vague d’arrestations durant l’hiver 2017-2018, et un projet de loi criminalisant l’homosexualité a été déposé au Parlement. De la même manière, des discussions ont lieu au sein de la même assemblée afin d’interdire l’athéisme.
La chanteuse Shaima Ahmed a été condamnée à deux ans de prison en décembre 2017 pour « incitation à la débauche » ; une autre artiste, Sherine Abdel Wahab, à six mois en février 2018 pour s’être moquée de la qualité des eaux du Nil.
• Un pouvoir sans opposition
Sur le plan politique, le président sortant a été réélu sans surprise, à l’issue d’un scrutin organisé du 26 au 28 mars 2018 et marqué par l’absence de l’opposition. Les candidats issus de l’armée (dont l’ancien ministre de Hosni Moubarak et finaliste des élections de 2012, Ahmed Chafik, et l’ancien chef d’état-major, Sami Annan) ont été empêchés de se présenter, tandis que les candidats civils (dont le neveu de l’ancien président Anouar el-sadate et l’avocat Khaled Ali) ont préféré jeter l’éponge. Le seul ayant fait face à Abdel Fattah alsissi fut l’un de ses soutiens, l’homme d’affaires Moussa Mostafa Moussa, qui a recueilli moins de 700 000 voix, contre 24,3 millions pour son adversaire victorieux.
Le vide produit par la dissolution du Parti national démocratique de Hosni Moubarak en 2011, puis par la répression visant les Frères musulmans et leurs alliés depuis 2013 n’a toujours pas été comblé, et la scène partisane égyptienne est plus que jamais marquée par la faiblesse et la dispersion des partis politiques. Dans la perspective des prochaines élections locales, annoncées pour 2019, puis des législatives prévues pour 2020, le pouvoir cherche à donner plus de lisibilité à l’offre politique égyptienne en poussant les partis à fusionner. Le but déclaré est de créer quatre grands mouvements aux contours idéologiques définis, mais, à ce jour, la tentative en ce sens la plus avancée est celle visant à la création d’un parti de la majorité présidentielle.
Le 8 novembre 2017, les Émirats arabes unis ont inauguré en grande pompe le Louvre Abou Dhabi, en présence de plusieurs chefs de l’état étrangers, dont le Français Emmanuel Macron. Point d’orgue de dix années de travaux, ce symbole de la coopération culturelle franco-émiratie est le premier musée universel du monde arabe, et, selon les termes du président français, un « message envoyé contre tous les obscurantismes ». Derrière l’image d’un pays arabe éclairé projeté par cet événement médiatisé, l’on assiste toutefois à un durcissement du régime, à l’intérieur comme à l’extérieur.
La croissance économique de la deuxième économie du monde arabe après l’arabie saoudite devrait s’établir entre 2,5 et 2,8 % en 2018, contre 1,3 % en 2017 et après un ralentissement continu depuis 2013. Cette reprise est due à la hausse des prix pétroliers, à la perspective de l’exposition universelle organisée à Dubaï en 2020, qui conditionne la construction de nombreuses infrastructures, et, surtout, au secteur touristique. Celui-ci représente plus de 12 % du PIB émirati, 5,4 % de l’emploi et 7 % de l’ensemble des investissements du pays. Dubaï est devenu au cours de la dernière décennie un haut lieu du tourisme mondial. En 2017, l’émirat a accueilli 15,8 millions de visiteurs, tandis qu’abou Dhabi a vu les arrivées de touristes augmenter de presque 10 % par rapport à 2016 et atteindre 4,8 millions. L’inauguration du Louvre sur l’île de Saadiyat devrait encore booster la croissance d’un secteur devenu stratégique pour le pays. Les émirats de Sharjah et de Ras al-khaïmah y participent également : 1,8 million de personnes ont visité Sharjah en 2017 et Ras al-khaïmah poursuit l’objectif d’un million de visiteurs en 2018. Avec plus de 88,2 millions de passagers internationaux, l’aéroport de Dubaï conserve sa place de premier mondial pour la quatrième année consécutive et contribue à l’essor touristique dans le pays en tant que plaque tournante des flux de voyageurs entre l’europe et l’asie-pacifique.
• Accroître la compétitivité
L’introduction en janvier 2018 d’une TVA à 5 % qui s’applique à la majorité des biens et services vise à diversifier les recettes du pays et lui rapporterait, selon les analystes économiques, l’équivalent de 2 % de son PIB. Mais cette TVA pourrait contribuer à une baisse de la consommation des ménages, voire de l’inflation, et à ralentir la croissance économique. Le 20 mai 2018, le gouvernement a annoncé l’entrée en vigueur d’ici à la fin de l’année d’un visa de dix ans pour les personnes qualifiées en sciences, médecine et technologie, dont les ingénieurs, ainsi que pour tout étranger établissant une entreprise dans le pays ou y investissant financièrement.
À cette mesure visant à attirer les « talents étrangers » aux Émirats arabes unis s’ajoute
l’autorisation pour un investisseur de posséder son entreprise à 100 % et ne plus dépendre d’un sponsor détenant 51 % du capital. Jusqu’à présent, seules les compagnies implantées dans les zones franches pouvaient le faire. Des visas de cinq ans devraient également être proposés aux étudiants au lieu d’un visa annuel ; les plus brillants pourront rester jusqu’à dix ans après l’obtention de leur diplôme. Ces mesures ont pour ambition d’accroître la compétitivité internationale du pays et de le transformer en une économie de la connaissance grâce à une diversification vers le domaine des hautes technologies, dont témoigne le lancement de son troisième satellite début 2018.
Sur le plan politique, tous les moyens légaux, en particulier les dispositions relatives à la diffamation et les lois antiterroristes, sont utilisés pour assurer la sécurité intérieure et éviter toute contestation. Selon Amnesty International, cela conduit à une restriction de la liberté d’expression et d’association de manière arbitraire dans le pays. Le militant Ahmed Mansour, qui avait appelé à la réforme politique du pays en 2011, a ainsi été de nouveau arrêté en mars 2017 et condamné à dix ans de prison en mai 2018 pour avoir porté préjudice à la relation du pays avec ses voisins sur les réseaux sociaux et « avoir terni le statut et le prestige du pays et ses symboles », dont ses leaders. Des tribunaux ont en outre prononcé de nouvelles condamnations à mort, et une personne a été exécutée.
Cette posture s’est traduite sur la scène internationale par la mise au ban du Qatar, accusé de soutenir des groupes terroristes, dont les Frères musulmans, et de se rapprocher de l’iran. Cet alignement stratégique est partagé par l’arabie saoudite, avec laquelle les Émirats arabes unis mènent une guerre au Yémen pour rétablir le président écarté du pouvoir par les Houthis que soutiendrait l’iran. La remise en cause de l’accord sur le nucléaire iranien en mai 2018 par Donald Trump pourrait contribuer à de nouvelles tensions avec Téhéran. Dans ce contexte, la signature d’un partenariat stratégique avec la Russie le 1er juin 2018, visant à une coopération tous azimuts, y compris dans le domaine de la sécurité internationale, souligne le pragmatisme émirati pour assurer sa stabilité politique et économique à long terme.