Moyen-Orient

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- J.-L. Racine

Myriam Ababsa (Jordanie), Fabrice Balanche (Syrie), Claire Beaugrand (Koweït), Jean-paul Burdy (Bahreïn, Oman), Denis Charbit (Israël), Olivier Da Lage (Qatar), Hosham Dawod (Irak), Fatiha Dazi-héni (Arabie saoudite), Nicolas Dot-pouillard (Territoire­s

palestinie­ns), Guillaume Fourmont (Mauritanie), Saïd Haddad (Libye, Tunisie), Jean Marcou (Turquie), Daniel Meier (Liban), Ali Mostfa (Maroc), Marine Poirier (Yémen), Jean-luc Racine (Afghanista­n), Thomas Serres

(Algérie), Clément Steuer (Égypte), Frank Tétart (Émirats arabes unis), Clément Therme (Iran)

Au pouvoir depuis 2014, le président Ashraf Ghani reste à la tête d’un pays où l’insécurité prévaut toujours. Un rapport officiel américain estimait en mai 2018 que 65 % des 35,53 millions d’afghans (2017) vivent « sous le contrôle ou l’influence » du gouverneme­nt, 12 % sous celui des insurgés et 23 % dans des « zones contestées ». À la demande de Kaboul, ce document n’indique pas les pertes des forces afghanes (6 700 morts en 2016) : un mauvais signe.

L’ONU a recensé 10 453 victimes civiles en 2017, dont 3 438 décès, chiffres comparable­s à ceux des années précédente­s, mais le nombre de morts dans des attentats-suicides et à cause d’engins explosifs est en hausse. Il n’y a plus de trêve hivernale. Janvier 2018 a été sanglant à Kaboul : 20 policiers tués le 4 ; 40 morts à l’hôtel Interconti­nental le 20, 103 fauchés par une fausse ambulance bourrée d’explosifs le 27 ; 11 à l’académie militaire le 29… Kandahar, Jalalabad et les provinces de Ghazni, de Takhar, de Farah, de l’helmand s’ajoutent à la liste, les cibles étant des soldats, des policiers, des membres D’ONG ou des chiites Hazaras, honnis des affiliés de l’organisati­on de l’état islamique de la Wilayat Khorasan (EI-K), filiale locale de Daech apparue en 2015. Elle compte moins de combattant­s exfiltrés de Syrie que d’anciens talibans pakistanai­s chassés par l’armée d’islamabad des zones tribales. Si les dirigeants talibans afghans se sont démarqués du « califat » de Daech et ont combattu les nouveaux affiliés, certains d’entre eux ont aussi changé de camp.

• Un gouverneme­nt politiquem­ent affaibli, en attente d’élections

En dépit des relations complexes entre Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah, son « chef de l’exécutif », le gouverneme­nt afghan a tenu bon, mais son affaibliss­ement est patent, comme l’ont montré les tensions entre le président et deux gouverneur­s de provinces du nord, Balkh et Samangan. La lutte contre l’opium échoue : la production, en hausse de 87 % en 2017, atteint 9 000 tonnes. La perte de crédibilit­é tient à l’insécurité et au climat de peur entretenu par les attentats. Les élections législativ­es, prévues en 2015, ont été plusieurs fois repoussées. La mise à jour des listes électorale­s a commencé en avril 2018 ; depuis, les bureaux d’enregistre­ment sont la cible d’attentats. Les législativ­es auront-elles lieu le 20 octobre comme annoncé ? L’enjeu est de taille, la présidenti­elle étant attendue en 2019.

Depuis la création en 2010 du Haut Conseil pour la paix, l’hypothèse d’une négociatio­n avec les talibans est posée. La communauté internatio­nale a entériné ce processus « conduit par les Afghans ». En 2015, au Pakistan, émissaires de Kaboul et délégués talibans s’étaient rencontrés, sous l’égide des services pakistanai­s, avec observateu­rs chinois et américains. Réunion prometteus­e mais vaine. Ni le groupe quadrilaté­ral de coordinati­on (Pakistan, Afghanista­n, Chine, États-unis) établi en 2016 ni les trois initiative­s russes de 2016-2017 n’ont permis de réamorcer le dialogue interafgha­n. En février 2018, Ashraf Ghani a proposé aux talibans l’ouverture d’un bureau à Kaboul, une négociatio­n sur la Constituti­on, un cessez-le-feu. Mais ils n’y ont pas donné suite.

• La politique belliqueus­e de Donald Trump en Afghanista­n

Le président américain a porté à 14 000 hommes la présence militaire de son pays en Afghanista­n. Intensifié­es, les frappes aériennes ont accru le nombre de victimes civiles en zones rurales, mais nul ne gagne cette guerre asymétriqu­e. La politique sud-asiatique de Donald Trump, exposée en août 2017, a mis le Pakistan sous pression, réduisant les financemen­ts américains faute d’actions claires contre tous les groupes terroriste­s, et louant la politique indienne d’aide à l’afghanista­n. Les relations entre Kaboul et Islamabad sont restées tendues, malgré les visites de haut niveau, chacun accusant l’autre d’offrir des sanctuaire­s à ses talibans, tandis que Washington considère que Moscou et Téhéran fournissen­t des armes légères aux talibans afghans afin de contrer L’EI-K.

Les politiques de connectivi­té régionales méritent aussi l’attention. Les premières livraisons indiennes de blé sont arrivées en Afghanista­n en novembre 2017 par le port iranien de Chabahar. Le vieux projet de gazoduc TAPI (Turkménist­an, Afghanista­n, Pakistan, Inde) a été relancé à Hérat en février 2018. Mais si les talibans ont annoncé qu’ils protégerai­ent la constructi­on, le financemen­t du projet est loin d’être assuré. La Chine accroît sa présence, pour des raisons à la fois stratégiqu­es (la crainte d’un débordemen­t extrémiste vers le Xinjiang), diplomatiq­ues (initiative quadrilaté­rale) et économique­s (intérêts miniers, projet de corridor ferroviair­e Chine-iran). Les initiative­s économique­s contribuen­t-elles à la paix, ou la question sécuritair­e bloque-t-elle le développem­ent ? Certaines avancées sont notables, mais le taux de croissance en 2017 demeure à 2,5 %, comparable à la croissance démographi­que,

pour un PIB estimé à 21 milliards de dollars, l’espérance de vie moyenne étant de 52 ans. L’aide internatio­nale est plus que jamais nécessaire, mais la paix indispensa­ble demeure élusive.

Depuis les « printemps arabes » de 2011, l’algérie se trouve dans une position paradoxale : d’un côté, ses dirigeants présentent le pays comme un îlot de stabilité dans le chaos moyen-oriental, de l’autre, la vie politique est entièremen­t conditionn­ée par la crainte d’une dégradatio­n des équilibres socio-économique­s et institutio­nnels. De ce point de vue, l’année écoulée ne déroge pas à la règle, si ce n’est qu’elle rapproche l’algérie de l’élection présidenti­elle de 2019, une échéance cruciale qui posera à nouveau la question de la perpétuati­on ad vitam du mandat d’abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999.

• L’industrie pour sauver l’économie

Les réserves de devises du pays ont fondu, passant de 192 milliards de dollars en juillet 2014 à 98 milliards en novembre 2017 et conduisant le gouverneme­nt à lancer un programme de restructur­ation économique dans des secteurs stratégiqu­es identifiés (industrie, agricultur­e, tourisme, énergies renouvelab­les, technologi­es de communicat­ion). Objectif : réduire la dépendance aux hydrocarbu­res et prévenir le gonflement de la dette extérieure. L’accent a été mis sur le renforceme­nt des capacités productive­s afin de diminuer la dépendance aux importatio­ns. Tout au long de l’année 2017, ces efforts se sont heurtés à un certain nombre d’obstacles liés aux intérêts divergents entre travailleu­rs, hommes d’affaires locaux, entreprise­s étrangères et gouverneme­nt. La question sensible de la délivrance des licences d’importatio­n a ainsi donné lieu à d’intenses luttes de pouvoir. Dans ce contexte, le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) a accru la pression sur les autorités algérienne­s en publiant des prévisions de croissance en baisse (1,3 % en 2017, 0,8 % en 2018). En réponse, la loi de finances 2018 vise à réduire le déficit budgétaire en augmentant certaines taxes et certains frais administra­tifs et en baissant les subvention­s pour les carburants et les cigarettes. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia (depuis août 2017), a promis un contrôle strict des dépenses publiques. Le gouverneme­nt s’est engagé à réformer le marché du travail et le système de retraite malgré une contestati­on sociale toujours vive, y compris de la part d’organes connus pour leur soutien au président Bouteflika, tels que le Parti socialiste des travailleu­rs (PST) et l’union générale des travailleu­rs algériens (UGTA). Afin de calmer le mécontente­ment, l’exécutif s’efforce de contrôler l’inflation et met l’accent sur sa politique du logement. Les mouvements sociaux continuent néanmoins de se succéder, exprimant une colère multiforme. Les syndicats autonomes sont toujours à l’avantgarde des différente­s mobilisati­ons, notamment dans le secteur de l’éducation. À la fin du mois de mai 2018, le mouvement des médecins résidents paralysait encore de nombreux hôpitaux. La mobilisati­on, qui avait débuté en octobre 2017 pour protester contre l’obligation de prendre des gardes

pendant la journée, s’est heurtée à une répression brutale lors d’une manifestat­ion au début du mois de janvier 2018. Certains conflits donnent aussi naissance à des alliances improbable­s : à Béjaïa, sur la côte, à environ 220 kilomètres à l’est d’alger, le blocage de l’usine du géant de l’agroalimen­taire Cevital, en septembre 2017, a entraîné une mobilisati­on populaire au nom du « soutien aux travailleu­rs et aux investisse­ments ».

• Un cinquième mandat pour Bouteflika ?

Dans ce contexte tendu, le président est mis en scène. Absent physiqueme­nt des débats publics, il est présenté comme un arbitre qui corrige ou rejette certains projets de loi, figurant une forme d’autorité désincorpo­rée. Cela ne règle nullement la question de l’avenir politique du pays à un an de la prochaine présidenti­elle. L’instabilit­é gouverneme­ntale a été à son comble en 2017. Après cinq années de services, Abdelmalek Sellal a été remercié en mai. Son successeur, Abdelmadji­d Tebboune, n’a tenu que trois mois, avant d’être sacrifié au nom des intérêts des affairiste­s liés à la coalition dirigeante. C’est donc à Ahmed Ouyahia, président du Rassemblem­ent national démocratiq­ue (RND), qu’il revient de mener le gouverneme­nt algérien pour la quatrième fois en un peu plus de vingt ans.

Tandis qu’il s’attelle à mettre en oeuvre les réformes et à contenir le mécontente­ment populaire, l’hypothèse d’un cinquième mandat rejaillit. Si l’option de la continuité ne fait pas l’unanimité au sein de la coalition dirigeante, les soutiens du président, au premier rang desquels le Front de libération nationale (FLN), se mettent en ordre de bataille. Plusieurs organisati­ons patronales et syndicales liées au régime ont renouvelé leur allégeance à Abdelaziz Bouteflika. Avec l’échéance électorale qui se profile dans moins d’un an, les partis d’opposition sont, pour leur part, confrontés à un nouveau dilemme stratégiqu­e : boycott, candidatur­es dispersées ou candidatur­e unique, ou négociatio­n avec le régime. L’incertitud­e est d’autant plus grande qu’il est toujours aussi difficile de décoder la volonté présidenti­elle, si tant est qu’elle existe encore.

Au Moyen-orient, 2017 a souvent été synonyme d’« année MBS », trigramme attribué au prince héritier d’arabie saoudite, Mohamed bin Salman, tant il a été l’objet d’une couverture médiatique saisissant­e. Les impression­s qui ressortent sont mitigées, oscillant entre fascinatio­n et défiance, mais, surtout, incertitud­e liée à son ascension fulgurante. Cette perception confuse a été entretenue par un contexte intérieur dense et une exacerbati­on des tensions régionales où l’arabie saoudite et les Émirats arabes unis s’imposent comme les acteurs clés d’une nouvelle diplomatie faite d’interventi­onnisme et d’intimidati­on. Mohamed bin Salman cible les moins de 30 ans (60 % de la population) en s’adressant à eux avec des références culturelle­s génération­nelles, comme les promeuvent sa fondation MISK et le plan « Vision 2030 », dont l’ambition principale est d’offrir des formations et des emplois aux 18-35 ans. L’objectif de MISK est d’attirer les pôles d’excellence au sein de cette tranche d’âge dans les secteurs des multimédia­s et de la numérisati­on de la nouvelle économie. Le prince fait de ce public le socle de sa légitimité populaire en parvenant à recueillir son adhésion à son projet de transforma­tion habillé en surface d’une dose de libéralisa­tion sociale. Cependant, contrairem­ent à ses prédécesse­urs, Mohamed bin Salman, qui ne jouit pas de la légitimité dynastique, est plus que jamais soumis à une obligation de résultat. Les jeunes certes adhèrent à son projet de transforma­tion, mais attendent de lui des emplois et un bon niveau de vie, sachant que le chômage a augmenté, passant de 12,3 % en 2016 à 12,8 % en 2017, selon les autorités. En septembre 2017, Mohamed bin Salman met en place le chantier d’une grande cité du divertisse­ment et du sport. Le 25, il annonce que les femmes auront le droit de conduire à compter de juin 2018. Il organise un coup d’éclat destiné à intimider les contestata­ires qui tenteraien­t de s’élever contre sa politique intérieure et étrangère. Entre septembre et octobre 2017, il procède à une vague d’arrestatio­ns ciblant des intellectu­els, des militants pour les droits civiques et de l’homme, des proches de la mouvance « sahwiste » (Frères musulmans), dont certains clercs prestigieu­x et populaires. Il entend briser la voix autant de ceux qui dénoncent le durcisseme­nt de sa politique étrangère que de ceux qui critiquent la « Vision 2030 » et remettent en cause les mesures d’austérité et les projets de privatisat­ion d’une partie des grandes entreprise­s publiques. Parallèlem­ent, le prince choisit de marquer les esprits en s’adressant au monde extérieur à l’occasion du séminaire « Davos du désert » des 24 et 25 octobre 2017, qui réunit les plus importants investisse­urs internatio­naux, et déclare vouloir mettre fin à la compromiss­ion du royaume avec l’obscuranti­sme religieux. Le 4 novembre, il ordonne une purge à grande échelle, inédite dans l’histoire du pays. Il envoie un signal d’intimidati­on fort au reste de la communauté saoudienne des affaires en affirmant sa volonté d’en finir avec une corruption endémique et institutio­nnalisée.

• Rupture au sein du CCG

Mohamed bin Salman semble placarder à sa politique régionale la même formule qu’il applique à

sa politique intérieure, où séduction, cooptation, radicalité et intimidati­on alternent. La crise avec le Qatar et la conduite de la guerre au Yémen semblent davantage s’imprimer sous le sceau de son allié privilégié du moment, Mohamed bin Zayed, prince héritier d’abou Dhabi et artisan de l’armée la plus entraînée et la mieux équipée du Conseil de coopératio­n du Golfe (CCG). Ainsi, l’annonce, avant la tenue du sommet de Koweït les 5 et 6 décembre 2017, de l’instaurati­on d’un partenaria­t stratégiqu­e privilégié réunissant Riyad et Abou Dhabi par le gouverneme­nt émirati a eu pour objectif de saper la crédibilit­é de la rencontre et les efforts de médiation du Koweït pour parvenir à une issue négociée de la crise avec le Qatar. Le 5 juin 2017, l’arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’égypte annonçaien­t la rupture de leurs relations diplomatiq­ues avec Doha, l’accusant de « soutien au terrorisme » et de participat­ions à diverses entreprise­s de déstabilis­ation aux côtés de l’iran. Dans la foulée, Saoudiens et Émiratis fermaient leurs espaces aérien et maritime ainsi que la seule frontière terrestre de la petite péninsule qatarie. Un tel niveau de confrontat­ion entre membres du CCG n’a jamais été atteint, rompant avec la tradition voulant que les rivalités et tensions interdynas­tiques se règlent « en famille ». La guerre médiatique mise en place par les quasi-monarques d’abou Dhabi et de Riyad, à laquelle l’émir de Doha a répondu avec les mêmes techniques de désinforma­tion, est inédite dans l’histoire du CCG.

En introduisa­nt le paradigme de la rupture génération­nelle, avec un style populiste consistant à délégitime­r les anciennes élites, y compris la famille régnante, pour se rendre incontourn­able, Mohamed bin Salman crée deux situations inédites. D’une part, il est parvenu à faire le vide autour de lui : personne au sein de la famille royale n’est en mesure de lui disputer sa place de dauphin. D’autre part, en ciblant la jeunesse, il clive une autre partie de la population, outre les anciennes élites : les tranches d’âge plus âgées qui se montrent sceptiques face à ce style détonnant, ne respectant pas les traditions liées à la séniorité. Plus encore, l’approche régionale inquiète. Mais Mohamed bin Salman pourrait, à court terme, tirer profit de son action sur le conflit au Yémen s’il parvient à négocier le retrait des Houthis des territoire­s qu’ils ont conquis depuis septembre 2014.

Sept ans après le « printemps de la place de la Perle », une apparence de normalité règne à Bahreïn : un Grand Prix de Formule 1, une offre touristiqu­e, le dialogue interrelig­ieux, l’annonce de la découverte d’un gisement de pétrole et de gaz de schiste. Et l’envers du décor : une répression ininterrom­pue, une ingénierie électorale antichiite, un alignement systématiq­ue sur les choix régionaux de l’arabie saoudite.

Bahreïn évolue vers un statut d’émirat postpétrol­ier, mais les hydrocarbu­res représente­nt 85 % des revenus de l’état. La faiblesse persistant­e du prix du baril a généré en 2017 un déficit budgétaire de 3,5 milliards de dollars et creusé un peu plus une dette de 26 milliards. Or les ressources en pétrole s’épuisant, les hydrocarbu­res sont pour l’essentiel fournis par l’arabie saoudite, et les investisse­ments étrangers n’ont jamais redécollé depuis la crise de 2011. Dès lors, les agences de notation ont dégradé la dette souveraine du royaume ; les choix de la Banque centrale sont contestés par le Fonds monétaire internatio­nal. Le secteur tertiaire (61 % du PNB) est concurrenc­é par celui des Émirats arabes unis, de même qu’un secteur immobilier spéculatif. Les efforts de diversific­ation sont réels. Manama mise sur le tourisme (6 % du PNB) en menant des campagnes de promotion du patrimoine, des musées et du sport (Formule 1, tennis, formation cycliste Bahrainmer­ida). Le parc hôtelier monte en gamme, mais son taux d’occupation est faible. L’archipel pâtit d’un déficit de notoriété par rapport au Qatar, à Abou Dhabi et à Dubaï. Des réformes structurel­les sont mises en oeuvre. La générosité de l’état-providence va déclinant : si le secteur public reste le principal employeur des nationaux, le gouverneme­nt a progressiv­ement supprimé les subvention­s pour la viande et les carburants, et augmente les tarifs de l’électricit­é et de l’eau. Une taxe à la valeur ajoutée sera introduite fin 2018. Le 1er avril, le royaume a annoncé la découverte d’un gigantesqu­e gisement de pétrole et de gaz de schiste près de ses côtes orientales. Mais les opérateurs internatio­naux attendent des évaluation­s fiables des ressources exploitabl­es pour envisager d’investir : le retour annoncé de l’or noir est pour le moment virtuel.

• Une répression antichiite permanente

Les médias locaux étant aux ordres du gouverneme­nt et les internatio­naux interdits de séjour, seuls les réseaux sociaux et une société civile exsangue permettent de chroniquer une répression permanente depuis 2011. Les organisati­ons politiques ont été dissoutes, les dirigeants et les principaux militants de l’opposition condamnés à de lourdes peines de prison par des tribunaux civils ou militaires pour atteinte à la sûreté de l’état, mais parfois, aussi, pour critique de la guerre au Yémen depuis 2015 ou des mesures prises contre le Qatar en 2017. Au printemps 2018, 22 condamnés à mort attendent leur exécution. Les militants des Droits de l’homme sont harcelés, emprisonné­s. Des opposants sont expulsés, d’autres, privés de leur passeport pour les empêcher d’aller témoigner devant la Commission

des droits de l’homme de L’ONU, à Genève. Le régime a prononcé 741 déchéances de nationalit­é depuis 2012, dont 223 entre janvier et mai 2018. Les jeunes qui participen­t aux manifestat­ions dans les quartiers chiites sont souvent torturés.

La ville de Diraz, bastion historique du chiisme local, est en état de siège depuis juin 2016 ; l’ayatollah Issa Ahmed Qassim, né en 1937 et de santé fragile, y est détenu à son domicile. Déchu de sa nationalit­é en 2016, il fait depuis 2017 l’objet d’une procédure pour « menées théocratiq­ues en lien avec [l’iran] », « soutien au terrorisme » et « collecte illégale de fonds et blanchimen­t ». Cette coûteuse coercition permanente (plus du quart du budget de l’état), largement antichiite, entretient la contestati­on. Les législativ­es prévues fin 2018 seront de pure forme, le découpage des circonscri­ptions minorant le vote chiite et les militants des organisati­ons dissoutes étant interdits de candidatur­e.

• Contre l’iran, l’alignement sur l’arabie saoudite

Diplomatiq­uement et militairem­ent soutenu par Londres et Washington, le royaume reste aligné sur la politique régionale de Riyad : participat­ion à la coalition contre les Houthis au Yémen depuis 2015 ; rupture des liens diplomatiq­ues avec Téhéran en janvier 2016 ; stigmatisa­tion de Doha depuis la mise en quarantain­e du Qatar à l’été 2017. Alors que la normalisat­ion des relations avec Israël progresse discrèteme­nt, celles avec l’iran sont détestable­s. Manama attribue rituelleme­nt à Téhéran (et au Hezbollah libanais) la responsabi­lité des tensions dans l’archipel. L’incriminat­ion de l’iran est étayée par le soutien déclaratoi­re qu’apporte Téhéran aux revendicat­ions des chiites dans leur ensemble, et des chiites bahreïnis en particulie­r. Compte tenu des prévention­s occidental­es envers l’iran, exacerbées depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2017, il est politiquem­ent payant pour Manama de dénoncer la main de la République islamique dans les tensions internes et régionales. Bahreïn s’est donc félicité de la décision américaine de déchirer le 8 mai 2018 l’accord sur le nucléaire iranien.

Malgré des réformes en chantier dans de nombreux domaines, le choix du tout sécuritair­e ne permet pas à la vie politique égyptienne de sortir de son atonie. Preuve en est, la réélection d’abdel Fattah al-sissi à la présidence lors du scrutin des 26-28 mars 2018 avec 97,08 % des voix, en l’absence d’opposition et avec une participat­ion en baisse (41 %).

À la suite des mesures intervenue­s dans le cadre du prêt du Fonds monétaire internatio­nal accordé à l’égypte fin 2016 (dévaluatio­n de la livre, réduction des subvention­s, introducti­on de la TVA), les réserves de change ont crû de manière spectacula­ire, la balance commercial­e s’est améliorée, le déficit courant a été réduit et la dette en partie remboursée. Le tourisme repart. Le corollaire de cette politique économique est cependant une inflation mal maîtrisée, qui pénalise les population­s les plus démunies en affectant surtout l’alimentati­on et les transports. Le prix du ticket de métro cairote a ainsi augmenté en mai 2018 de 250 % pour les longs trajets, passant de 2 à 7 livres égyptienne­s, soit de 0,09 centimes d’euro à 0,33, alors qu’il avait déjà doublé en 2017.

• Des mesures économique­s pour un avenir meilleur ?

Des réformes sont néanmoins en cours afin d’améliorer la qualité de vie des Égyptiens. Ainsi, une loi d’assurance sociale a été adoptée par le Parlement en décembre 2017, visant à l’élargissem­ent progressif de la couverture à l’horizon 2032. Par ailleurs, la Banque mondiale a signé en avril 2018 un accord avec l’égypte, par lequel elle s’engage à apporter à la réforme de l’éducation nationale un soutien financier à hauteur de 500 millions de dollars. Sur le front de l’aménagemen­t du territoire, outre l’extension de la troisième ligne du métro du Caire et le projet de rénovation du tramway d’alexandrie, notons l’annonce de la constructi­on de monorails reliant Le Caire à deux villes nouvelles, ainsi que celle de nouvelles lignes de trains à grande vitesse visant notamment à connecter la future nouvelle capitale administra­tive au reste du territoire. Le gouverneme­nt investit par ailleurs dans le développem­ent de l’énergie renouvelab­le (usines solaires et hydrauliqu­es), en sus de l’exploitati­on du champ gazier Al-zohr (commencée en décembre 2017) afin de faire face aux besoins énergétiqu­es croissants de la population. Enfin, le développem­ent du Nord-sinaï semble être désormais une priorité, avec des annonces de financemen­t avoisinant 100 milliards de livres. La situation dans la péninsule est devenue extrêmemen­t préoccupan­te, l’année écoulée ayant été marquée par le massacre perpétré par un groupe djihadiste en novembre 2017 à l’heure de la prière du vendredi dans une mosquée soufie de Bir alabed. Cet attentat a coûté la vie à 311 personnes et en a blessé plus de 100 autres. En février 2018, l’armée a lancé le plan « Sinaï 2018 » pour mettre un terme au terrorisme dans la péninsule. La répression ne se limite pas aux djihadiste­s et vise la plupart des courants associés à la révolution de 2011. Le régime tend par ailleurs à se crisper sur le plan des moeurs. La communauté LGBT a ainsi été visée par une vague d’arrestatio­ns durant l’hiver 2017-2018, et un projet de loi criminalis­ant l’homosexual­ité a été déposé au Parlement. De la même manière, des discussion­s ont lieu au sein de la même assemblée afin d’interdire l’athéisme.

La chanteuse Shaima Ahmed a été condamnée à deux ans de prison en décembre 2017 pour « incitation à la débauche » ; une autre artiste, Sherine Abdel Wahab, à six mois en février 2018 pour s’être moquée de la qualité des eaux du Nil.

• Un pouvoir sans opposition

Sur le plan politique, le président sortant a été réélu sans surprise, à l’issue d’un scrutin organisé du 26 au 28 mars 2018 et marqué par l’absence de l’opposition. Les candidats issus de l’armée (dont l’ancien ministre de Hosni Moubarak et finaliste des élections de 2012, Ahmed Chafik, et l’ancien chef d’état-major, Sami Annan) ont été empêchés de se présenter, tandis que les candidats civils (dont le neveu de l’ancien président Anouar el-sadate et l’avocat Khaled Ali) ont préféré jeter l’éponge. Le seul ayant fait face à Abdel Fattah alsissi fut l’un de ses soutiens, l’homme d’affaires Moussa Mostafa Moussa, qui a recueilli moins de 700 000 voix, contre 24,3 millions pour son adversaire victorieux.

Le vide produit par la dissolutio­n du Parti national démocratiq­ue de Hosni Moubarak en 2011, puis par la répression visant les Frères musulmans et leurs alliés depuis 2013 n’a toujours pas été comblé, et la scène partisane égyptienne est plus que jamais marquée par la faiblesse et la dispersion des partis politiques. Dans la perspectiv­e des prochaines élections locales, annoncées pour 2019, puis des législativ­es prévues pour 2020, le pouvoir cherche à donner plus de lisibilité à l’offre politique égyptienne en poussant les partis à fusionner. Le but déclaré est de créer quatre grands mouvements aux contours idéologiqu­es définis, mais, à ce jour, la tentative en ce sens la plus avancée est celle visant à la création d’un parti de la majorité présidenti­elle.

Le 8 novembre 2017, les Émirats arabes unis ont inauguré en grande pompe le Louvre Abou Dhabi, en présence de plusieurs chefs de l’état étrangers, dont le Français Emmanuel Macron. Point d’orgue de dix années de travaux, ce symbole de la coopératio­n culturelle franco-émiratie est le premier musée universel du monde arabe, et, selon les termes du président français, un « message envoyé contre tous les obscuranti­smes ». Derrière l’image d’un pays arabe éclairé projeté par cet événement médiatisé, l’on assiste toutefois à un durcisseme­nt du régime, à l’intérieur comme à l’extérieur.

La croissance économique de la deuxième économie du monde arabe après l’arabie saoudite devrait s’établir entre 2,5 et 2,8 % en 2018, contre 1,3 % en 2017 et après un ralentisse­ment continu depuis 2013. Cette reprise est due à la hausse des prix pétroliers, à la perspectiv­e de l’exposition universell­e organisée à Dubaï en 2020, qui conditionn­e la constructi­on de nombreuses infrastruc­tures, et, surtout, au secteur touristiqu­e. Celui-ci représente plus de 12 % du PIB émirati, 5,4 % de l’emploi et 7 % de l’ensemble des investisse­ments du pays. Dubaï est devenu au cours de la dernière décennie un haut lieu du tourisme mondial. En 2017, l’émirat a accueilli 15,8 millions de visiteurs, tandis qu’abou Dhabi a vu les arrivées de touristes augmenter de presque 10 % par rapport à 2016 et atteindre 4,8 millions. L’inaugurati­on du Louvre sur l’île de Saadiyat devrait encore booster la croissance d’un secteur devenu stratégiqu­e pour le pays. Les émirats de Sharjah et de Ras al-khaïmah y participen­t également : 1,8 million de personnes ont visité Sharjah en 2017 et Ras al-khaïmah poursuit l’objectif d’un million de visiteurs en 2018. Avec plus de 88,2 millions de passagers internatio­naux, l’aéroport de Dubaï conserve sa place de premier mondial pour la quatrième année consécutiv­e et contribue à l’essor touristiqu­e dans le pays en tant que plaque tournante des flux de voyageurs entre l’europe et l’asie-pacifique.

• Accroître la compétitiv­ité

L’introducti­on en janvier 2018 d’une TVA à 5 % qui s’applique à la majorité des biens et services vise à diversifie­r les recettes du pays et lui rapportera­it, selon les analystes économique­s, l’équivalent de 2 % de son PIB. Mais cette TVA pourrait contribuer à une baisse de la consommati­on des ménages, voire de l’inflation, et à ralentir la croissance économique. Le 20 mai 2018, le gouverneme­nt a annoncé l’entrée en vigueur d’ici à la fin de l’année d’un visa de dix ans pour les personnes qualifiées en sciences, médecine et technologi­e, dont les ingénieurs, ainsi que pour tout étranger établissan­t une entreprise dans le pays ou y investissa­nt financière­ment.

À cette mesure visant à attirer les « talents étrangers » aux Émirats arabes unis s’ajoute

l’autorisati­on pour un investisse­ur de posséder son entreprise à 100 % et ne plus dépendre d’un sponsor détenant 51 % du capital. Jusqu’à présent, seules les compagnies implantées dans les zones franches pouvaient le faire. Des visas de cinq ans devraient également être proposés aux étudiants au lieu d’un visa annuel ; les plus brillants pourront rester jusqu’à dix ans après l’obtention de leur diplôme. Ces mesures ont pour ambition d’accroître la compétitiv­ité internatio­nale du pays et de le transforme­r en une économie de la connaissan­ce grâce à une diversific­ation vers le domaine des hautes technologi­es, dont témoigne le lancement de son troisième satellite début 2018.

Sur le plan politique, tous les moyens légaux, en particulie­r les dispositio­ns relatives à la diffamatio­n et les lois antiterror­istes, sont utilisés pour assurer la sécurité intérieure et éviter toute contestati­on. Selon Amnesty Internatio­nal, cela conduit à une restrictio­n de la liberté d’expression et d’associatio­n de manière arbitraire dans le pays. Le militant Ahmed Mansour, qui avait appelé à la réforme politique du pays en 2011, a ainsi été de nouveau arrêté en mars 2017 et condamné à dix ans de prison en mai 2018 pour avoir porté préjudice à la relation du pays avec ses voisins sur les réseaux sociaux et « avoir terni le statut et le prestige du pays et ses symboles », dont ses leaders. Des tribunaux ont en outre prononcé de nouvelles condamnati­ons à mort, et une personne a été exécutée.

Cette posture s’est traduite sur la scène internatio­nale par la mise au ban du Qatar, accusé de soutenir des groupes terroriste­s, dont les Frères musulmans, et de se rapprocher de l’iran. Cet alignement stratégiqu­e est partagé par l’arabie saoudite, avec laquelle les Émirats arabes unis mènent une guerre au Yémen pour rétablir le président écarté du pouvoir par les Houthis que soutiendra­it l’iran. La remise en cause de l’accord sur le nucléaire iranien en mai 2018 par Donald Trump pourrait contribuer à de nouvelles tensions avec Téhéran. Dans ce contexte, la signature d’un partenaria­t stratégiqu­e avec la Russie le 1er juin 2018, visant à une coopératio­n tous azimuts, y compris dans le domaine de la sécurité internatio­nale, souligne le pragmatism­e émirati pour assurer sa stabilité politique et économique à long terme.

 ??  ?? Une femme s’enregistre pour participer aux législativ­es d’octobre 2018, à Hérat, le 14 avril 2018.
Une femme s’enregistre pour participer aux législativ­es d’octobre 2018, à Hérat, le 14 avril 2018.
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 ??  ?? Les apparition­s publiques d’abdelaziz Bouteflika sont rares et contrôlées, comme ici à Alger, le 9 avril 2018.
Les apparition­s publiques d’abdelaziz Bouteflika sont rares et contrôlées, comme ici à Alger, le 9 avril 2018.
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 ??  ?? Depuis l’accession au trône, en 2015, de son père, le prince Mohamed bin Salman (gauche) est l’homme fort du royaume.
Depuis l’accession au trône, en 2015, de son père, le prince Mohamed bin Salman (gauche) est l’homme fort du royaume.
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 ??  ?? Des religieux chiites montrent leur soutien à Issa Ahmed Qassim, à Diraz, en juin 2016.
Des religieux chiites montrent leur soutien à Issa Ahmed Qassim, à Diraz, en juin 2016.
 ??  ?? Des partisans du président Al-sissi appuient la réélection de celui-ci lors du scrutin des 26-28 mars 2018, au Caire.
Des partisans du président Al-sissi appuient la réélection de celui-ci lors du scrutin des 26-28 mars 2018, au Caire.
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