Islam(s)
Lorsque le Front islamique du salut (FIS) remporta le premier tour des législatives en décembre 1991 en Algérie, l’armée intervint, annula le scrutin et le parti, jusqu’ici légal, fut interdit. On connaît la suite.
La réaction des gouvernements occidentaux, de la France en particulier, fut de soutenir l’interruption du processus électoral, alors même que celui-ci s’était déroulé en toute légalité, que le FIS n’avait pas pris les armes et que l’action de l’armée était un coup d’état, puisqu’elle a écarté le président Chadli Bendjedid (1979-1992). Du fait que la voie démocratique pouvait permettre aux islamistes d’arriver légalement et sans violence au pouvoir, alors la seule solution était de soutenir des régimes autoritaires dont l’unique fonction était d’empêcher les islamistes de prendre le pouvoir. Unique fonction, car le bilan de ces régimes fut partout mauvais, voire catastrophique : guerre civile, corruption, stagnation économique, blocage de leur propre société, etc.
C’est ainsi que fut consacrée la doctrine officielle pour les années à venir. Il fallut attendre les « printemps arabes » de 2011 pour que les gouvernements occidentaux renoncent à faire barrage aux islamistes en Égypte et en Tunisie, plus par prudence que par conviction. Ils iront même jusqu’à vouloir la fin de la plus dure des « dictatures remparts contre l’islamisme » en Syrie. Alors, des années de perdues qui coûtèrent à l’algérie plus d’une centaine de milliers de victimes ? On ne sait pas ce qui se serait passé si les élections avaient été entérinées. Les dirigeants survivants du FIS ont fini par suivre le même itinéraire intellectuel et politique que le Tunisien Rached Ghannouchi, mais qu’auraient-ils fait s’ils avaient pris le pouvoir en 1992 ?
Cela n’éclaire pas la position européenne. Jusqu’en 1990, la menace, aux yeux des dirigeants, venait de la révolution islamique d’iran, les moudjahidines afghans étaient encore des héros, l’agression du Koweït par l’irak en août 1990 avait pu jeter un doute sur le bien-fondé de l’alliance avec les dictatures arabes autoritaires, la vague salafiste était quiétiste, et les jeunes musulmans de France n’étaient pas sur le chemin de la guerre (c’est en 1995, avec Khaled Kelkal, que la radicalisation apparaît et, dans ce cas, en réaction au soutien de la France au régime militaire algérien). Qu’est-ce qui a joué en dernière instance dans la décision ? Sans doute l’idée que la radicalisation iranienne n’avait pas pris parce que chiite, mais que si un État sunnite radical venait à surgir, alors il pourrait enflammer la rue arabe. Mais, surtout, la peur de l’inconnu. Avec l’iran révolutionnaire, il y avait eu des canaux de communication, mais ils n’ont pas empêché les années 1980 d’être une succession de crises. Les islamistes algériens étaient inconnus. Incapacité ou refus de parler aux opposants, déception devant un pragmatisme qui avait échoué avec l’iran, vision idéologique de l’islam (défendue par le FIS lui-même), difficulté à comprendre la dimension politique de l’islamisme : tout cela, ajouté à la nécessité de prendre une décision dans l’urgence, peut expliquer comment on a pris pour vingt-cinq ans d’une politique sans avenir.