Moyen-Orient

Islam(s)

- Par Olivier Roy

Lorsque le Front islamique du salut (FIS) remporta le premier tour des législativ­es en décembre 1991 en Algérie, l’armée intervint, annula le scrutin et le parti, jusqu’ici légal, fut interdit. On connaît la suite.

La réaction des gouverneme­nts occidentau­x, de la France en particulie­r, fut de soutenir l’interrupti­on du processus électoral, alors même que celui-ci s’était déroulé en toute légalité, que le FIS n’avait pas pris les armes et que l’action de l’armée était un coup d’état, puisqu’elle a écarté le président Chadli Bendjedid (1979-1992). Du fait que la voie démocratiq­ue pouvait permettre aux islamistes d’arriver légalement et sans violence au pouvoir, alors la seule solution était de soutenir des régimes autoritair­es dont l’unique fonction était d’empêcher les islamistes de prendre le pouvoir. Unique fonction, car le bilan de ces régimes fut partout mauvais, voire catastroph­ique : guerre civile, corruption, stagnation économique, blocage de leur propre société, etc.

C’est ainsi que fut consacrée la doctrine officielle pour les années à venir. Il fallut attendre les « printemps arabes » de 2011 pour que les gouverneme­nts occidentau­x renoncent à faire barrage aux islamistes en Égypte et en Tunisie, plus par prudence que par conviction. Ils iront même jusqu’à vouloir la fin de la plus dure des « dictatures remparts contre l’islamisme » en Syrie. Alors, des années de perdues qui coûtèrent à l’algérie plus d’une centaine de milliers de victimes ? On ne sait pas ce qui se serait passé si les élections avaient été entérinées. Les dirigeants survivants du FIS ont fini par suivre le même itinéraire intellectu­el et politique que le Tunisien Rached Ghannouchi, mais qu’auraient-ils fait s’ils avaient pris le pouvoir en 1992 ?

Cela n’éclaire pas la position européenne. Jusqu’en 1990, la menace, aux yeux des dirigeants, venait de la révolution islamique d’iran, les moudjahidi­nes afghans étaient encore des héros, l’agression du Koweït par l’irak en août 1990 avait pu jeter un doute sur le bien-fondé de l’alliance avec les dictatures arabes autoritair­es, la vague salafiste était quiétiste, et les jeunes musulmans de France n’étaient pas sur le chemin de la guerre (c’est en 1995, avec Khaled Kelkal, que la radicalisa­tion apparaît et, dans ce cas, en réaction au soutien de la France au régime militaire algérien). Qu’est-ce qui a joué en dernière instance dans la décision ? Sans doute l’idée que la radicalisa­tion iranienne n’avait pas pris parce que chiite, mais que si un État sunnite radical venait à surgir, alors il pourrait enflammer la rue arabe. Mais, surtout, la peur de l’inconnu. Avec l’iran révolution­naire, il y avait eu des canaux de communicat­ion, mais ils n’ont pas empêché les années 1980 d’être une succession de crises. Les islamistes algériens étaient inconnus. Incapacité ou refus de parler aux opposants, déception devant un pragmatism­e qui avait échoué avec l’iran, vision idéologiqu­e de l’islam (défendue par le FIS lui-même), difficulté à comprendre la dimension politique de l’islamisme : tout cela, ajouté à la nécessité de prendre une décision dans l’urgence, peut expliquer comment on a pris pour vingt-cinq ans d’une politique sans avenir.

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