Éditorial
QQue se passe-t-il dans le nord-est de la Syrie ? Depuis la libération de Raqqa, « capitale » de l’organisation de l’état islamique (EI ou Daech), en novembre 2017, les djihadistes sont sans territoire, réduits à des cellules d’activistes éparpillées. Jusqu’à Kobané dans le nord, Al-malikiyah dans l’est et Abou Kamal dans le sud, un nouvel espace géographique et politique est en train de naître, coincé entre la Syrie de Bachar al-assad, la Turquie et l’irak. C’est là, où habitent quelque 3 millions de personnes, que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) d’abdullah Öcalan (emprisonné depuis 1999 sur une île de la mer de Marmara) tente d’administrer un nouvel État à travers les organes de sa branche syrienne, le Parti de l’union démocratique (PYD). L’initiative peut sembler une revanche sur l’histoire, tant les Kurdes ont été marginalisés et pourchassés par les gouvernements de la région ; ils peuvent enfin gérer un territoire de leur propre chef, selon leur vision de la kurdicité et, surtout, selon un idéal socio-économique répondant aux thèses du municipalisme libertaire de l’américain Murray Bookchin (1921-2006) et du confédéralisme démocratique d’abdullah Öcalan. Qu’en est-il sur le terrain ? Peu de chercheurs réussissent à se rendre sur place pour en témoigner et tirer quelques conclusions. Les témoignages nous arrivant sont généralement partisans, présentant soit un laboratoire politique unique et plein d’espoirs au Moyen-orient, soit une utopie risquant de tomber dans le soviétisme autoritaire.
Les défis sont nombreux pour ladite Fédération démocratique du Nordsyrie (FDNS). Son nom officiel rappelle que les Kurdes ont compris qu’ils devaient partager avec les autres communautés, notamment les Arabes, pourtant les ennemis d’hier. Seront-ils capables de le faire vraiment, et ce durant combien de temps ? Les rancoeurs peuventelles s’oublier alors que la priorité est la reconstruction de zones ravagées par la guerre, avec les enjeux de pouvoir que cela implique ? Car la viabilité politique de la FDNS passera surtout par l’économie : si ce nouveau territoire reste isolé, il ne saurait survivre, chose qui arrangerait bien la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. À Damas, on écoute les demandes de négociations, mais on continue de voir la FDNS comme un territoire à reconquérir. Pour l’instant, ce « laboratoire » lancé par le PKK dans le nord-est de la Syrie est un moment de calme pour des civils brisés par la guerre depuis près de huit ans.
PROCHAIN NUMÉRO Dossier spécial sur l’afghanistan