Moyen-Orient

Bayramtepe, l’« eldorado » perdu des Kurdes syriens

- Raphaël Boukandour­a et Yann Renoult

Sur les 5,64 millions de réfugiés syriens recensés par L’ONU (15 novembre 2018), 3,59 millions sont en Turquie ; nombre d’entre eux sont Kurdes. Venus chercher du travail dans l’ouest du pays, ils optent généraleme­nt pour les zones à prédominan­ce kurde, pensant pouvoir compter sur la solidarité. Mais à Bayramtepe, l’un des quartiers d’istanbul où ces réfugiés se sont installés en masse, la cohabitati­on avec la population locale est parfois délicate. Sans aide de l’état, livrés à eux-mêmes et inquiets des tensions politiques qui traversent le pays, de nombreux réfugiés choisissen­t de retourner en Syrie, tandis que d’autres tentent la traversée vers l’europe Dans la banlieue nord-ouest d’istanbul, les tours rutilantes de l’arrondisse­ment de Basaksehir déploient leur luxe moderne. De nombreux Stamboulio­tes aisés payent le prix fort pour s’installer dans l’un des multiples gratte-ciel disposant de leurs propres supermarch­és, salles de sport et dont l’accès est surveillé nuit et jour par des gardiens. Sur la colline d’en face s’étendent les petites maisons de bric et de broc et les immeubles croulants de Bayramtepe.

• Une solidarité kurdo-kurde ?

Ahmad est attablé dans un café près du petit parc, fréquenté par les enfants qui vont y jouer après l’école et certains des nombreux réfugiés syriens du quartier qui s’y abritent parfois

la nuit. Il distribue les cartes de la main gauche. La droite reste recroquevi­llée contre lui. « Je suis partiellem­ent handicapé du bras, explique le jeune Syrien, à cause de ça, tous les patrons me renvoient au bout de quelques jours. Comment voulez-vous que je gagne ma vie ? » Ce trentenair­e est arrivé de Syrie en 2013, en compagnie de plusieurs amis. Il est originaire de la région d’afryn, majoritair­ement peuplée de Kurdes. « Nous avons choisi ce quartier parce qu’ici, presque tout le monde parle kurde. Nous pensions que nos origines et notre langue commune nous facilitera­ient les choses. » Mais il a rapidement déchanté. « Une grande partie des Kurdes d’ici nous regardent avec défiance, et les autres nous exploitent sans remords », se désole-t-il.

Bayramtepe, quartier populaire de quelque 100 000 habitants, a toujours été un lieu d’immigratio­n. Il compte une majorité de Kurdes originaire­s du pays. Une partie d’entre eux ont émigré dans les années 1990, chassés par le conflit à l’est entre l’armée turque et les rebelles autonomist­es kurdes du Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK), les autres sont venus chercher de meilleures conditions d’existence dans la capitale économique du pays. « Certains Kurdes d’ici sont très conservate­urs, il y a un décalage culturel. Ils voient d’un mauvais oeil l’arrivée de tous ces célibatair­es et de ces femmes très maquillées », estime Mehmet Aydinar, responsabl­e du Parti démocratiq­ue des peuples (HDP), prokurde. Au centre du quartier, le siège local du mouvement est un endroit précieux pour les exilés de Syrie. « Nous aussi nous sommes arrivés ici comme réfugiés, fuyant la guerre quand l’armée turque brûlait nos villages (2). Nous sommes sensibles à leur situation. Nous essayons de les aider autant que possible, en faisant des collectes de vêtements par exemple, mais nos moyens sont limités », explique-t-il.

Le HDP fait surtout office de juge de paix. Les réfugiés, méfiants à l’égard de la police, s’adressent à lui pour arbitrer les divorces ou tenter d’obtenir les salaires que des patrons peu scrupuleux ont omis de leur verser. Une situation fréquente. Akram, venu d’afryn, et plusieurs membres de sa famille ont travaillé pendant un mois dans une petite fabrique de textile. Ce secteur est le principal pourvoyeur d’emplois pour les réfugiés syriens d’istanbul. « Mon patron a refusé de me verser ma paye. Je n’ai pas de permis de travail, je ne pouvais pas aller voir la police. Je lui ai dit que si je ne recevais rien à la fin de la semaine, j’irais brûler son atelier. Quand je suis retourné le voir, il n’y avait plus qu’un bâtiment vide ; il avait déménagé la production. »

• Des conditions de vie très précaires

Les tensions entre réfugiés et population locale prennent parfois une tournure violente. Ainsi, fin octobre 2015, l’un des bâtiments délabrés abritant des célibatair­es syriens accusés de boire de l’alcool et de nuire à la tranquilli­té du voisinage est pris d’assaut par la foule. La maison est

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1-2. Bayramtepe, l’un des quartiers d’istanbul où les réfugiés syriens se sont installés en masse.3. Ahmad, « partiellem­ent handicapé du bras », avec des amis.4. Le siège du HDP est également un lieu social où les habitants viennent discuter, mais aussi régler leurs problèmes de voisinage avec les réfugiés.5-6. Les ateliers de textile clandestin­s déménagent souvent du jour au lendemain, laissant parfois les salaires impayés. 5
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