Bayramtepe, l’« eldorado » perdu des Kurdes syriens
Sur les 5,64 millions de réfugiés syriens recensés par L’ONU (15 novembre 2018), 3,59 millions sont en Turquie ; nombre d’entre eux sont Kurdes. Venus chercher du travail dans l’ouest du pays, ils optent généralement pour les zones à prédominance kurde, pensant pouvoir compter sur la solidarité. Mais à Bayramtepe, l’un des quartiers d’istanbul où ces réfugiés se sont installés en masse, la cohabitation avec la population locale est parfois délicate. Sans aide de l’état, livrés à eux-mêmes et inquiets des tensions politiques qui traversent le pays, de nombreux réfugiés choisissent de retourner en Syrie, tandis que d’autres tentent la traversée vers l’europe Dans la banlieue nord-ouest d’istanbul, les tours rutilantes de l’arrondissement de Basaksehir déploient leur luxe moderne. De nombreux Stambouliotes aisés payent le prix fort pour s’installer dans l’un des multiples gratte-ciel disposant de leurs propres supermarchés, salles de sport et dont l’accès est surveillé nuit et jour par des gardiens. Sur la colline d’en face s’étendent les petites maisons de bric et de broc et les immeubles croulants de Bayramtepe.
• Une solidarité kurdo-kurde ?
Ahmad est attablé dans un café près du petit parc, fréquenté par les enfants qui vont y jouer après l’école et certains des nombreux réfugiés syriens du quartier qui s’y abritent parfois
la nuit. Il distribue les cartes de la main gauche. La droite reste recroquevillée contre lui. « Je suis partiellement handicapé du bras, explique le jeune Syrien, à cause de ça, tous les patrons me renvoient au bout de quelques jours. Comment voulez-vous que je gagne ma vie ? » Ce trentenaire est arrivé de Syrie en 2013, en compagnie de plusieurs amis. Il est originaire de la région d’afryn, majoritairement peuplée de Kurdes. « Nous avons choisi ce quartier parce qu’ici, presque tout le monde parle kurde. Nous pensions que nos origines et notre langue commune nous faciliteraient les choses. » Mais il a rapidement déchanté. « Une grande partie des Kurdes d’ici nous regardent avec défiance, et les autres nous exploitent sans remords », se désole-t-il.
Bayramtepe, quartier populaire de quelque 100 000 habitants, a toujours été un lieu d’immigration. Il compte une majorité de Kurdes originaires du pays. Une partie d’entre eux ont émigré dans les années 1990, chassés par le conflit à l’est entre l’armée turque et les rebelles autonomistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), les autres sont venus chercher de meilleures conditions d’existence dans la capitale économique du pays. « Certains Kurdes d’ici sont très conservateurs, il y a un décalage culturel. Ils voient d’un mauvais oeil l’arrivée de tous ces célibataires et de ces femmes très maquillées », estime Mehmet Aydinar, responsable du Parti démocratique des peuples (HDP), prokurde. Au centre du quartier, le siège local du mouvement est un endroit précieux pour les exilés de Syrie. « Nous aussi nous sommes arrivés ici comme réfugiés, fuyant la guerre quand l’armée turque brûlait nos villages (2). Nous sommes sensibles à leur situation. Nous essayons de les aider autant que possible, en faisant des collectes de vêtements par exemple, mais nos moyens sont limités », explique-t-il.
Le HDP fait surtout office de juge de paix. Les réfugiés, méfiants à l’égard de la police, s’adressent à lui pour arbitrer les divorces ou tenter d’obtenir les salaires que des patrons peu scrupuleux ont omis de leur verser. Une situation fréquente. Akram, venu d’afryn, et plusieurs membres de sa famille ont travaillé pendant un mois dans une petite fabrique de textile. Ce secteur est le principal pourvoyeur d’emplois pour les réfugiés syriens d’istanbul. « Mon patron a refusé de me verser ma paye. Je n’ai pas de permis de travail, je ne pouvais pas aller voir la police. Je lui ai dit que si je ne recevais rien à la fin de la semaine, j’irais brûler son atelier. Quand je suis retourné le voir, il n’y avait plus qu’un bâtiment vide ; il avait déménagé la production. »
• Des conditions de vie très précaires
Les tensions entre réfugiés et population locale prennent parfois une tournure violente. Ainsi, fin octobre 2015, l’un des bâtiments délabrés abritant des célibataires syriens accusés de boire de l’alcool et de nuire à la tranquillité du voisinage est pris d’assaut par la foule. La maison est