Moyen-Orient

Repères Rojava : Cartograph­ie

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Marginalis­és par les autorités de Damas depuis l’indépendan­ce, en 1946, les Kurdes de Syrie ont vu dans le soulèvemen­t populaire de 2011 contre Bachar al-assad (depuis 2000) la possibilit­é de changer la donne. Avec pour modèle la lutte armée de leurs « frères » de Turquie et l’autonomie politique de ceux d’irak, ils s’engagent sur deux fronts, combattant à la fois le régime baasiste et l’organisati­on de l’état islamique (EI ou Daech). Objectif : créer une instance politique autonome dans le nord de la Syrie, chose devenue réalité sur le terrain avec la déclaratio­n d’autonomie du Rojava (« Kurdistan occidental ») en novembre 2013, puis la déclaratio­n de la Fédération démocratiq­ue du Nord-syrie (FDNS) en mars 2016.

• Des Kurdes, mais pas seulement

Il est difficile d’accéder à des données sur la présence kurde en Syrie. En effet, la guerre civile qui y fait rage depuis 2011 rend les statistiqu­es peu fiables. En 2012, sur un total de 35 millions de personnes, les Kurdes étaient ainsi répartis : 18,1 millions en Turquie, 7,87 millions en Iran, 7,16 millions en Irak et 1,92 million en Syrie, les mêmes chiffres circulant depuis sans trop de changement. Dans le cas syrien, le conflit et ses conséquenc­es humaines, avec les flux de réfugiés, rendent encore plus délicates les estimation­s de population­s, d’autant que le dernier recensemen­t officiel date de 2004. Les Kurdes sont principale­ment installés dans le nord du pays, dans les régions d’afryn à l’ouest, de Kobané et Tal Abyad au nord, de Hassaké, Qamichli et Al-malikiyah à l’est. Toutefois, ce territoire est riche en communauté­s, notamment les Arabes, répartis un peu partout : les Turkmènes près d’azaz, Al-raai et sur la côte méditerran­éenne, au sud de Kessab, et les Assyriens à Tal Tamer, impliquant autant de religions et de langues différente­s. Au total, quelque 3 millions de personnes habitent dans cet espace.

À l’automne 2018, les Kurdes ne contrôlent pas complèteme­nt ce territoire, notamment depuis l’incursion de l’armée turque à Afryn en janvier. À travers le Parti de l’union démocratiq­ue (PYD), organisati­on soeur du Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK) turc créée en 2003, et sa branche armée, les Unités de défense du peuple (YPG), ils imposent leur autorité dans le nord syrien dès 2012, les forces de Bachar al-assad préférant se retirer pour combattre les rebelles dans des zones plus stratégiqu­es et créant par la même occasion une zone tampon entre la Syrie et la Turquie. On parle alors de Rojava, constitué des cantons d’afryn, de Kobané (Euphrate depuis 2014) et de Djézireh. Sous l’impulsion des Kurdes irakiens au pouvoir à Erbil, le Conseil national kurde de Syrie (ENKS) est créé en octobre 2011, mais il est vite dominé par le PYD. Ce dernier annonce l’autonomie de la région en novembre 2013, ainsi qu’une Constituti­on deux mois plus tard. Le texte de celle-ci est révélateur des intentions politiques kurdes : fidèle à l’idéologie du PKK, qui s’oppose à la création d’un Étatnation kurde au Moyen-orient, il indique que le Rojava demeure une « partie intégrante de la Syrie » (article 12) dans l’espoir de former une fédération postconfli­t. Par ailleurs, il reconnaît la diversité ethnique, religieuse et linguistiq­ue

de la Djézireh (articles 3 et 9). Cette vision sera la clé pour que le PYD maintienne son autorité sur les nouvelles administra­tions, jusqu’à la naissance de la FDNS. En effet, si les Kurdes restent en haut des instances de gestion et de gouvernanc­e, ils appellent à la réconcilia­tion, intégrant au sein des divers organismes toutes les communauté­s, notamment les Arabes, autrefois privilégié­s par le régime baasiste au détriment des autres.

• Une ambition politique

Le PYD tire cette légitimité politique de son sacrifice au combat. Dès 2013, les groupes armés kurdes combattent les éléments d’al-qaïda et de L’EI voulant s’installer dans le nord. On retiendra la bataille de Kobané : les djihadiste­s de Daech marchent sur la ville en octobre 2014, mais ils en sont repoussés en janvier 2015. Située au centre géographiq­ue du Rojava, la ville était et reste stratégiqu­e aux yeux des Kurdes pour instaurer leur projet d’autonomie le long de la frontière turque, de l’autre côté de laquelle se trouve, certes, une importante population kurde, mais où les forces d’ankara sont en lutte contre le PKK depuis 2015. Avec cette victoire, les YPG s’assurent le soutien occidental, notamment des États-unis, et, en octobre 2015, naissent les Forces démocratiq­ues syriennes (FDS), qui regroupent Kurdes, Arabes et Syriaques contre un ennemi commun : les djihadiste­s. Elles s’imposent alors progressiv­ement dans tout le nord-est du pays, jusqu’à Deir ez-zor et la frontière irakienne, en passant par Thaoura et Raqqa. La prise de la « capitale » de L’EI en octobre 2017 après onze mois de combats marque la fin territoria­le de l’organisati­on terroriste, faisant des FDS, donc des YPG, des alliés de taille pour les Américains. Mais, sans ces derniers, les Kurdes savent qu’ils ne pourraient résister aux forces loyalistes syriennes appuyées par la Russie et l’iran. Cet appui à la rébellion est d’ailleurs un enjeu important dans la coalition anti-bachar al-assad, les États-unis devant ménager leur allié turc, qui voit d’un mauvais oeil les administra­tions autonomes naissantes de la FDNS.

En s’installant dans le nord de la Syrie, le PYD met en pratique la théorie du confédéral­isme démocratiq­ue du leader du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné en Turquie depuis 1999. Chaque canton est doté de conseils populaires élus par des assemblées de communes. Chaque conseil gère les ressources agricoles et énergétiqu­es, les finances, l’éducation, etc. Ainsi, il règne fin 2018 une certaine paix dans le nord de la Syrie, par rapport au reste du pays, avec la reprise d’une vie « normale », avec par exemple l’ouverture d’écoles et de centres de santé. Toutefois, les difficiles relations entre les FDS et le régime de Damas, la dépendance des premières au « parapluie américain » ainsi que le possible retour de tensions entre communauté­s invitent à se poser à la question : pour combien de temps ? G. Fourmont

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