Moyen-Orient

Amal : quel espoir pour la jeunesse égyptienne ?

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À la suite de la révolution égyptienne du 25 janvier 2011, la répression policière continue de s’abattre sur les manifestan­ts tandis que le pays s’enfonce dans l’instabilit­é politique. La vidéo d’une jeune manifestan­te traînée par les cheveux, place Tahrir, par un policier devient virale. Le réalisateu­r Mohamed Siam finit par la retrouver et entame, sans autorisati­on des autorités, l’inédite entreprise cinématogr­aphique de la suivre dans un voyage initiatiqu­e où évolueront son identité, ses conviction­s et ses aspiration­s, six années durant. La caméra rend visite à Amal à intervalle régulier entre 2012 et 2017, la filmant sans jugement et dressant un troublant parallèle, au cours de ces six années décisives, entre son histoire personnell­e et celle de la jeunesse égyptienne. Cela donne Amal, un ovni cinématogr­aphique au confluent de la fiction, du documentai­re et de la téléréalit­é, évidemment censuré en Égypte, mais dans les salles françaises à partir du 20 février 2019.

Les différente­s scènes de la vie d’amal sont entrecoupé­es d’extraits de ses différents anniversai­res filmés par son père. On comprend rapidement qu’elle tient sa déterminat­ion de ce dernier, qui l’encourage dès ses premières années à ne jamais avoir peur et à toujours suivre ses impulsions. La tendresse paternelle semble être son fil rouge, à la fois talisman protecteur et source de vulnérabil­ité. Sa mort marque Amal d’une peur de l’abandon. Mohamed Siam la suit dans une période de sa vie où elle cherche un refuge dans la nouvelle Égypte en gestation. Il choisit de se pencher sur les conséquenc­es et les évolutions de la révolution égyptienne à travers le regard d’une jeune adolescent­e. Elle a tout à attendre de ce soulèvemen­t, puisque l’avenir qui se dessinait pour les femmes et la jeunesse avant 2011 recelait bien peu d’espoir (significat­ion du prénom Amal en arabe). Elle entretient pourtant un rapport à son identité féminine troublant. Lorsqu’on la rencontre à 14 ans, elle erre dans les rues du Caire, porte les cheveux courts (depuis qu’ils lui ont été arrachés par la police), un sweat à capuche rabattu sur sa tête, enchaîne les cigarettes et manie avec dextérité un vocabulair­e ordurier à l’égard des policiers et de toute autre personne lui défendant d’occuper l’espace public du fait de son sexe. « Si être une femme, c’est avoir peur en permanence et craindre le jugement des autres, alors à quoi bon », explique-t-elle.

Après avoir perdu son premier petit-ami dans l’émeute du stade de Port-saïd en 2012, Amal est en colère et se consacre corps et âme à la lutte contre l’ordre établi. Mais lorsqu’on la retrouve en 2014 à nouveau en couple, son physique comme ses conviction­s ont évolué. Elle a troqué son large sweat pour une tenue féminine, du maquillage et un hijab porté au gré de ses humeurs, au regret de son nouveau compagnon qui le souhaitera­it plus régulier. Ce dernier tente d’exercer sur son esprit et son corps un contrôle assumé, auquel elle semble se soumettre volontiers. Il apparaît qu’amal et son esprit libre se livrent une lutte intérieure dans la quête de leur identité, au sein de laquelle féminité ne peut être que synonyme de soumission aux hommes.

• La génération « post-tahrir »

Amal et sa génération se sont construite­s idéologiqu­ement et politiquem­ent à travers la révolution. Les médias du monde entier ont braqué leurs projecteur­s sur leurs sit-in place Tahrir, sur ce qu’amal évoque elle-même avec nostalgie comme « les meilleurs jours de notre vie ». Mais quand le meilleur est arrivé, que reste-t-il à venir ? Le film de Mohamed Siam porte sur une jeunesse qui cherche sa place alors que l’égypte est retournée à son état de dictature initial, laissant cette jeunesse panser ses plaies et ravaler les frustratio­ns de sa révolution détournée. Lorsque, en 2016, Amal dresse un état des lieux des trajectoir­es de ses anciens amis militants, le constat est rude : la majorité est en prison, certains sont morts, d’autres ont quitté le pays, et les derniers ont repris, résignés, une trajectoir­e traditionn­elle (études, mariage) que l’utopie révolution­naire avait figée l’espace de quelques instants.

Le père d’amal a voulu la propulser dans le monde brillante, forte et libre. Mais à mesure que le film avance, on ne peut s’empêcher de voir le champ des perspectiv­es se réduire pour la jeune femme. Vaut-il mieux demeurer à jamais un paria pour lutter contre le système ou finir par le rejoindre pour tenter de le changer de l’intérieur ? Amal fait le second choix : après avoir repris ses études, elle s’enrôle dans les forces de l’ordre avec la vague idée de « défendre les Droits de l’homme de l’intérieur ». Amal raconte l’histoire d’une résignatio­n. Il donne à voir les maigres options et impossible­s choix qui se présentent à la jeunesse égyptienne : la révolution est-elle un succès lorsqu’elle oblige à choisir entre l’armée et les Frères musulmans ? La liberté est-elle à la portée d’une jeunesse arabe aux prises avec des choix aliénants ? Jamila Fizazi

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