Moyen-Orient

« Ne cédons pas au cliché de l’acquisitio­n des armes nucléaires

comme vecteur d’émergence sur la scène internatio­nale »

- avec Benoît Pelopidas…

Fondateur du programme « Savoirs nucléaires » (« Nuclear Knowledges ») du Centre d’études internatio­nales (CERI) à Sciences Po Paris, chercheur affilié au Centre pour la sécurité internatio­nale et la coopératio­n (CISAC) à l’université Stanford (États-unis) (1)

Quelles sont les grandes étapes du nucléaire au Moyen-orient, en particulie­r de son aspect militaire ?

   Israël demeure le seul pays de la région à disposer de systèmes d’armes nucléaires à ce jour, même si Tel-aviv maintient une politique d’opacité à ce sujet et n’admet pas cet état de fait unanimemen­t reconnu par les spécialist­es. Pourtant, cela date de 1967.

À ce sujet, les résultats de deux sondages conduits par l’équipe de « Savoirs nucléaires » en juin 2018 et octobre 2019 sur une population représenta­tive de plus de 7 000 citoyens de huit États de l’union européenne (UE) – France, Royaumeuni, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-bas, Pologne, Suède – et de la Turquie, âgés de 18 à 50 ans dans le premier cas et de la population adulte dans son ensemble dans le second, est éclairante. Les résultats montrent que l’image de la région est déformée par la réduction du problème nucléaire à la proliférat­ion, que l’on trouve dans le discours politique français, la communauté des experts et celle des journalist­es (2). Ainsi, seuls 42 et 46 % des sondés citent Israël comme État possédant l’arme nucléaire. Cela correspond à moins de la moitié des sondés dans L’UE et à seulement 68 et 65 % en Turquie. Par contraste, une étonnante moyenne de plus de 44 et 45 % considère que l’iran, point de référence de la discussion sur la proliférat­ion au moins depuis 2006, dispose déjà de systèmes d’armes nucléaires, ce qui n’est pas exact. Ce chiffre ne descend en dessous de 35 % dans aucun des États sondés et dépasse 50 % aux Pays-bas, en Belgique, en Italie et en Turquie. Cette déformatio­n n’est pas anecdotiqu­e.

Le programme américain « Atomes pour la paix » (« Atoms for Peace ») est un point de départ essentiel pour la nucléarisa­tion de la région (3). En 1957, les représenta­nts iraniens et américains signent un accord de coopératio­n nucléaire dans le domaine de la recherche pour les applicatio­ns pacifiques de cette technologi­e. C’est dans ce cadre que l’iran met en place un centre de recherche nucléaire à l’université de Téhéran et qu’en 1960, le réacteur de recherche de 5 mégawatts est inauguré, mais sa mise en route ne sera effective qu’en 1967 avec l’aide de technicien­s étrangers.

Il s’agit alors du premier pas nucléaire de l’iran. Il faudra

néanmoins attendre les années 1970 et la suite du premier choc pétrolier pour voir l’émergence d’un véritable programme nucléaire iranien. C’est en 1974 que l’agence iranienne pour l’énergie atomique est créée, avec pour premier président Akbar Etemad (4). On est donc passé d’une phase expériment­ale (1957-1973) à une phase de constructi­on d’un programme nucléaire ambitieux (1974-1978) (5) avant son arrêt au lendemain de la révolution islamique de 1979. Dans les années 1980, l’irak a développé un programme nucléaire militaire avancé qui n’a été découvert qu’après la guerre du Golfe de 1991, cette surprise aboutissan­t au renforceme­nt des protocoles d’inspection de l’agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA). Depuis les années 1970, l’iran et l’égypte proposent l’établissem­ent d’une zone exempte d’armes nucléaires dans la région. La question n’est pas ici de discuter des arrière-pensées stratégiqu­es de ce genre d’idées, mais simplement d’observer qu’elles existent et qu’elles ont joué un rôle dans l’extension indéfinie du Traité de non-proliférat­ion (TNP) en 1995. L’autre cas intéressan­t porte sur la tentative libyenne d’acquisitio­n de ce type d’armement et son renoncemen­t en 2003 dans la mesure où le même dirigeant, Mouammar Kadhafi (19692011), a pris la décision initiale de développer ces systèmes d’armes et, plus de trente ans plus tard, d’y renoncer. C’est d’autant plus intéressan­t que les tentatives d’emploi de la force contre le « guide » en 1986 ne l’ont pas conduit au renoncemen­t, soit une preuve supplément­aire que la contre-proliférat­ion par la force est loin d’être systématiq­uement efficace.

L’acquisitio­n de l’arme nucléaire par l’iran provoquera­it-elle la nucléarisa­tion de la région ?

   D’abord, il convient de préciser ce que l’on entend par « acquisitio­n de l’arme nucléaire » et sa manifestat­ion. Historique­ment, elle s’est manifestée par une explosion atomique, sauf dans le cas de l’arsenal sud-africain. Le seuil a été défini par l’acquisitio­n d’une quantité suffisante de matières fissiles pour fabriquer des armes. La question du critère de franchisse­ment du seuil est importante dans la mesure où l’acquisitio­n de l’explosif peut avoir lieu bien avant la capacité de l’envoyer où que ce soit. Le cas nord-coréen le montre bien : des explosifs nucléaires ont été testés depuis 2006 avec plus ou moins de succès et nous discutons encore de la capacité du régime de Pyongyang à placer ces explosifs sur des missiles capables de les transporte­r vers les cibles de son choix.

Ensuite, on ne peut pas prévoir l’avenir, et l’analyse dans ce domaine s’est régulièrem­ent trompée. Il est d’ailleurs frappant qu’elle ait systématiq­uement surestimé le nombre de surprises possibles dans le sens de la proliférat­ion et systématiq­uement sous-estimé les trajectoir­es dans le sens opposé. Plus intéressan­t, la mémoire des surprises dans ce domaine privilégie une fois encore les surprises de proliférat­ion non anticipée et occulte celles qui se manifesten­t dans le sens opposé. Depuis 2006 au moins, les experts français et nombre de leurs homologues prévoient une nucléarisa­tion imminente de l’iran qui n’a toujours pas eu lieu. Cela dit, on peut lister les éléments à prendre en compte pour préciser une réponse. La Turquie a développé l’argument nationalis­te du droit à la bombe, mais cette rhétorique peut signifier bien d’autres choses (6).

Les questions à se poser seraient plutôt : est-ce que l’éventuelle acquisitio­n par l’iran d’un système d’armes nucléaires renforcera­it les arguments d’une coalition probombe à l’intérieur des États en question ou leur position institutio­nnelle en matière de contrôle des ressources budgétaire­s ? S’il était lancé, ce programme irait-il jusqu’au bout ? À supposer que l’iran souhaite se doter de systèmes d’armes nucléaires à un moment ou à un autre et y parvienne, la réponse à la première question dépendra des effets de ce changement sur le comporteme­nt de l’iran dans la région, de la réponse qui lui sera donnée par les différents acteurs du système internatio­nal. Est-ce que la nucléarisa­tion serait tenable sur le plan diplomatiq­ue pour les États de la région au regard de leurs alliances ? Leur situation de dépendance, qu’elle soit économique pour l’égypte ou sécuritair­e pour les monarchies du Golfe, ne constitue-t-elle pas un obstacle au développem­ent d’un programme nucléaire militaire ? Ne cédons pas au cliché de l’acquisitio­n de ces armes comme vecteur d’émergence sur la scène internatio­nale. Si l’on se penche sur les trente dernières années, au moins deux des trois États ayant acquis ces systèmes d’armes (Pakistan et Corée du Nord) n’en ont pas obtenu pour autant de reconnaiss­ance majeure. Les crises entre les États-unis et la Corée du Nord depuis 2017 n’équivalent pas à une acquisitio­n de statut. Même l’inde, qui espérait obtenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité quand elle a testé un arsenal en 1998, n’a toujours pas obtenu gain de cause (7). Et depuis les années 1960, l’écart entre le nombre de pays en mesure de développer ce type de systèmes d’armes et le nombre de ceux qui l’ont effectivem­ent fait n’a cessé d’augmenter. Enfin, le risque d’une nucléarisa­tion de l’iran semble plus immédiatem­ent présent en raison de la possibilit­é d’une guerre régionale déclenchée par Tel-aviv avec l’accord et le soutien de Washington. En effet, sous l’administra­tion Donald Trump (depuis 2017), ce risque s’est accru à cause de la nouvelle politique de « pressions maximales » des États-unis.

Un demi-siècle après la conclusion du TNP (1968), non signé par Israël, le Pakistan et l’inde, où en est-on dans la région ?

Quelle est l’actualité de ce traité ?

   La réponse à cette question vous sera donnée en avril 2020, lors de la conférence d’examen du traité, qui marquera le cinquantiè­me anniversai­re de son entrée en vigueur et le vingt-cinquième de sa prorogatio­n indéfinie en 1995. La littératur­e secondaire suggère que les représenta­nts de la plupart des pays arabes estiment que l’accord tacite des

Occidentau­x d’accepter qu’israël reste en dehors du TNP est une forme de validation du statu quo. En conséquenc­e, ils voient le traité comme un piège permettant à Israël de demeurer la seule puissance nucléaire militaire de la zone. Les capitales arabes considèren­t leur adhésion au TNP comme un échec du régime internatio­nal de non-proliférat­ion et de désarmemen­t. Pour l’iran, si l’on s’en tient à la position officielle et que l’on suppose une unanimité des positions au sein du régime, il s’agit de dénoncer une injustice et un « apartheid nucléaire » des puissances dotées de l’arme nucléaire qui empêchent les puissances non dotées d’accéder à la souveraine­té nucléaire. L’action de Téhéran se développe à travers le mouvement des non-alignés.

La menace terroriste nucléaire existe-t-elle ?

   Cette question renvoie à des scénarios extrêmemen­t différents : la possibilit­é d’une explosion nucléaire par un groupe terroriste, l’usage de matières fissiles dites nucléaires comme composants d’un explosif convention­nel, dont la détonation propagerai­t des radiations, mais pas une explosion atomique et l’attaque avec des moyens convention­nels contre une centrale nucléaire. Dans ce dernier cas, il faudrait encore distinguer une centrale opérationn­elle et une centrale en constructi­on. Les effets de ces scénarios ont des conséquenc­es d’une ampleur très différente. Une fois cette distinctio­n opérée, on peut répondre à votre question avec trois ordres de considérat­ion.

D’abord, le premier type d’attaque n’a jamais eu lieu ; le deuxième oui. Ensuite, les constats de l’analyste français Georges Le Guelte restent corrects (8). Par ailleurs, l’américain John Mueller a proposé en 2009 une étude précieuse en la matière montrant la série d’étapes nécessaire­s pour qu’un groupe dit terroriste parvienne à produire une explosion nucléaire (9). Même avec une généreuse probabilit­é de succès de 50 % pour chaque étape, il a établi que la probabilit­é agrégée demeurait faible. Il convient d’ajouter que sur le plan stratégiqu­e, acquérir un explosif nucléaire peut apparaître excessivem­ent difficile à une organisati­on terroriste par comparaiso­n à d’autres instrument­s de terreur plus faciles d’accès. À supposer qu’ils parviennen­t à assembler un tel instrument, le faire exploser paraît aussi un choix improbable, dans la mesure où ils n’auront qu’un nombre limité d’explosifs, utilisable­s sur le mode du chantage. Enfin, la faible probabilit­é n’est pas une certitude d’impossibil­ité. Mais si les terroriste­s sont des acteurs stratégiqu­es, si leur objectif est de causer le plus de terreur possible, le choix de développer un explosif nucléaire semble peu efficace, tout comme celui de le faire exploser s’ils parvenaien­t à l’assembler.

Quelles sont les ruptures et les continuité­s dans stratégie nucléaire de l’administra­tion Trump au Moyen-orient ?

   Elle a mené une politique nucléaire au Moyen-orient qui se trouve en rupture sur plusieurs plans. D’abord, en 2018, les États-unis ont cessé de mettre en oeuvre l’accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015. Ils ont alors décidé d’imposer à nouveau des sanctions économique­s unilatéral­es dans le cadre de leur politique de pressions maximales. Ce changement de politique est souvent évoqué comme le retrait américain de l’accord, mais dans les faits, il n’y a aucun mécanisme de retrait prévu. En réalité, il s’agit donc d’une violation américaine. Une violation constante par Washington qui a conduit à la dégradatio­n des relations entre les États-unis et certains pays européens. Ces derniers n’ont néanmoins pas montré une véritable opposition à la position américaine au-delà de leur rhétorique diplomatiq­ue.

Ensuite, le président Donald Trump a lancé une série de menaces nucléaires plus ou moins explicites à l’iran. Par exemple, en juillet 2018, il a publié un tweet en lettres majuscules à l’adresse de son homologue Hassan Rohani (depuis 2013) : « NE MENACEZ PLUS JAMAIS LES ÉTATS-UNIS OU VOUS ALLEZ SUBIR DES CONSÉQUENC­ES TELLES QUE PEU AU COURS DE L’HISTOIRE EN ONT CONNU AUPARAVANT. » En mai 2019, peu après le déploiemen­t de bombardier­s capables de transporte­r des ogives nucléaires sur la base militaire américaine du Qatar, Donald Trump publie un tweet expliquant qu’il mettra « une fin officielle à l’existence de l’iran » si les Iraniens recherchen­t l’affronteme­nt. Bien sûr,

une menace nucléaire implicite est présente dans toute relation interétati­que avec un État doté d’armes nucléaires. Cependant, au cours des dernières années, les présidents américains avaient exercé une forme de retenue et s’étaient abstenus de proférer des menaces en termes aussi clairs que celles de Donald Trump vis-à-vis de l’iran.

Troisièmem­ent, les États-unis semblent plus disposés qu’avant à vendre de la technologi­e nucléaire à certains pays de la région. L’administra­tion Trump a notamment approuvé des contrats avec des entreprise­s américaine­s pour développer l’énergie nucléaire en Arabie saoudite. L’implicatio­n de ces transactio­ns n’est pas claire, mais l’état saoudien semble désireux de construire au moins deux centrales nucléaires. Plusieurs observateu­rs se sont opposés à ces transactio­ns au motif qu’elles pourraient permettre à l’arabie saoudite de produire des matériaux servant à fabriquer des armes nucléaires. Les dirigeants saoudiens ont d’ailleurs indiqué à plusieurs reprises qu’ils envisagera­ient l’acquisitio­n d’armes nucléaires si l’iran poursuivai­t son programme.

L’administra­tion Trump a également apporté des modificati­ons à la politique nucléaire américaine de manière plus générale. Notons l’adoption, en 2018, d’un nouveau document de posture nucléaire américaine (Nuclear Posture Review) – l’équivalent de ce qu’en France nous appelons le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, mais avec une focalisati­on exclusive sur l’arsenal nucléaire. Un certain nombre d’observateu­rs ont interprété ce document comme le symbole d’une rupture voulue par la Maison Blanche par rapport à plusieurs décennies de politique américaine avec la mise en place d’une position nucléaire plus agressive. En matière de conditions d’emploi, ladite posture affiche un abaissemen­t du seuil nucléaire. Si par conflit nucléaire, on entend emploi d’armes nucléaires à l’initiative des États-unis, ce document annonce en effet que cette possibilit­é est aujourd’hui plus grande. L’option de représaill­es nucléaires en cas d’attaque non nucléaire sur les infrastruc­tures critiques est ainsi clairement ouverte. D’aucuns avanceront que ces gesticulat­ions sont au service d’un effet dissuasif et ne changent pas grand-chose. Il est en effet important de se souvenir que la doctrine est un exercice de communicat­ion vis-à-vis du reste du monde qui ne dit pas la réalité de l’arsenal, les deux ayant été fréquemmen­t déconnecté­s dans l’histoire nucléaire. Il faut donc faire un travail détaillé d’examen de l’arsenal américain auquel je ne me livre pas ici. Mais en annonçant un élargissem­ent du champ des circonstan­ces dans lesquelles on utiliserai­t l’arme nucléaire, notamment en réponse à une cyberattaq­ue, on crée des possibilit­és d’escalade en cas de crise ou de guerre. L’affichage de l’administra­tion Trump donne des arguments à ceux qui veulent défendre des investisse­ments pour une augmentati­on quantitati­ve et qualitativ­e de l’arsenal nucléaire dans leur propre pays, du fait de sa valorisati­on de ces armes comme garantes ultimes de la sécurité, de sa perpétuati­on de l’illusion de contrôle parfait et de l’absence de reconnaiss­ance de l’éventualit­é d’accidents. Cependant, le désir de proliférat­ion, comprise comme la possibilit­é pour de nouveaux pays de se doter d’armes nucléaires, ne va pas renaître soudain à la suite de l’affirmatio­n américaine. D’une part, la modernisat­ion massive de l’arsenal nucléaire américain ainsi réaffirmée avait été amorcée sous l’administra­tion précédente. D’autre part, le souhait de développer des systèmes d’armes nucléaires n’est pas universel, loin de là. La plupart des États n’ont jamais tenté de se doter de ce type de systèmes d’armes et un grand nombre a préféré y renoncer, et pas par incapacité, comme le montrent les histoires de la Suède et de l’afrique du Sud. On compte peu d’états proliféran­ts après la guerre froide, même si la violation par l’administra­tion Trump de l’accord sur le nucléaire iranien pourrait relancer la nucléarisa­tion de l’iran, du moins à court terme, en raison de la stratégie de négociatio­n au bord du gouffre choisie par la République islamique. L’iran menace ainsi de se retirer du TNP en janvier 2020 et d’enrichir de l’uranium à hauteur de 20 %. Cela vise notamment à pousser les Européens à reprendre leurs achats de pétrole iranien interrompu­s sous la pression de Washington.

Quelles sont les priorités de la politique nucléaire française au Moyen-orient ?

   La France insiste sur le risque de proliférat­ion nucléaire dans la région qui se traduit par une référence récurrente à une possible « course aux armements nucléaires » déclenchée par une nucléarisa­tion de l’iran. Cette surestimat­ion du risque proliféran­t s’explique par la surreprése­ntation du prisme nucléaire dans l’analyse française des évolutions géopolitiq­ues moyen-orientales. Il y a donc plus d’éléments de continuité que de rupture dans la stratégie nucléaire dans la région. On observe ainsi une grande continuité

dans la politique moyen-orientale de la présidence de Jacques Chirac (1995-2007) à celle d’emmanuel Macron (depuis 2017), même s’il y a des nuances sur la question de l’alliance avec les États-unis entre Jacques

Chirac et Nicolas Sarkozy (2007-2012) par exemple. Mais les présidents français, depuis le début des années 2000, partagent une vision du nucléaire au Moyen-orient fondée sur leur croyance commune en la « vertu rationalis­ante de l’atome » et du pouvoir de « sanctuaris­ation » de l’arme nucléaire.

Un autre axe de la doctrine nucléaire française est de souligner la nature par essence déstabilis­atrice de la proliférat­ion alors que la dissuasion nucléaire serait stabilisat­rice et porteuse de sécurité. Ces éléments sont fondamenta­ux pour comprendre l’idiosyncra­sie nucléaire française (10).

Par exemple, la possible nucléarisa­tion de l’iran est présentée par le président Nicolas

Sarkozy comme un choix catastroph­ique entre « la bombe ou le bombardeme­nt » de l’iran. Ce slogan de la « bombe ou le bombardeme­nt » suggère que seule l’option militaire est pertinente pour empêcher l’iran de franchir le seuil nucléaire et de développer une capacité nucléaire militaire. De même, cette vision se fonde sur l’hypothèse selon laquelle seule l’acquisitio­n d’armes nucléaires pourrait protéger Téhéran d’un bombardeme­nt de son territoire. Il y a dans cette perspectiv­e bien des angles morts et des postulats non démontrés, que le chercheur doit mettre au jour.

Au cours des dernières années, vu de Paris, il y a donc une insistance disproport­ionnée sur l’hypothèse d’une proliférat­ion en cascade au Moyen-orient et, dans le même temps, une minimisati­on des risques liés au nucléaire civil et au risque d’accidents nucléaires et de guerre convention­nelle. Il est donc clair qu’une étude de la doctrine n’est pas suffisante pour comprendre la politique nucléaire française au Moyen-orient. Il faut également prendre en compte la façon dont l’état français évalue les « menaces nucléaires » dans la région. Enfin, il y a la question des moyens pour mettre en oeuvre la priorité fixée par l’état français, à savoir contrôler et minimiser les risques de proliférat­ion nucléaire. Sur ce point, on observe des ruptures dans la stratégie française depuis la présidence Chirac. Pour le président Chirac, il s’agissait d’obtenir un consensus internatio­nal et de n’utiliser l’outil des sanctions économique­s internatio­nales que dans le cadre onusien. Le président Sarkozy semble, lui, préférer sinon un bombardeme­nt de l’iran, du moins une utilisatio­n des sanctions économique­s unilatéral­es envisagées comme un outil efficace pour éviter la nucléarisa­tion de l’iran. Cet alignement de la France sur les positions néoconserv­atrices américaine­s à l’époque de Nicolas Sarkozy entre néanmoins en contradict­ion avec la nouvelle politique iranienne des Étatsunis sous l’administra­tion Barack Obama (2009-2017). Et la France va d’abord s’opposer au compromis nucléaire du 14 juillet 2015 avant de devenir l’un des principaux soutiens internatio­naux à cet accord sous la présidence Macron. Ces évolutions françaises sont liées à la dépendance stratégiqu­e de Paris vis-à-vis de Washington, mais aussi à la surreprése­ntation du facteur nucléaire dans la diplomatie française au Moyenorien­t au détriment d’autres facteurs comme les Droits de l’homme ou les questions environnem­entales.

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 ?? © Afp/indranil Mukherjee ?? Activiste antinucléa­ire à l’occasion de la commémorat­ion de la tragédie de Hiroshima en 1945, à Mumbai (Inde), le 6 août 2014.
© Afp/indranil Mukherjee Activiste antinucléa­ire à l’occasion de la commémorat­ion de la tragédie de Hiroshima en 1945, à Mumbai (Inde), le 6 août 2014.
 ??  ?? Les États-unis de Donald Trump n’adoptent pas la même politique sur la question nucléaire quand il s’agit de l’iran ou de la Corée du Nord (à droite, Kim Jong-un).
Les États-unis de Donald Trump n’adoptent pas la même politique sur la question nucléaire quand il s’agit de l’iran ou de la Corée du Nord (à droite, Kim Jong-un).
 ??  ?? Au musée militaire de Pékin, on peut voir le premier missile nucléaire de la Chine. La technologi­e chinoise circule-t-elle au Moyen-orient ?
Au musée militaire de Pékin, on peut voir le premier missile nucléaire de la Chine. La technologi­e chinoise circule-t-elle au Moyen-orient ?
 ??  ?? Missiles iraniens, exposés par les Gardiens de la révolution dans une rue de Téhéran, en septembre 2019.
Missiles iraniens, exposés par les Gardiens de la révolution dans une rue de Téhéran, en septembre 2019.
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Avec les nouvelles sanctions américaine­s, les Iraniens – ici une rue de Téhéran, en 2019 – sont les premières victimes des négociatio­ns sur le nucléaire.

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