Moyen-Orient

Who is Afraid of Ideology? : des femmes et des lieux

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Propositio­n cinématogr­aphique radicale, Who is Afraid of Ideology? (2019) n’est pas un documentai­re comme les autres. En prenant le parti de parler de l’écoféminis­me en contexte de guerre et de l’éthique de la guérilla, la réalisatri­ce Marwa Arsanios s’engage dans une oeuvre non convention­nelle et déroutante. Le film a reçu le prix Georges de Beauregard internatio­nal 2019 au 30e Festival internatio­nal de cinéma de Marseille (FID).

Que signifie appartenir à un endroit ? Que signifie être ici ? Que recouvre le mot “nature” ? Qu’est-ce que cela implique quand on dit “nous” ? » Dès les premières secondes du film, au coeur d’un paysage aride adouci par la lumière pastel de la nuit tombante, Marwa Arsanios s’interroge face caméra. En se mettant ainsi en scène, la réalisatri­ce donne le ton de son parti pris cinématogr­aphique et politique. Les questions qu’elle pose, à la fois géographiq­ues, épistémolo­giques et politiques, découlent d’expérience­s conduites par des femmes dans trois territoire­s marqués par les stigmates de la guerre.

• Un village pour femmes

Les récits en provenance des montagnes du Kurdistan sont les premiers à nous parvenir. Nous sommes au début de l’année 2017 et la guérilla menée par le mouvement autonomist­e des femmes kurdes invite à considérer l’espace, la survie, l’écologie et les batailles économique­s.

Les échelles se superposen­t, les enjeux se croisent. Les discours de femmes se succèdent en voix off, illustrés par des images quasi fixes du territoire. La question écologique est au centre du propos. Que ce soit à Jinwar, un village du nord de la Syrie construit par des femmes et pour leur usage exclusif, ou à Hermel, à l’est de la vallée de la Bekaa au Liban, à la frontière avec la Syrie, la guerre n’éloigne pas la question écologique ; elle fait prendre conscience de toutes les urgences. Ces femmes nous conduisent alors à penser la violence comme un mal systémique : à la torture et aux morts non comptabili­sées dans les prisons du régime syrien, à l’utilisatio­n d’armes chimiques se greffent les dommages et la violence infligés aux animaux, aux arbres, aux plantes, à l’eau et à la terre.

Face à ces constats, Khadija anime un atelier dans la coopérativ­e qu’elle dirige à Hermel pour apprendre aux femmes syriennes vivant dans les camps de réfugiés voisins comment préserver les légumes saisonnier­s pour l’hiver. Les réponses sont concrètes tout en s’intégrant dans des engagement­s politiques plus larges. Car au fond, le film interroge sur ce que signifie faire partie d’une guérilla. Pour ces femmes, il s’agit d’abord de répondre à des enjeux pratiques : comment utiliser une hache ? Comment manger du poisson dans ses cycles biologique­s de production ? Quand abattre un arbre pour sa survie et quand le sauver ? Les réponses à ces interrogat­ions sont apportées collective­ment. La guérilla représente dès lors un processus collectif d’apprentiss­age dont l’objectif est de « collectivi­ser » l’individu. C’est cette perspectiv­e qui lie les trois expérience­s pourtant distinctes. Il s’agit, pour chaque lieu, de braquer notre regard sur des communauté­s de femmes qui s’engagent dans des processus de réappropri­ation des terres et dans la mise en place de stratégies collective­s de production et de subsistanc­e écologique­s. À travers trois stratégies écoféminis­tes distinctes mais pensées comme des réponses aux mêmes combats, Who is Afraid of Ideology? s’interroge sur les types de gouvernanc­e possibles sans État. En prenant le parti de refuser le format documentai­re traditionn­el pour proposer un objet cinématogr­aphique singulier, Marwa Arsanios met en doute les codes habituels et les réponses évidentes. N. Rouiaï

À voir également…

• Noura rêve, de Hinde Boujemaa

• Sawah, d’adolf El Assal

• Le Miracle du saint inconnu, d’alaa Eddine Aljem

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