Éditorial
DDécédé en 2018, le politologue et historien français Pierre Hassner, spécialiste reconnu des relations internationales, aimait parler de « vengeresse complexité du monde », une expression que nous pourrions parfaitement appliquer au Moyen-orient tant le chaos et la violence y réservent encore des surprises. En cet été 2020, neuf années ont passé depuis les révolutions ayant « dégagé » des régimes féroces et bien ancrés, tels que celui de Zine el-abidine ben Ali en Tunisie (1987-2011). Neuf années de quête de démocratie et de paix, de dignité et de conditions sociales meilleures. Mais aussi neuf années de guerre en Syrie, en Libye, en Irak…, tandis que l’autoritarisme s’affirme comme la seule et unique manière de gouvernance. Quand on pense aux grands dirigeants du Moyen-orient, les noms qui viennent à l’esprit ne sont pas connus pour la défense des libertés publiques, bien au contraire, comme le Saoudien Mohamed ben Salman ou l’égyptien Abdel Fattah al-sissi.
Le Moyen-orient s’est engagé dans une complexité qu’il ne faut pas négliger. Les représentations manichéennes d’une région divisée en deux, entre un bloc sunnite prosaoudien et un arc chiite piloté par les Iraniens, ont montré leurs limites, tant les enjeux à tout type d’échelle sont nombreux. Il suffit ainsi de regarder la situation au Yémen : enrôlés aux côtés de leurs alliés saoudiens, les Émirats arabes unis ont quitté le pays début 2020 après avoir soutenu les séparatistes du sud, pourtant ennemis de l’arabie saoudite, qui n’a plus d’autre choix que de négocier tant les bombardements n’ont mené à rien et coûtent horriblement cher économiquement, politiquement et, bien entendu, humainement. Des Émirats arabes unis qui soutiennent le maréchal libyen Khalifa Haftar alors que ce dernier reçoit l’aide de la Russie et de la Syrie de Bachar al-assad, régime condamné par Abou Dhabi… Les plus studieux comprendront pourquoi cet émirat se rapproche finalement de Damas par l’intermédiaire de Moscou.
Cette géopolitique montre que négliger la complexité du monde, c’est être voué à subir sa vengeance. N’oublions pas que, malgré les cris de victoire à Bagdad, l’organisation de l’état islamique n’est pas morte, et que le phénomène djihadiste est toujours vivace. Neuf années après les soulèvements de 2011, force est d’admettre la fatigue des habitants de la région, mais aussi leur incroyable volonté : les manifestations en Iran, au Liban, en Algérie ou en Irak ont encore rappelé aux pouvoirs en place qu’ils n’étaient pas éternels et que les États devaient rendre des comptes.
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