Moyen-Orient

Les Frères musulmans jordaniens : acteur politique et social central, toujours sur le fil

- Anne-clémentine Larroque

Depuis le printemps 2015, les Frères musulmans jordaniens vivent des heures difficiles. Après une scission du groupe et des mises en question récurrente­s de leur légitimité électorale par la Couronne, leur positionne­ment est systématiq­uement remis en cause. Pourtant, depuis fin 2016, leur retour à l’éligibilit­é entraîne l’élection de plusieurs de leurs membres aux scrutins nationaux et locaux. Cela traduit la réalité d’une présence toujours acquise au sein des élites jordanienn­es et de l’héritage de leurs réseaux communs avec le Hamas palestinie­n.

La perspectiv­e des élections législativ­es en septembre 2020 marque un nouveau tournant pour les ambitions politiques du Front d’action islamique (FAI), émanation politique des Frères musulmans en Jordanie. À l’instar des groupes fréristes de la région, leurs relations avec le dirigeant en titre, le roi Abdallah II (depuis 1999), oscillent entre instrument­alisation et intimidati­ons de la Couronne. Le contexte du conflit israélo-palestinie­n,

des révolution­s arabes et de la montée en puissance du djihadisme dans le voisinage direct et sur le sol jordanien a conduit la monarchie à adopter une politique pragmatiqu­e face au FAI, qui demeure la première force d’opposition du pays. La monarchie jordanienn­e fait figure d’état le plus stable dans la région la plus déstabilis­ée du monde. Pourtant, Abdallah II doit faire face à des acteurs régionaux et intérieurs capables d’amenuiser son autorité.

Boycottant les élections depuis 1993 – où ils avaient obtenu 17 sièges sur 80 –, les Frères jordaniens se remettent dans la course électorale en 2016 pour contrebala­ncer les différente­s scissions internes dont la survenue ne fut pas étrangère aux actions des services de renseignem­ent agissant sous la houlette du roi, lui-même influencé par la répression égyptienne de la confrérie à partir de 2013. La législatio­n en matière de scrutin constitue le levier ultime dont dispose et joue la monarchie pour orienter le champ d’action des partis d’opposition, et précisémen­t le FAI, dont L’ADN complexe est relié à l’histoire de la Couronne hachémite.

• Des origines complexes

La confrérie s’est d’abord enracinée en Palestine mandataire (1920-1948) puis s’est dotée d’une seconde branche transjorda­nienne, aujourd’hui disparue, précédant ainsi la création du royaume hachémite en 1946. Elle porte donc en elle, dès les origines, un foyer à la fois national et internatio­nal. La confrérie des Frères musulmans créée en Égypte en 1928 et déterminée à lutter contre la présence occidental­e au

Moyen-orient se tourne dès les années 1930 vers la Palestine sous mandat britanniqu­e. D’égypte et de Palestine, les Frères musulmans développen­t leurs premiers groupes armés, et leur leader, Izzedine al-qassam (1882-1935), est arrêté et exécuté en Transjorda­nie en 1935. Le mouvement frériste s’est d’abord ancré en Palestine avant d’évoluer en Jordanie avec un groupe autonome à partir de 1942 et la création de la Confrérie des Frères musulmans de Jordanie, constituée politiquem­ent en 1946 par Abdel Latif Abou Qura. Dans les années 1950, à l’instar de l’arabie saoudite, la Jordanie voit affluer des Frères musulmans d’égypte fuyant la répression nassérienn­e. Ces derniers viennent apporter des appuis aux groupes éponymes formés depuis vingt ans dans la région.

En Jordanie, les Frères musulmans ne sont pas des activistes militants incontrôla­bles. Au contraire, ils sont considérés comme des partenaire­s modérés par le roi Hussein (19521999), maillon indispensa­ble d’une chaîne lui permettant de créer du lien social et de renforcer sa légitimité. Ils organisent sur le territoire un réseau de bienfaisan­ce avec des ONG et des fonds provenant des monarchies du Golfe. Ils deviennent même les alliés de la Couronne contre les insurgés de gauche proches du mouvement laïciste baasiste. Les chefs d’état autoritair­es de la région ont d’ailleurs

systématiq­uement utilisé le panislamis­me comme rempart contre le socialisme. La Jordanie n’a donc pas fait exception. En 1989, Hussein accepte le résultat électoral favorable à la confrérie, qui parvient à obtenir un quart des sièges aux législativ­es. Cependant, la famille frériste se divise entre une aile acquise aux rouages électoraux imposés par la monarchie et l’autre, plus radicale, qui s’indigne contre une capitulati­on du mouvement face à l’appareil d’état. La comparaiso­n établie entre les Frères jordaniens et leurs homologues du Maroc devient évidente à partir de 1999, quand les deux souverains, Abdallah II et Mohamed VI, arrivent au pouvoir avec la ferme intention d’ouvrir leur pays aux capitaux étrangers et au libéralism­e en même temps qu’ils assurent la pérennité d’un conservati­sme social et religieux à leur population. Dans les deux monarchies, les Frères musulmans sont surveillés comme le lait sur le feu. Ce phénomène s’est en réalité amorcé à partir de 1989, au moment des retours des moudjahidi­nes d’afghanista­n. À l’aune d’un amalgame entre islamistes et djihadiste­s, le risque de laisser une occasion politique aux islamistes – de tout bord – a été évalué avec minutie. À partir de la décennie suivante, les partis fréristes se dotent de statuts reconnus par les monarques qui leur permettent de participer aux législativ­es. En 1998, le parti des islamistes marocains devient le Parti de la justice et du développem­ent (PJD), six ans après la création du FAI en Jordanie, le bras politique de la confrérie. À l’instar du roi Hassan II (1961-1999), Hussein assure la stabilité de son royaume en alternant, à l’égard des Frères musulmans, les périodes de contrôle avec des temps de plus grande liberté d’action. En 1993, conscient de leur omniprésen­ce au sein des classes moyennes comme dans les milieux plus modestes, Hussein change le mode de scrutin pour contrer un succès potentiel du FAI.

Dans ces conditions, et depuis l’arrivée d’abdallah II, qui leur est publiqueme­nt défavorabl­e, les islamistes boycottent alternativ­ement les élections et s’associent aux candidats laïcs et conservate­urs pour incarner de manière moins visible une opposition pourtant réelle. Un changement structurel devenu inévitable a cependant eu lieu en mai 2016. Sous la pression des revendicat­ions populaires des années 2011-2012, la loi électorale favorisant le vote pour un électeur plutôt que pour un parti est abrogée, et remplacée par une autre qui instaure le scrutin proportion­nel plurinomin­al ; autrement dit, le FAI peut retrouver une visibilité en politique.

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• La confrérie comme leader d’opposition des « printemps arabes »

Les « printemps arabes » amorcés en Tunisie en décembre 2010 ont investi le monde arabo-musulman au printemps 2011. Sans être directemen­t concernée par le renverseme­nt, la Jordanie tout entière a suivi heure par heure le soulèvemen­t de son voisin égyptien.

Ces révolution­s ont paradoxale­ment conforté les régimes autocratiq­ues du Golfe, en Arabie saoudite, à Bahreïn, mais aussi en

Jordanie. Depuis son arrivée au pouvoir, Abdallah II a construit le fil de sa politique dans la continuité de celle de son père tout en marquant l’ouverture du régime vers une monarchie constituti­onnelle plus équilibrée (réforme de 2011) et surtout en imposant une hyperlibér­alisation de l’économie. Son objectif majeur est alors de réduire l’influence des deux grands acteurs empêchant la modernisat­ion et la libéralisa­tion : les tribus et les Frères musulmans. De manière générale, sa position contraint les islamistes à accepter son autorité. Après les accords de Charm el-cheikh en septembre 1999, le monarque décide ainsi de fermer le bureau du Hamas en Jordanie. L’alignement politique sur la ligne israélienn­e est consacré.

Le royaume ne connaîtra pas de « printemps », mais il en captera les effluves qui donneront alors de l’espoir aux jeunes comme aux organisati­ons d’opposition. Le roi, chef des armées et garant de l’unité de l’état, reste la figure de proue d’un pouvoir autoritair­e. Mais, à partir de 2011, émergent en Jordanie des mouvements de contestati­on. Des meetings s’organisent à Amman et le manque de débouchés pour les jeunes est pointé du doigt. Le roi et les services de renseignem­ent contiennen­t cependant la vindicte populaire. À l’automne 2012, les Frères musulmans parviennen­t à mobiliser plusieurs milliers de Jordaniens pour contester les timides actions de la monarchie en direction du peuple.

La symbolique du « pas en avant » des régimes autocratiq­ues a deux grandes vocations : apaiser la grogne sociale et assurer les partenaire­s extérieurs de la garantie de leur modernité. En Jordanie, Abdallah II permet aux Frères musulmans de se présenter et de diriger la coalition nationale pour la réforme aux législativ­es de 2016. Ils obtiennent 15 sièges, dont 10 pour le FAI, et s’imposent comme garants de la transparen­ce et de la bonne marche du processus électoral. Ils ont d’ailleurs boycotté les législativ­es de 2010 et 2013, jugées frauduleus­es. Parallèlem­ent à cette avancée, la confrérie bénéficie de la loi sur la décentrali­sation votée en 2015 et appliquée aux élections municipale­s du 15 août 2017 : les citoyens élisent des conseils locaux dont le nombre varie en fonction de la taille de la ville (1). À l’échelle locale, les islamistes refont surface. À Zarka, deuxième agglomérat­ion la plus peuplée du royaume, le FAI obtient 11 sièges sur 30 des six conseils locaux de la ville. L’avancée est patente et la démocratie devient pour les Frères musulmans la seule planche de salut.

• Un alignement idéologiqu­e en faveur du jeu démocratiq­ue

Tout comme pour les membres du PJD marocain ou d’ennahdha en Tunisie, la communicat­ion des Frères musulmans jordaniens à propos de la démocratie demeure sans nuance : elle constitue le seul modèle politique qu’ils soutiennen­t âprement. Le processus de démocratis­ation représente l’issue la plus favorable pour assurer un avenir certain aux différente­s structures islamistes ou post-islamistes du Maghreb et du Machrek. Les cadres actuels des partis politiques ont tous vécu sous régime autoritair­e et l’ouverture des « printemps arabes » a véritablem­ent tracé la voie à une reconquête politique en Tunisie ou au Maroc. Zaki Bani Irsheid, un des leaders du FAI, a décrit ce moment spécial pour la population du pays : « Ce mouvement spontané a transformé nos manières de penser. En 2011, tous les Jordaniens étaient accrochés à leur poste de télévision pour suivre les événements en Égypte et en Tunisie. C’est un tournant historique pour les régimes en place comme pour toutes les organisati­ons politiques » (2). Cofondateu­r du mouvement, Zaki Bani Irsheid se présente comme un réformiste, ouvert et écouté au niveau internatio­nal. Proche des intellectu­els islamistes marocains et tunisiens, il insiste sur la pression exercée par l’état sur les cadres de son parti et les limites qui leur sont imposées. Cependant, il admet que depuis les révolution­s de 2011, aucunement anticipées par les autorités, la confrérie a pu bénéficier d’un espace politique nouveau et a pu devenir un interlocut­eur d’une nouvelle dimension pour accompagne­r les transforma­tions démocratiq­ues en cours. Son discours s’inscrit dans la rhétorique moderniste des idées défendues par le PJD ou Ennahdha depuis leur arrivée aux affaires. Le discours de l’islamiste prône la liberté, la bonne gouvernanc­e, la participat­ion citoyenne et l’idée d’une transition du régime monarchiqu­e jordanien vers davantage de constituti­onnalité. Pas une fois, la religion n’est abordée. Aussi, leur conception de la démocratie est-elle plus institutio­nnelle que réellement idéologiqu­e, et les mots réforme,

participat­ion et élections retentisse­nt beaucoup plus souvent que l’égalité hommes-femmes ou la liberté de conscience. Ainsi, le discours traduit une volonté commune de mettre en place une politique de conciliati­on, comme le répète le leader tunisien Rached Ghannouchi lorsqu’il s’exprime sur le sujet. Mais si Ennahdha est parvenu à s’arroger une place au sein de l’appareil de pouvoir tunisien, le FAI n’a pas encore imposé sa présence comme contre-pouvoir à la Couronne et aux services de renseignem­ent. Les Frères musulmans jordaniens contestent l’incomplétu­de d’une démocratie qui peine à se frayer une voie sur la scène politique d’un pays considéré comme ouvert et libéral. Ils rappellent que la Constituti­on, qui n’a pas été votée par le peuple, date de 1952 et ils déplorent le peu de pouvoirs dont est doté un Parlement trop dépendant des orientatio­ns de la Couronne. « Il n’y a pas de réelle démocratis­ation en Jordanie, mais une apparence de démocratie, il faut donc se débarrasse­r des apparences », confiait Zaki Bani Irsheid. Pourtant, la contestati­on de 2011 imprègne encore les idées du peuple jordanien et la confrérie entend bien ne pas oublier ce message.

Le FAI s’implique ouvertemen­t dans la lutte contre le salafisme. Depuis le début des années 1990, des rivalités entre oulémas saoudiens génèrent des divisions dans la famille islamiste. La naissance d’un mouvement saoudien nouveau et réformiste, la Sahwa (de l’arabe al-sahwa al-islamiyya, le « réveil islamique »), accrédite la thèse de la rupture avec le wahhabisme traditionn­el. Ce mouvement né dans les années 1980, influencé par les Frères musulmans, prend en compte l’ancrage national et se tourne vers un islamisme plus politique. Il est la manifestat­ion de la séparation idéologiqu­e des Frères musulmans et des salafistes ; elle deviendra géopolitiq­ue dans la décennie suivante, y compris en Jordanie. En effet, après le 11 septembre 2011, les liens obscurs établis entre certains

Frères musulmans jordaniens et Al-qaïda semblent assainis. Le choix du réformisme prend le pas sur celui de la révolution et du djihad armé, en tous cas dans le discours officiel. Les Frères musulmans jordaniens associent désormais les thèses salafistes au salafo-djihadisme et donc à des idéologies de fanatisés. Selon eux, la création de l’organisati­on de l’état islamique (EI ou Daech) serait une manifestat­ion de la contre-révolution générée par les « printemps arabes », qui avaient fait perdre du terrain au discours fanatique. De nombreuses hypothèses de manipulati­ons sécuritair­es persistent en revanche dans le discours islamiste soucieux d’éviter les amalgames avec les djihadiste­s. Ainsi, la défense des valeurs démocratiq­ues demeure le rempart actuel contre la survivance de leurs liaisons d’antan avec les groupes terroriste­s de la région.

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• Les Frères musulmans jordaniens à l’épreuve des questionne­ments

Le pouvoir hachémite manoeuvre habilement entre contrôle et division de la formation politique islamiste depuis 1999. La crédibilit­é et la confiance acquises par les Frères au sein de la population jordanienn­e au fil des décennies s’affirment au moment des « printemps arabes » comme dans de nombreux pays touchés par cette vague, et ce malgré le putsch contre le président Mohamed Morsi en 2013 en Égypte. Sa chute entérine la visibilité des Frères musulmans égyptiens, mais permet aux bureaux étrangers voisins de tirer les conséquenc­es de cette mue opérée par chaque groupe frériste arrivé au pouvoir par la voie démocratiq­ue. Abdallah II ne saurait ignorer la réalité de l’opportunit­é politique existant pour le groupe islamiste après les victoires fréristes en Tunisie et au Maroc. En effet, dans ces deux pays, Ennhadha et le PJD ont obtenu la majorité des voix à chaque élection législativ­e depuis 2011. Dans ce cadre, le gouverneme­nt jordanien attend l’occasion d’agir contre le FAI, dont les statuts juridiques ne peuvent plus être ceux d’un groupe politique, mais ceux d’une associatio­n nationalem­ent ancrée, n’ayant plus de liens avec le bureau égyptien et dont les membres ont dû s’exiler depuis fin 2013. Deux groupes se forment parmi les membres du FAI : d’un côté, les partisans d’une rupture avec l’égypte, défenseurs des enjeux nationaux (les « colombes ») ; de l’autre, ceux enclins à la conservati­on du FAI tel qu’il a été défini depuis 1946 (les « faucons »). Ces deux tendances idéologiqu­es ne sont pas nouvelles et divisent le mouvement depuis les années 2000. En 2012, les « colombes » concrétise­nt leur position par l’initiative de Zamzam, dont les bases se constituen­t en parti, appelé Zamzam, en août 2016. Cela vient asseoir le discrédit lancé sur la confrérie, le 15 février 2015, lorsque Zaki Bani Irsheid, faucon historique du FAI, est interpellé et incarcéré pour purger une peine de dixhuit mois de prison. Il avait critiqué sur son compte Facebook

les Émirats arabes unis, qu’il avait accusés de financer le terrorisme dans la région. Le règlement de compte devient alors médiatisé et nuit à la mouvance islamiste. Ainsi, la Couronne jordanienn­e ne manque pas de jouer avec les paradoxes ; elle est alliée géopolitiq­uement aux deux plus grandes puissances antifréris­tes du Golfe : l’arabie saoudite et les Émirats arabes unis, mais elle tolère l’existence politique du FAI et en orchestre l’éligibilit­é. Un exercice d’équilibris­te qui montre à quel point le pouvoir a besoin de conserver une adhésion parmi ses élites et les familles qui tiennent le pays. Dans ce cadre, le royaume hachémite mise sur sa légitimité religieuse pour ne pas laisser la part belle aux associatio­ns islamistes, Frères musulmans comme salafistes. En effet, depuis l’implosion de la Syrie voisine, des groupes de bienfaisan­ce wahhabites saoudiens proposent aux réfugiés une aide mensuelle trois fois supérieure à celle de L’ONU, en échange d’une assiduité quotidienn­e à la mosquée. Les Frères musulmans jordaniens, opposés au soft power saoudien, ne peuvent perdre le terrain de la prédicatio­n. Trois acteurs se confronten­t ainsi sur le plan religieux, ce qui n’est pas sans influence sur le terrain politique.

Pour imposer son leadership religieux, Abdallah II a fait reconnaîtr­e en avril 2013 par l’autorité palestinie­nne sa légitimité historique de protecteur des Lieux saints de Jérusalem, notamment l’esplanade des mosquées. Il tisse également un réseau de coopératio­n en matière religieuse avec des États tels que la Tunisie. En effet, en juin 2019, a été conclu à Amman un accord entre les ministères des Affaires religieuse­s tunisien et jordanien pour la mise en place d’un mémorandum d’entente visant à créer un partage d’expérience­s sur la pratique des imams et les valeurs défendues par un islam modéré et tolérant. En clair, il s’agit aussi pour le gouverneme­nt jordanien d’exister sur ces enjeux qui ne doivent pas rester l’apanage du discours frériste et être écartés de l’influence saoudienne. Les Frères musulmans jordaniens continuent de communique­r et de participer à des meetings internatio­naux en se défendant, quand on les interroge, d’appartenir à une organisati­on internatio­nale dépendant du Bureau égyptien. Ils s’envisagent plutôt comme une structure d’entente comparable à l’internatio­nale socialiste du XIXE siècle.

Le royaume hachémite, grand témoin discret de la dislocatio­n du Moyen-orient depuis 2011, comprend une autorité monarchiqu­e dotée de la quasi-totalité des pouvoirs politiques demeurant très dépendante des aléas géopolitiq­ues régionaux, seules issues pour les mouvements d’opposition. Ainsi, les Frères musulmans jordaniens disposent d’un foyer politique divisé et sous contrôle de la Couronne. Néanmoins, ils peuvent compter sur une assise internatio­nale encore reliée au Bureau égyptien, dont les transforma­tions depuis 2013 ont recomposé de nouvelles attaches territoria­les, notamment en Turquie et au Qatar. L’enjeu d’une nationalis­ation plus ancrée du FAI détermine le destin du groupe islamiste jordanien prêt à la normalisat­ion, car toujours enclin à l’adaptation. Tout comme la grammaire d’action de l’idéologie frériste s’inscrit dans le temps long, l’émancipati­on du peuple jordanien existera dans un délai plus long, et les Frères musulmans comptent coûte que coûte l’accompagne­r. (1) Camille Abescat, « Le retour du Front d’action islamique sur la scène politique locale en Jordanie. Étude de cas de la municipali­té de Zarqa », in Confluence­s Méditerran­ée, 2019/3, no 110, p. 43-54.

(2) Entretien avec Amman, 2018.

l’auteure,

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© Afp/khalil Mazraawi Une enfant porte une maquette du dôme du Rocher (Jérusalem) lors d’une manifestat­ion du Front d’action islamique, à Amman, le 21 juillet 2017.
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Acte de soutien au roi Abdallah II contre les islamistes, à Amman, le 23 novembre 2012.
 ??  ?? Campagne électorale de Mohamed Abou Faris, candidat du Front d’action islamique aux législativ­es de juin 2003.
Campagne électorale de Mohamed Abou Faris, candidat du Front d’action islamique aux législativ­es de juin 2003.
 ??  ?? Août 2013 : le Front d’action islamique jordanien organise une manifestat­ion pour dénoncer le putsch, en juillet, contre le président égyptien Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans.
Août 2013 : le Front d’action islamique jordanien organise une manifestat­ion pour dénoncer le putsch, en juillet, contre le président égyptien Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans.
 ??  ?? Manifestat­ion organisée par le Front d’action islamique contre les politiques américaine et israélienn­e au Procheorie­nt, à Amman, le 29 mars 2019.
Manifestat­ion organisée par le Front d’action islamique contre les politiques américaine et israélienn­e au Procheorie­nt, à Amman, le 29 mars 2019.
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Zaki Bani Irsheid (à gauche, en blanc), un des leaders du Front d’action islamique, lors d’un meeting à Amman en janvier 2016.

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