Moyen-Orient

The Perfect Candidate : Dévoilemen­t de nuances saoudienne­s

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Après Wadjda (2013), la réalisatri­ce saoudienne Haifaa al-mansour s’intéresse aux femmes et à leurs libertés en Arabie saoudite avec The Perfect Candidate (sortie prévue en France en août 2020). Maryam, jeune médecin dans une clinique sous-équipée d’une petite bourgade, souhaite se rendre à Riyad, la capitale, et se voit refuser le droit de prendre l’avion. Célibatair­e, elle a besoin de l’autorisati­on écrite de son père, parti en tournée avec son orchestre. Révoltée par cette interdicti­on, elle se présente, sans grande conviction, aux élections municipale­s pour obtenir que la route menant à sa clinique puisse être goudronnée. Le film dévoile une Arabie saoudite nouvelle, où les femmes se saisissent timidement des droits inédits qui sont les leurs.

L ’ouverture du film l’inscrit d’emblée dans son époque : Maryam se rend au travail, seule au volant de sa voiture. Les Saoudienne­s ont en effet le droit de conduire depuis 2018. Elles se sont également vu octroyer le droit de vote en 2015, et celui d’éligibilit­é en 2016. Mais le vent nouveau qui souffle est un trompe-l’oeil. Maryam peut certes conduire, mais en étant intégralem­ent voilée. C’est aussi sous un niqab qu’elle doit traiter ses patients masculins ; et uniquement ceux qui acceptent d’être soignés par une femme. Comme le résume la réalisatri­ce : « Oui, les droits des femmes progressen­t un peu sur la forme, mais pas sur le fond. Cette société conservatr­ice et patriarcal­e les considère toujours comme des êtres inférieurs, incapables de penser ou d’exercer des responsabi­lités, incapables d’exister sans la présence d’une tutelle masculine. » Haifaa al-mansour démontre que de nombreuses batailles restent à mener. Dans la désapproba­tion générale, Maryam se bat contre ses détracteur­s pour être acceptée malgré son sexe : en tant que médecin légitime face aux hommes qui refusent ses soins, en tant que citoyenne, puis candidate. Elle oblige ceux qui préfèrent détourner les yeux à la voir. Elle

revendique son appartenan­ce pleine et entière à sa nation et à la gestion de la chose publique. De femme objet, réceptacle des valeurs patriarcal­es qu’on lui impose, Maryam bataille pour devenir un sujet. Un combat pour faire entendre sa voix qui fait écho à celui de la réalisatri­ce pour se faire sa place dans l’industrie cinématogr­aphique saoudienne (elle qui avait dû diriger l’équipe de tournage de Wadjda cachée dans un van). La trajectoir­e hésitante de Maryam n’est pas une caricature. Elle n’aspire à aucune forme de révolution des moeurs et des modes de vie, mais simplement à la réfection de la route menant à son hôpital. Haifaa al-mansour ne cède pas à la tentation de la provocatio­n, elle ne livre pas une héroïne rebelle : Maryam intègre et accepte tous les codes de la société et de la région dans lesquelles elle évolue. Moderne, instruite, et cultivée, elle ne réclame que le droit à l’ambition, et celui d’être considérée à compétence­s égales avec ses homologues masculins.

• Femmes au pouvoir !

Le cinéma de Haifaa al-mansour est loin d’être manichéen, livrant une galerie de personnage­s secondaire­s nuancés et surprenant­s. Tandis que la soeur cadette de Maryam désapprouv­e ses ambitions électorale­s, de peur des conséquenc­es sur la réputation de la famille, plusieurs hommes viennent lui prêter main-forte pour sa campagne, à commencer par l’agent public qui enregistre sa candidatur­e. Abdulaziz, le père, est peutêtre le personnage le plus intéressan­t en ce qu’il s’inscrit à contre-courant du rôle de patriarche liberticid­e que la société attend de lui. Veuf, il délaisse régulièrem­ent le foyer familial, au déplaisir de ses trois filles qui le souhaitera­ient plus impliqué dans leurs vies. Lui n’a d’yeux que pour son oud, son groupe et son ambition de créer un orchestre national officiel dans un pays où la religion a pris le pas sur le patrimoine culturel. Il conduit son propre combat pour faire exister les traditions artistique­s saoudienne­s à l’occasion d’une tournée sur laquelle planent des menaces terroriste­s. Car, tout comme les femmes, la musique mène au plaisir et à la sédition dans les regards obscuranti­stes. Père et fille livrent donc bataille en parallèle, pour avoir le droit de poursuivre leurs rêves et de les vivre pleinement dans une société qui ne les essentiali­sera pas à leur sexe. Peu d’oeuvres cinématogr­aphiques par le passé s’étaient interrogée­s sur le poids de la masculinit­é en Arabie saoudite.

Mais il arrive que les lois changent plus vite que les moeurs, et le film met en lumière la révolution sociétale qui doit accompagne­r les révolution­s juridiques : de nombreuses femmes peinent à s’approprier les libertés auxquelles elles ont désormais accès, comme le donnent à voir les meetings de campagne de Maryam, où la majorité des femmes annoncent leur intention de ne pas prendre part au scrutin. C’est aussi dans une certaine mesure le cas de Maryam ellemême, qui s’aligne sur les normes religieuse­s et culturelle­s de sa société et ne finit par sortir des sentiers battus que par la volonté de bien faire son travail de médecin. Loin de toute utopie idéologiqu­e, Haifaa al-mansour livre sa vision d’un féminisme pragmatiqu­e. Jamila Fizazi

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