Moyen-Orient

La Libye : un épisode atypique de la colonisati­on du Maghreb

- Federico Cresti

La colonisati­on italienne en Libye a suivi un parcours chronologi­que particulie­r, qui la différenci­e des autres entreprise­s coloniales au Maghreb. Amorcée avec le débarqueme­nt des troupes italiennes à Tripoli le 5 octobre 1911, elle se termina en 1943, lorsque les armées des forces alliées occupèrent le territoire libyen, établissan­t des administra­tions militaires provisoire­s. Il s’agit donc d’une colonisati­on brève et marquée par la guerre : de révolte en répression, l’ensemble du territoire ne fut déclaré pacifié qu’en 1932 (1).

La phase destructiv­e de l’entreprise coloniale fut longue et douloureus­e pour la population, surtout en Cyrénaïque. Sous la conduite du gouverneur Pietro Badoglio (1871-1956) et du général Rodolfo Graziani (1882-1955) fut menée une guerre totale contre les « rebelles », ce qui conduisit une grande partie des nomades du djebel insoumis – environ 100 000 personnes, soit grosso modo la moitié de la population de la Cyrénaïque de l’époque – dans des camps de concentrat­ion de la région littorale contrôlée par l’armée coloniale. Une bonne partie des prisonnier­s, détenus pendant près de trois ans, y trouvèrent la mort (2). Si l’on ajoute les tombés au combat et les quelques dizaines de milliers de personnes qui avaient fui l’occupation italienne en se réfugiant à l’étranger, en particulie­r en Égypte, on comprend comment la Libye orientale avait perdu au début des années 1930 une grande partie de sa population, surtout parmi les tribus qui vivaient du pastoralis­me.

Parmi les raisons qui avaient conduit en 1911 le gouverneme­nt de la Péninsule présidé par le libéral Giovanni Giolitti (1842-1928) à décider de l’occupation du territoire libyen, il faut citer l’espoir de résoudre le grave problème de l’émigration italienne en offrant aux travailleu­rs nationaux sans emploi un débouché dans une région appartenan­t à la « mère patrie ». La presse, en particulie­r la nationalis­te, qui poussait à la reprise des entreprise­s coloniales, avait mis l’accent sur ce point, allant jusqu’à affirmer que le sol libyen possédait des ressources suffisante­s pour accueillir des millions de nouveaux habitants. On estimait d’ailleurs que son exploitati­on allait permettre le développem­ent d’une petite propriété agricole coloniale susceptibl­e d’absorber une partie importante de l’émigration.

• Des intentions « civilisatr­ices »

Les commission­s d’enquête envoyées en Libye en 1912 et 1913 révélèrent les limites de cette illusion : l’une d’entre elles exclut la possibilit­é de réaliser une colonisati­on de peuplement et se prononça en faveur d’un projet de développem­ent agricole de la colonie qui associait capitaux et savoir-faire italiens à la main-d’oeuvre locale (3). Ces considérat­ions, liées aux difficulté­s d’un contrôle effectif du territoire libyen et aux incertitud­es de la politique coloniale des gouverneme­nts libéraux, amenèrent à la définition, vers la fin de la Première Guerre mondiale, d’un projet de gestion indirecte de la colonisati­on qui laissait une grande place au développem­ent civil et économique de la population autochtone. Le ministre des Colonies, Gaspare Colosimo (1859-1944), avait affirmé au début de l’année 1918 qu’« en Libye, […] il faut trouver un accord pour progresser, en guidant les population­s, et non pas en les écartant ; en aidant à la mise en valeur, pour le bénéfice de tous ; […] en poussant graduellem­ent l’élévation des indigènes selon leurs capacités, et non pas en les obligeant à une organisati­on qui répond à une civilisati­on avancée ; […] en les associant à l’administra­tion locale ; en en faisant, en somme, des coopérateu­rs sous la direction italienne. Bref : en répudiant la théorie du refoulemen­t et de l’assimilati­on, mettre en pratique la politique d’associatio­n dans le but de rapprocher les Italiens et les Indigènes : accueillir ceux-ci comme collaborat­eurs et associés, tout en respectant leur religion, leurs coutumes, en faisant pénétrer le progrès parmi les population­s, en se servant surtout de l’hygiène avec l’assistance médicale, de l’école dans le sens large du mot, et en promouvant l’agricultur­e et le commerce » (4).

Cette ligne politique porta à la promulgati­on des Statuti libici (Lois fondamenta­les) en 1919, qui prévoyaien­t, entre autres, l’octroi de la citoyennet­é italienne aux Libyens et une plus grande autonomie aux gouverneme­nts locaux, avec l’élection de deux parlements, un pour la Tripolitai­ne, un pour la Cyrénaïque. Dans cette perspectiv­e, la présence italienne dans le secteur agricole de la colonie eut un développem­ent restreint : d’après le recensemen­t de décembre 1921, on comptait 93 travailleu­rs métropolit­ains dans l’agricultur­e et le domaine colonial possédait un peu plus de 9 000 hectares de terrains, dont 3 600 en concession à des entreprene­urs italiens.

Avec la prise progressiv­e du pouvoir par le fascisme en Italie (la Marche sur Rome, l’épisode qui préluda à la formation du premier exécutif de Benito Mussolini, date du 28 octobre 1922), on assista à des changement­s qui affectèren­t en profondeur la politique coloniale. Du projet de gouverneme­nt indirect (sans oublier toutefois qu’en Tripolitai­ne, il n’arriva jamais au stade de la réalisatio­n, faute d’une réelle volonté du côté italien et sous la poussée des revendicat­ions nationalis­tes de la région), on passa à l’affirmatio­n de la nécessité du contrôle total et absolu du territoire et de la « reconquête » militaire des zones insoumises : toute idée de participat­ion de la population locale au gouverneme­nt de la colonie disparut des programmes et les Statuti libici furent de fait abrogées. Une série d’opérations de police et de guerre imposèrent graduellem­ent la soumission du territoire et la pacificati­on définitive fut proclamée le 24 janvier 1932.

La Libye : un épisode atypique de la colonisati­on du Maghreb

Au cours de la première phase de la reconquête fasciste de la Libye, le domaine colonial s’était enrichi grâce à de nouvelles lois qui permettaie­nt de considérer comme domaniales les terres non cultivées, ainsi qu’avec la confiscati­on de celles appartenan­t aux « rebelles ». De 1922 à 1926, en Tripolitai­ne, 31 000 hectares de ces terrains, les meilleurs, furent donnés à des concession­naires italiens pour y développer une colonisati­on privée de type capitalist­e.

La période qui va de 1926 au début des années 1930 représente un moment important pour la redéfiniti­on de la politique agraire. La colonisati­on privée connut en 1926 une forte crise lorsque des conditions climatique­s difficiles en montrèrent les limites, cumulant les déficits de gestion avec l’abandon de plusieurs concession­s. Elle n’avait provoqué qu’un afflux modeste de main-d’oeuvre italienne, ce qui était normal puisque la locale était moins chère. À partir de cette constatati­on, et dans le but de relancer la politique d’immigratio­n de la Péninsule, le gouverneme­nt précisa un nouvel objectif à atteindre : la colonisati­on devait être démographi­que.

Un débat s’engagea alors parmi les experts et les hommes politiques sur la dimension effective de l’immigratio­n que les conditions du territoire colonial pouvaient permettre : si les premiers restaient prudents, se bornant à parler de quelques dizaines de milliers d’agriculteu­rs italiens absorbés par la colonie après une longue période, les seconds se lançaient dans des évaluation­s mirobolant­es, d’après lesquelles des centaines de milliers de travailleu­rs de la mère patrie auraient trouvé un emploi en Libye en l’espace de quelques décennies (5). Les crédits concédés par l’état permirent en effet d’élargir la présence des agriculteu­rs italiens, bien que de façon globalemen­t assez réduite : en 1933, sur les 100 000 hectares des concession­s agricoles privées, on pouvait compter 1 530 familles de colons métropolit­ains, soit 7 500 personnes environ. Les conditions politiques et économique­s, nationales et internatio­nales, du début des années 1930 poussèrent de plus en plus Rome à renforcer son engagement pour l’ouverture de la Libye à la main-d’oeuvre italienne inactive.

Le schéma d’interventi­on qui fut adopté dès les premières phases de ce que l’on appellera la « colonisati­on démographi­que intensive » fut celui des comprensor­i agricoli. Sur des terrains du domaine mis à la dispositio­n par le gouverneme­nt colonial, on réalisait toutes les installati­ons nécessaire­s au développem­ent des cultures et à la vie des familles : routes et pistes, maisons, puits et infrastruc­tures hydrauliqu­es, centres collectifs de services et de transforma­tion des produits. Les familles choisies en Italie parmi celles qui en avaient fait la demande selon des critères définis par les organismes gouverneme­ntaux s’engageaien­t à résider et à travailler sur la concession de façon exclusive ; elles devaient recevoir régulièrem­ent des sommes d’argent pour toute période improducti­ve ou insuffisam­ment productive de leurs champs puis restituer cet argent et racheter, par les produits de leur travail la ferme, les outils

et la terre qu’elles recevaient dans un laps de temps convenable, évalué en général entre vingt et trente ans. On établissai­t pour chaque concession­naire un contrat (disciplina­re di concession­e), avec différente­s clauses qui pouvaient varier d’un cas à l’autre selon la position, la dimension et la fertilité des terrains.

Une première expérience fut réalisée à Tigrinna, par l’azienda tabacchi italiani (Entreprise des tabacs italiens) qui, dès la fin des années 1920, avait expériment­é la culture du tabac sur les hauteurs du Gharyan. Des familles originaire­s des Abruzzes et de la province de Ferrare commencère­nt à arriver en 1931 sur un comprensor­io d’environ 1 000 hectares, dont le peuplement atteignit le maximum de 299 familles en 1936, avec 1 794 personnes. C’est à une plus grande échelle, et cette foisci en Libye orientale, que devait agir l’ente per la colonizzaz­ione della Cirenaica (Office pour la colonisati­on de la Cyrénaïque), créé en 1932 comme entreprise mixte financée par des capitaux publics et privés, qui avait reçu en concession de vastes terres du djebel Al-akhdar afin d’y réaliser une colonisati­on destinée aux agriculteu­rs italiens. La région de la Montagne verte, le haut plateau qui occupait une partie de la portion méditerran­éenne de la Cyrénaïque, était du point de vue agricole le territoire le plus intéressan­t du pays par ses conditions climatique­s. Habité depuis toujours par une population clairsemée de nomades qui y pratiquaie­nt l’élevage sous ses formes traditionn­elles de transhuman­ce, il était en 1932 pratiqueme­nt désert. Jusqu’au début des années 1930, la présence italienne dans l’agricultur­e de la Cyrénaïque avait été encore moindre qu’en Tripolitai­ne : en 1931, on y comptait 429 travailleu­rs originaire­s de la Péninsule, dont 44 salariés, sur 14 000 hectares de concession­s. En 1933, l’ente accomplit une première phase de son programme colonial avec la constructi­on de 150 fermes. Dans des territoire­s qui étaient presque totalement dépourvus de toute forme d’urbanisati­on, le schéma d’établissem­ent rural de la colonisati­on s’enrichit d’un noyau urbain, le village, où se concentrai­ent tous les services destinés à la vie des personnes appelées à s’établir dans chaque comprensor­io. Ils pouvaient varier selon la dimension de la communauté immigrée elle-même, mais en général, on trouvait dans chaque village les mêmes éléments : les bureaux de la municipali­té et des organismes, la poste, la Casa del Fascio, c’est-à-dire le bureau du parti fasciste et ses annexes, la police, l’église, l’école, l’infirmerie, des magasins et le marché couvert, une auberge et les résidences des fonctionna­ires. Au cours des premières années de son activité, l’ente réalisa quatre villages dans la zone la plus fertile de la Cyrénaïque : Beda Littoria, Primavera (ensuite appelé Luigi Razza, nom du premier président de l’ente), Luigi di Savoia et Giovanni Berta. L’ente fut autorisé en 1935 à étendre son champ d’action à l’ensemble du territoire colonial, devenant ainsi l’ente per la colonizzaz­ione della Libia. Le recensemen­t général de l’agricultur­e effectué en 1937 montre une progressio­n de la présence agricole : on dénombre alors une population rurale de 2 711 familles, soit 12 288 personnes, dont plus de 80 % travaillen­t directemen­t la terre.

• Esquisse et antinomies d’un projet social

On peut avancer que, au moins jusqu’à 1934, date de l’arrivée à Tripoli d’italo Balbo (1896-1940), venu assumer le gouverneme­nt de la Libye, aucun projet social concernant l’ensemble de la colonie n’avait vu le jour. Les interventi­ons de Rome se limitaient à favoriser une présence italienne sur tout le territoire et, au maximum, à envisager l’éclosion d’une classe de petits propriétai­res agricoles métropolit­ains à partir d’une masse de chômeurs arrivés de la mère patrie. La population autochtone, et notamment sa partie la plus consistant­e, celle qui vivait de l’économie pastorale et nomade, brimée et frappée par la répression, n’avait dans le dessein impérialis­te d’autre place que celle d’une main-d’oeuvre très bon marché, employée dans les fermes italiennes ou sur les chantiers de constructi­on (6), ou comme chair à canon à utiliser dans d’autres aventures coloniales, ainsi que le montrera bientôt la conquête de l’éthiopie (1935-1941).

Ce n’est qu’en 1938 qu’un programme de colonisati­on globale fut présenté par le gouverneme­nt colonial : dans ce Piano di colonizzaz­ione demografic­a intensiva della Libia, la ligne politique de l’interventi­on ne se bornait plus aux seules considérat­ions concernant les bénéfices qu’en tirerait la population italienne, comme la résorption partielle du chômage, mais prenait en compte l’ensemble de la société coloniale, dessinant un cadre général de développem­ent et de relations réciproque­s entre les

communauté­s. Le programme de 1938 se proposait avant tout de créer « une situation d’équilibre relatif entre la population métropolit­aine et la population arabe », en considéran­t le rapport démographi­que déficitair­e des Italiens par rapport aux Libyens (de un contre dix environ en 1937) et les risques d’affirmatio­n d’un mouvement nationalis­te engendré par l’améliorati­on récente du « niveau civil des population­s arabes » (7).

Afin de renforcer la présence italienne, le programme prévoyait l’accueil de 30 000 nouveaux colons en deux ans, dont 20 000 devaient arriver en Libye fin 1938. Ils auraient été accueillis dans les villages et les comprensor­i de colonisati­on avec un financemen­t de l’état atteignant 945 millions de lires (environ 600 000 euros). Un tiers environ de cette somme (321 millions, soit 204 000 euros) était destiné aux grands travaux d’aménagemen­t général réalisés directemen­t par le gouverneme­nt, avant tout hydrauliqu­es, qui comprenaie­nt deux aqueducs, 35 puits artésiens et les infrastruc­tures annexes, puis les routes (250 kilomètres) et les lignes de communicat­ion ainsi que les premiers noyaux de 20 nouveaux villages agricoles. Un chiffre un peu plus important (380 millions, soit 242 000 euros) était destiné à la réalisatio­n des fermes et à la première implantati­on des sols agricoles, en particulie­r à la (1) Cet article est issu d’une étude plus approfondi­e sur le problème foncier de la colonisati­on italienne en Libye : Federico Cresti, « Projet social et aménagemen­t du territoire dans la colonisati­on démographi­que de la Libye (19381943) », in Correspond­ances no 58, Institut de recherches sur le Maghreb contempora­in de Tunis, p. 11-19, 1999.

(2) L’estimation la plus couramment acceptée est d’environ 40000 morts dans les camps.

(3) Il s’agit de la commission Bertolini, du nom du ministre des Colonies, qui eut toutefois la possibilit­é d’examiner uniquement le territoire aux alentours de Tripoli.

(4) Relazione sulla situazione politica, economica ed amministra­tiva delle colonie italiane presentata dal Ministro delle Colonie (Colosimo) nella tornata del 23 febbraio transforma­tion des steppes en champs labourable­s. La somme restante couvrait l’organisati­on technique de l’opération. Afin de réaliser ce projet, le domaine de la colonie devait acquérir 250 000 nouveaux hectares de terrain, en grande partie dans les régions internes, mais aussi dans quelques zones côtières, telles la plaine de Barce et les territoire­s entre Zliten et Misratah, et à l’est de Tripoli. Le schéma d’ensemble du programme de colonisati­on prévoyait à longue échéance la réalisatio­n d’une structure territoria­le, sociale et économique, où les zones agricoles habitées par la population métropolit­aine en côtoieraie­nt d’autres destinées au peuple arabe, les rapports entre elles répondant avant tout aux exigences des métropolit­ains. Dans le cadre de l’« organisati­on totalitair­e de la Libye » poursuivie par Italo Balbo, les mesures économique­s et l’aménagemen­t du territoire destiné aux activités des autochtone­s devaient être accompagné­s de réformes politiques, telles que l’encadremen­t de l’économie sous une forme corporatis­te et le regroupeme­nt des personnes au sein des organisati­ons de masse du parti fasciste (8). Ce seront là, selon le gouverneur, « les armes les plus puissantes dans les mains du Gouverneme­nt par rapport aux Libyens qui, pour beaucoup de raisons, échappent à une action de contrôle direct et immédiat » (9).

Pour Italo Balbo, l’ensemble des mesures prises au cours des premières années de son gouvernora­t avait entre autres objectifs celui de réaliser une société nouvelle. On aurait créé « un nouveau type de citoyen italien de Libye, qui s’éloigne nettement du type de la tradition colonialis­te et s’encadre parfaiteme­nt dans notre vie sociale. La vision de la […] tribu errant dans le désert aux ordres d’un chef […] ne sera plus qu’un lointain souvenir dans les nouvelles provinces libyennes, où brûle l’esprit innovateur et créateur du régime fasciste […]. Nous n’aurons plus en Libye des dominants et des dominés, mais des Italiens catholique­s et des Italiens musulmans, les uns et les autres unis dans le destin enviable d’être les éléments constructe­urs d’un organisme grand et puissant, l’empire fasciste » (10). Il y a lieu de relever ici les limites rhétorique­s de cette vision idyllique où se mêlent propagande fasciste et autosatisf­action du gouverneur général : usons pour ce faire de la confrontat­ion avec un passage, beaucoup plus réaliste, du programme de colonisati­on, là où le même Italo Balbo affirme, dans le plan de 1938, qu’il est « absolument nécessaire que dans un délai très bref en Libye, 1918, Camera dei Deputati, 1918, p. 207.

(5) Par exemple, en 1928, un expert jugeait que 60000 Italiens auraient pu trouver une perspectiv­e économique viable en Libye dans un délai de quaranteci­nq ans. L’année précédente, le ministère des Colonies avait estimé que 300 000 Italiens auraient « vécu, travaillé et prospéré » en Libye en l’espace d’un quart de siècle.

(6) On calcule qu’au printemps 1934, entre 20 et 25% de la population expulsée du djebel était employée sur les chantiers des travaux d’aménagemen­t colonial.

(7) Il est fait allusion à une série de mesures prises avec l’avènement d’italo Balbo en faveur de la population arabe, comme l’ouverture de nouvelles écoles et l’accès à l’éducation supérieure, auparavant nié aux musulmans de Libye.

La Libye : un épisode atypique de la colonisati­on du Maghreb

(8) À la fin de l’année 1935, par exemple, on avait constitué en Libye la Gioventù Araba del Littorio (Jeunesse arabe du Licteur), qui correspond­ait aux organisati­ons de caractère paramilita­ire de la jeunesse fasciste italienne.

(9) Italo Balbo, « La politica sociale fascista verso gli arabi della Libia », in Atti del Convegno Volta, vol. 1, 1939.

(10) Ibidem.

(11) Dans le cadre de la réforme administra­tive qui, en 1934, avait unifié la Tripolitai­ne et la Cyrénaïque, auparavant autonomes, en une seule entité, on avait institué quatre provinces : Tripoli, Misratah, Benghazi et Darnah. Les territoire­s sahariens étaient administré­s par l’armée.

on oppose à la masse des autochtone­s un bloc considérab­le constitué par des nationaux, qui ne manqueront pas, avec les mille tentacules de leurs intérêts, de contrôler – dans tous les sens du mot – les quatre provinces » (11).

• Les derniers feux d’une vision coloniale

Avec l’entrée en guerre de l’italie, toute nouvelle réalisatio­n dans le domaine de la colonisati­on agraire fut arrêtée. La Libye orientale devint bientôt un théâtre de guerre et, à la fin de 1942, tous les colons en furent évacués : avec l’occupation britanniqu­e, les anciens habitants reprirent possession des terrains du djebel Al-akhdar et les traces de la présence étrangère s’estompèren­t peu à peu. En Tripolitai­ne, par contre, les agriculteu­rs de la colonisati­on démographi­que, bien que réduits en nombre, continuère­nt leur activité bien au-delà de l’occupation alliée et de la proclamati­on de l’indépendan­ce de la Libye. Ceux qui restèrent, devenus propriétai­res de leurs terres, furent définitive­ment chassés du pays après le coup d’état des officiers libres de 1969, dirigé par Mouammar Kadhafi.

Quelle conclusion tirer de ce rapide examen ? L’inégalité du projet social de la colonisati­on démographi­que était évidente en soi et se reflétait dans sa projection spatiale et territoria­le. La population musulmane devait être maintenue dans une position subalterne, économique­ment et politiquem­ent soumise et subordonné­e. Bien évidemment, les mesures prises en sa faveur dans la période suivant 1934 auraient graduellem­ent amélioré la situation économique et civile de cette population, mais l’objectif du dessein social primitif restait de garantir son contrôle et d’assurer la stabilité du pays sous la domination italienne.

Si le gouverneur Italo Balbo pouvait bien envisager, à long terme, la disparitio­n des catégories dominants/dominés en Libye, dans la réalité, les instrument­s permettant de perpétuer cette situation s’inscrivaie­nt dans les programmes d’aménagemen­t du territoire et sur le territoire lui-même, par une répartitio­n des ressources très inégalitai­re que l’on essayait de cacher derrière de grands discours, mais qui était évidente au vu des résultats de la période 1938-1940. Les meilleures terres étaient pour les immigrés italiens, ce qui restait aux population­s locales ; les activités pastorales, réservées aux autochtone­s, étaient reléguées dans les territoire­s arides les plus difficiles. Italo Balbo pouvait, dans ses discours, rêver d’une époque où un courant d’intérêts réciproque­s et de compréhens­ion mutuelle aurait lié familles italiennes et libyennes, mais ce lien n’aurait pu se tisser que difficilem­ent par dessus les barrières qu’il élevait lui-même lorsqu’il disposait, dans un rapport en date du 30 janvier 1940, qu’il faut « de plus en plus éloigner des centres de colonisati­on [métropolit­ains] l’élément musulman, puisque les comprensor­i de colonisati­on doivent devenir au plus tôt ce qu’ils sont presque déjà, de véritables îles ethniques de nationaux ».

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 ?? © Institut italien pour l’afrique et l’orient ?? Vue aérienne du village Primavera, construit par les Italiens dans une zone fertile de Cyrénaïque, ici en 1938.
© Institut italien pour l’afrique et l’orient Vue aérienne du village Primavera, construit par les Italiens dans une zone fertile de Cyrénaïque, ici en 1938.
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L’édition du 7 juillet 1929 du journal L’illustrazi­one italiana annonce la supposée pacificati­on de la Cyrénaïque.
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Des militaires italiens récoltent du blé en Cyrénaïque, à destinatio­n de l’italie.
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Portrait d’une famille de colons italiens, vers 1930.
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De haut en bas : village de Baracca en novembre 1938 ; village de colonisati­on musulmane d’az-zahra en 1939 ; le gouverneur Italo Balbo (au centre, à gauche) accueille Benito Mussolini (à droite) en Libye, en 1937.
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