Normalisation arabo-israélienne : un moment « historique » ?
« Historiques » : c’est l’adjectif choisi par les médias pour caractériser les accords entre Israël et les Émirats arabes unis d’une part, et Israël et Bahreïn de l’autre, présentés à Washington mi-septembre 2020, en l’absence des deux chefs d’état arabes concernés. Le président américain, Donald Trump (2017-2021), et le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou (depuis 2009), parlent d’« accords d’abraham ». Cet événement marque-t-il un tournant ?
Si ces textes représentent une percée de la normalisation recherchée par Israël avec le monde arabe, plusieurs facteurs invitent à la relativiser. Première objection : il ne s’agit pas d’accords de paix, les États signataires n’ayant jamais été en guerre. Deuxième objection : nul ne connaît leur contenu, sauf la promesse de chasseurs F-35 aux Émirats arabes unis, encore hypothétique. Troisième objection : leur dimension électorale, qui n’a pas sauvé Donald Trump ; pour Benyamin Netanyahou, on le saura après les législatives prévues en 2021.
Israël, acteur unilatéral
Cette histoire commence avec le « consensus stratégique » recherché par les États-unis depuis 1967 : pérenniser leur hégémonie en rassemblant Israël et ses voisins. Grande avancée en 1977 : le voyage du président égyptien Anouar el-sadate (1970-1981) à Jérusalem, puis, en 1978, son sommet avec le Premier ministre israélien Menahem Begin (1977-1983) et le président Jimmy Carter (1977-1981) débouchent sur une paix séparée. Mais les Palestiniens deviennent un acteur majeur avec leur première Intifada (1987-1991). La conférence de Madrid (octobre 1991) et les accords d’oslo (septembre 1993) poussent Washington à accepter un État palestinien en pointillés. Et Israël engrange en octobre 1994 une seconde paix séparée, avec la Jordanie. Mais, le 4 novembre 1995, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin (19921995) est assassiné et avec lui le « processus de paix », enterré par le sommet de l’été 2000. Place à la deuxième Intifada, qui creuse un fossé sanglant entre les deux peuples, avec environ 5 000 morts, dont 4 000 Palestiniens. La parenthèse d’oslo refermée dans le sang, Israël agit unilatéralement, en dépit du droit international, de la colonisation au mur. Et George W. Bush (2001-2009) renonce à freiner son allié. Barack Obama (2009-2017) exige, en vain, le gel de la colonisation ; il capitule face à Benyamin Netanyahou.
Oubliée, l’initiative de paix de la Ligue arabe (2002), qui offrait une normalisation des relations si Israël se retirait des Territoires occupés et acceptait un État palestinien avec sa capitale à Jérusalem. En coulisses, les Arabes négocient pour leur compte sans exiger un État palestinien. Cette « trahison » remonte à loin. De la Grande Révolte (1936-1939) à la Nakba (19471949), les « frères arabes » abandonnent les Palestiniens, quand ils ne les massacrent pas : les Jordaniens lors du Septembre noir (1970), les Libanais pendant leur guerre civile (1975-1990)… La marginalisation de la Palestine brise le tabou. La réussite des accords se mesurera au nombre d’états arabes recrutés : Américains et Israéliens multiplient les pressions pour arracher des signatures qui tardent. Sauf celle de Rabat, obtenue en décembre 2020 contre la reconnaissance par Washington de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. La clé se trouve à Riyad. « Si je signe, mon peuple me tuera », a lâché Mohamed ben Salman, prince héritier et homme fort d’arabie saoudite. Son père, le roi Salman (depuis 2015), lui fait la leçon : le gardien des deux grands Lieux saints de l’islam, La Mecque et Médine, ne saurait donner à Israël le troisième, la mosquée Al-aqsa à Jérusalem. Mohamed ben Salman craint qu’afficher une alliance ouverte avec Israël n’alimente ces « révolutions arabes » qui secouent royaumes comme républiques. En pactisant avec Telaviv, un petit émirat peuplé d’immigrants ne risque rien. Pas un grand État comptant des millions d’autochtones. L’alliance avec Israël et les États-unis protège surtout les dirigeants arabes contre deux menaces : celle de l’iran et celle du « phénix révolutionnaire ». Pas question de choquer des populations massivement propalestiniennes.
Une nouvelle politique américaine ?
L’autre clé se trouve à Washington. Netanyahou et ses alliés arabes, orphelins de Donald Trump, paniquent. Quelle diplomatie le démocrate élu Joe Biden concocte-t-il ? Ses premières déclarations évoquent un retour à l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, le maintien de l’ambassade à Jérusalem, la réaffirmation de l’illégalité des colonies de Cisjordanie et le refus de l’annexion. Quel crédit y donner ? Sa viceprésidente, Kamala Harris, annonce la réouverture de la Mission palestinienne et la réinsertion des États-unis dans l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA).
L’expérience incite à éviter les illusions. Face à la droite israélienne, la volonté d’un président américain se mue souvent en velléité puis en capitulation. Mais Netanyahou ne peut plus guère compter sur les Juifs américains. Et, après avoir reporté l’annexion, il est en danger, sur les plans judiciaire et politique. Ses successeurs, surtout s’ils sont issus de l’extrême droite, considéreront-ils ces accords comme « historiques » ?