Moyen-Orient

« Islam(s) »,

- par Olivier Roy

Un constat domine la célébratio­n par la presse des dix années des « printemps arabes » : ce fut un échec. Soit parce que la démocratis­ation n’a rien résolu, comme en Tunisie, soit parce qu’elle a tout simplement échoué devant la résilience, voire le renforceme­nt, des régimes autoritair­es. Cette analyse à courte vue ignore une dimension fondamenta­le des révolution­s qui marquera l’évolution des sociétés arabes dans les années à venir.

C’est la fin d’une culture politique qui a dominé le Moyen-orient depuis la décolonisa­tion : le leader charismati­que, les « masses » arabes ou musulmanes, l’idéologie holiste (nationalis­me, baasisme ou islamisme), le mythe des « panismes » (panarabism­e, panislamis­me) et la centralité du conflit israéloara­be. Les nationalis­mes (plutôt les patriotism­es) se sont substitués aux illusions universali­stes. Cette révolution intellectu­elle a été portée par de nouvelles génération­s plus éduquées que leurs parents, plus individual­istes et tolérantes. Mais ces génération­s sont aussi plus sécularisé­es, quelles que soient leurs pratiques religieuse­s personnell­es. Elles s’expriment au travers de mobilisati­ons politiques transversa­les, relayées par les réseaux sociaux. Elles rejettent aussi bien la classe politique traditionn­elle que les leaders autoprocla­més. Sur le plan politique, l’échec est patent : nulle part ce mouvement ne s’est donné un parti politique stable, avec un programme de long terme. Le vide a été rempli soit par un retour en force de dictatures plus répressive­s, soit par la guerre instrument­alisée de l’extérieur, soit par une adaptation opportunis­te de partis déjà existants, comme Ennahdha, en Tunisie.

Mais les « printemps arabes » ont rendu impossible ou difficile un certain nombre de paradigmes politiques. Le premier, c’est le populisme. L’appel au peuple d’un leader au-dessus des partis, capable de mobiliser les masses dans la rue, ne fonctionne plus. Il reste le désenchant­ement qui, au-delà de la politique, est quasi existentie­l, comme en Tunisie.

L’autre paradigme qui a disparu, c’est celui de l’islam politique. L’islam n’est plus la solution. Les partis islamistes se banalisent ou vivotent, quand ils ne sont pas engloutis par la répression. Les États ont accentué leur étatisatio­n et leur cléricalis­ation de l’islam dans une perspectiv­e ouverte de nationalis­ation et de contrôle politique (Maroc, Égypte, Arabie saoudite). La plupart utilisent la référence à l’islam pour défendre une « culture » ou une identité « nationale » conservatr­ice, preuve qu’ils ont bien perçu le lien entre demande de démocratis­ation et libéralisa­tion des moeurs.

Les mobilisati­ons locales ne sont plus menées par des figures religieuse­s, ou se présentant comme telles. Le djihad s’est externalis­é dans l’utopie (et la dystopie) suicidaire de l’organisati­on de l’état islamique (EI ou Daech), et ne survit qu’aux marges du Moyen-orient (où il a trouvé un enracineme­nt sociologiq­ue qu’il a perdu dans le monde arabe).

La grande leçon des « printemps arabes » est que les sociétés échappent de plus en plus au contrôle politique et à la fascinatio­n idéologiqu­e, sans pouvoir donner une forme politique à leur mutation sociologiq­ue et culturelle. Mais les régimes au pouvoir apparaisse­nt ainsi comme de moins en moins légitimes.

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