Repères société : D’un exil à l’autre : les réfugiés palestiniens dans le conflit syrien
L’ampleur inédite des déplacements forcés de Syriens à l’intérieur comme à l’extérieur du pays a eu tendance à occulter la situation des réfugiés palestiniens de Syrie, dont nombre d’entre eux ont été contraints de s’installer au Liban et en Jordanie. La fermeture relative de la frontière aux Palestiniens contraste avec l’accueil réservé aux Syriens jusqu’en 2015 et s’inscrit dans la place singulière qu’occupe la question palestinienne dans la région. La mobilité des Palestiniens est traitée sous un angle politique et non humanitaire. Si les perspectives de retour des réfugiés syriens demeurent lointaines en l’absence d’une résolution du conflit mais aussi faute de volonté politique de la part des autorités syriennes, elles le sont encore plus pour les Palestiniens.
Avant 2011, la Syrie accueillait sur son sol environ 550 000 réfugiés palestiniens, pour la plupart des personnes arrivées en 1948 et leurs descendants. L’agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) y officiait dans 12 camps. Jusqu’à l’éclatement du conflit, les réfugiés palestiniens en Syrie bénéficiaient d’une situation plutôt meilleure que celle de la plupart de leurs homologues dans la région, avec un accès presque sans restriction au marché de l’emploi comme aux services publics. Les réfugiés palestiniens, apatrides et ne disposant que d’une protection limitée de L’UNRWA, échappent de facto au champ d’application de l’asile conventionnel lorsqu’ils le cherchent dans un pays tiers, sans qu’aucun État ou institution internationale soit en mesure de leur assurer une protection réelle. L’autorité palestinienne n’a pas les prérogatives d’un État et ne délivre des documents de voyage qu’aux Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza.
• Des réfugiés sans protection
Le conflit qui a débuté en 2011 a placé les Palestiniens de Syrie dans une situation ambiguë, oscillant entre des formes de contestation individuelle et des mouvements plus structurés d’opposition au régime et à certaines franges du leadership palestinien en Syrie (1). L’année 2012 marque un tournant, avec l’attaque et le siège du camp de Yarmouk, dans la banlieue de Damas. Il s’agissait du plus important espace d’installation de réfugiés palestiniens dans la capitale syrienne, un symbole politique de la présence des Palestiniens dans le pays. Beaucoup d’organisations et d’associations palestiniennes y avaient leurs bureaux. La situation des forces politiques palestiniennes en Syrie est, elle aussi, remise en cause.
Le Hamas, issu de la mouvance des Frères musulmans, y avait sa direction en exil, appuyé par le régime syrien dans son opposition à Israël ainsi qu’aux accords d’oslo (1993). Le mouvement sera neutre au début de la guerre pour tenir à l’écart les Palestiniens d’un conflit « interne » aux Syriens, pour ensuite afficher un certain soutien à l’opposition à Bachar al-assad (depuis 2000). Il en sera de même des forces de la gauche palestinienne. La direction du Hamas s’exilera rapidement. De nombreux Palestiniens entraînés dans le conflit seront contraints de quitter leur pays d’accueil, fuyant les combats, les destructions de leurs habitations et la crainte de la répression. Depuis 2011, on estime que plus de 70 000 Palestiniens sont partis de Syrie. En 2014, près de 45 000 réfugiés enregistrés avaient quitté le pays pour le Liban, 15 000 pour la Jordanie et 9 000 pour l’égypte. Disposant d’une agence des Nations unies, L’UNRWA, ces derniers ne relèvent pas du mandat du Hautcommissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), et ne peuvent donc
bénéficier ni de son assistance ni de sa protection. Les pays de la région ne sont pas signataires de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés (à l’exception d’israël et de la Turquie, mais avec d’importantes limitations), et à ce titre, il n’existe pas au Liban de statut de réfugié en tant que tel. Depuis le début des années 1990, L’UNHCR dispose d’un bureau qui enregistre les demandeurs d’asile, procède à la détermination de leur statut et leur porte assistance et protection dans les limites des accords signés entre l’agence onusienne et les autorités libanaises. Les Palestiniens, du fait de leur statut juridique particulier, sont de facto hors du champ d’application de l’asile conventionnel dans les pays et territoires où exerce L’UNRWA. Les différents pays ayant déjà ouvert leur porte aux réfugiés palestiniens en 1948 – et 1967 pour certains – estiment que la responsabilité de leur accueil incombe à la communauté internationale. La Jordanie a, par exemple, fermé ses frontières aux réfugiés palestiniens de Syrie en 2013, par crainte d’être considérée comme une patrie de substitution (2). Dans les pays de la région, le sort des
Palestiniens de Syrie est donc lié à la non-résolution du conflit israélo-arabe. Ces derniers sont renvoyés à leur statut d’apatrides privés de protections et contraints de chercher asile dans l’un des pays frontaliers, à l’instar des Palestiniens qui ont dû fuir l’irak à la suite de la chute du régime de Saddam Hussein (1979-2003).
Au début du conflit, les Palestiniens de Syrie ont pu entrer au Liban, avec cependant de très importantes restrictions quant à leur droit à la résidence. Depuis mai 2014, le Liban leur a fermé ses frontières, avec pour conséquence la fin de la possibilité pour eux de circuler entre les deux pays. La plupart des Palestiniens de Syrie se retrouvent donc dans l’illégalité faute de pouvoir régulariser leur situation ou de prolonger leur permis de séjour. De réfugiés reconnus par leur État d’accueil et bénéficiant de l’assistance de L’UNRWA en Syrie, ils sont aujourd’hui considérés comme des migrants clandestins, privés de leurs droits et ayant un accès très limité à l’aide humanitaire.
Il faut rappeler que les Palestiniens de Syrie ayant trouvé refuge au Liban sont confrontés aux mêmes discriminations que les Palestiniens qui y résident habituellement. Partie prenante des conflits qui ont déchiré le « Pays des Cèdres » à partir de 1975, les Palestiniens forment l’une des communautés de la diaspora la plus instable et la plus défavorisée. Ils sont marginalisés sur la scène sociopolitique libanaise depuis la fin de la guerre civile en 1990. Leur présence au Liban a été fragilisée par les invasions israéliennes de 1978 et de 1982 qui ont détruit l’essentiel des infrastructures palestiniennes et poussé l’organisation de libération de la Palestine (OLP) à quitter le pays. Les contraintes juridiques auxquelles ils sont soumis les privent de nombreux droits vitaux, comme l’accès au marché du travail, à l’éducation publique ou au système de santé public. Les Palestiniens de Syrie se retrouvent donc pour la plupart obligés de s’installer dans l’un des 12 camps de réfugiés existants, ou dans les quartiers informels défavorisés des principales villes du pays.
• Une installation précaire
Même s’il n’existe pas de recensement de la population au Liban, L’UNRWA comptabilise en 2018 environ 29 000 réfugiés palestiniens de Syrie au Liban (3). Cette importante baisse de leur nombre s’explique en grande partie par les difficultés liées aux conditions de vie. Face à la dégradation de leur situation socio-économique et à l’impossibilité de régulariser leur statut – et donc d’accéder à l’assistance ou aux services éducatifs ou de santé –, certaines familles ont préféré quitter le Liban ou rentrer en Syrie. Ces retours sont effectués en dehors de tout cadre institutionnel, les agences de L’ONU estimant qu’il ne leur est pas possible d’assurer le suivi des réfugiés en Syrie. Les familles rencontrées qui ont pris cette décision l’ont souvent fait à la suite de la reconstruction de leur habitation ou de la stabilisation de la situation sécuritaire dans leur région d’origine en Syrie, et ce, bien entendu, quand aucun des membres de leur famille ne risquait d’être arrêté. Il est cependant difficile d’évaluer le nombre de personnes concernées par ces retours, qui demeurent limités vu les incertitudes liées à la situation en Syrie. D’autres ont opté pour la poursuite de leur parcours migratoire pour trouver asile dans un pays tiers, principalement en Europe. Beaucoup de ces départs ont eu lieu avant 2016, alors que les routes vers l’europe à travers la Turquie étaient ouvertes. L’émigration est devenue plus complexe et dangereuse, et elle emprunte
des routes plus longues en passant par la Libye. Les coûts sont aussi plus élevés, ce qui limite fortement la possibilité d’émigrer. Au début de la crise, ceux qui avaient les moyens financiers, les liens familiaux ou les réseaux nécessaires ont pu partir. Ne restent au Liban que les populations les plus pauvres et les moins connectées avec la diaspora.
Dans ce contexte fait d’incertitudes et de contraintes, les réfugiés palestiniens de Syrie se sont pour la majorité installés dans les camps existants, dans les principaux quartiers où résident les Palestiniens ainsi que dans les groupements informels ruraux. Ils se sont donc insérés dans les marges urbaines défavorisées des agglomérations libanaises, où habitent également de nombreux réfugiés syriens et travailleurs étrangers venus du sud-est asiatique ou d’afrique subsaharienne.
Plusieurs facteurs expliquent cette localisation. Les réfugiés qui ne disposent pas de titre de séjour valide échappent en partie aux contrôles des autorités libanaises en s’installant dans ces espaces. Les forces de sécurité libanaises n’entrent pas dans les camps de réfugiés palestiniens qui sont gérés par les factions palestiniennes. On y trouve donc des réfugiés et des migrants clandestins de différentes nationalités. Ces espaces deviennent des refuges pour les populations sans statut qui peuvent s’y établir sans risquer d’être arrêtées ou déportées vers la Syrie. Elles peuvent y exercer une activité professionnelle, alors que cela leur est interdit sur le reste du territoire libanais. Ce rôle d’accueil des camps pour des populations réfugiées ou migrantes en situation irrégulière n’est pas nouveau et se développe depuis les années 1990. La présence dans les camps et les principaux groupements palestiniens s’explique également par des raisons économiques. Ce sont des espaces de relégation où se concentrent de longue date les populations les plus défavorisées. Le logement y est moins cher que dans d’autres quartiers des agglomérations libanaises. C’est le cas plus particulièrement à Beyrouth, où le camp de Chatila et ses abords – comme le quartier de Sabra – accueillent une importante population palestinienne de Syrie, syrienne et asiatique. Le conflit syrien a donc contribué à renforcer le rôle des camps de réfugiés palestiniens dans l’accueil de nouveaux arrivants. Les Palestiniens du Liban ont construit illégalement des étages supplémentaires à leurs habitations qu’ils louent aux réfugiés. Cela leur permet d’accroître leurs revenus dans un contexte économique difficile. On assiste au développement de formes de complémentarités économiques entre les différents groupes de réfugiés, les plus anciennement présents sur le sol libanais bénéficiant d’une situation plus favorable.
Le rôle des réseaux familiaux est aussi un facteur déterminant pour comprendre l’installation des réfugiés palestiniens de Syrie au Liban. En 1948, de nombreuses familles ont été scindées par l’exil, et des membres de la même famille ont trouvé asile dans plusieurs pays. Les liens familiaux entre les différentes communautés de la diaspora ont souvent persisté à travers le temps par le biais de visites ou de mariages. Ils ont été réactivés avec la guerre en Syrie. Faute de revenus suffisants ou d’accès à l’aide humanitaire, et dans un contexte de conflit dans lequel la plupart des réfugiés ont dû quitter la Syrie de façon précipitée, beaucoup de familles ont eu recours aux réseaux familiaux pour trouver un logement. Elles ont été accueillies chez leurs proches ou bien dans des habitations non occupées. Certains groupements informels ruraux autour de la ville de Tyr, dans le sud du Liban, ont vu leur population presque doubler en 2013 avec l’arrivée des familles venues de Syrie. Cela a créé une très forte pression sur les prix du logement, ainsi que d’importants défis pour le système de santé et la scolarisation des enfants, tout cela dans un contexte de baisse des moyens de L’UNRWA, déjà déficitaire avant 2011.
• Une difficile insertion économique et sociale
Parallèlement aux difficultés liées à leur installation, les Palestiniens de Syrie font face à d’importants problèmes économiques. Faute d’accès au marché de l’emploi, les familles vivent principalement de l’assistance économique qui leur est fournie par L’UNRWA ainsi que des aides alimentaires qui leur sont distribuées. Selon une étude menée par L’UNRWA et l’université américaine de Beyrouth (4), 90 % d’entre eux sont en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent couvrir leurs besoins essentiels (alimentaires et non alimentaires). Depuis le début du conflit en Syrie, le Liban traverse une profonde crise économique qui s’est fortement amplifiée en 2019. Les chances de trouver un emploi sont très limitées et se concentrent dans le secteur informel, donc sans contrat de travail ni protection sociale. Plus de la moitié des Palestiniens de Syrie n’ont pas d’emploi, ce qui représente le double de la population palestinienne au Liban. Les femmes sont largement absentes du marché du travail – c’était déjà le cas en Syrie –, cette situation étant amplifiée par l’exil. La concurrence sur les segments les moins qualifiés du marché du travail s’est exacerbée avec la présence accrue de maind’oeuvre syrienne. Les salaires journaliers dans les secteurs agricoles ou dans celui de la construction ont été soumis à de très fortes pressions.
On retrouve donc l’essentiel des réfugiés palestiniens de Syrie sur le marché du travail journalier, ce qui les installe dans une précarité socio-économique durable. L’absence de perspectives de retour et les difficultés à poursuivre leur parcours vers l’europe plongent cette communauté dans une situation toujours plus critique. Les crises politique, économique et sanitaire n’ont fait que renforcer leur exclusion et leur marginalisation. Certains d’entre eux ont cependant contribué à développer des activités économiques dans les camps de réfugiés qui ont bénéficié de l’arrivée des nouveaux réfugiés syriens et palestiniens, accroissant la demande interne dans les camps. De petites échoppes ont vu le jour et le commerce de rue est apparu. Cette forme d’entrepreneuriat de nécessité permet aux plus démunis de générer des revenus, même si ce type d’activité reste peu rémunératrice et incertaine.
• De l’asile à l’exil : à la marge de la société libanaise
Le conflit syrien a remis au jour la question des réfugiés contraints de quitter leur État d’accueil pour chercher de nouveau asile dans un pays tiers. La situation des réfugiés est singulière à plusieurs titres puisqu’ils sont apatrides tout en relevant d’une agence de L’ONU, L’UNRWA. Le statut de réfugié des Palestiniens est lié à leur pays de résidence habituelle. Lorsqu’ils le quittent, ils ne relèvent pas du mandat de L’UNHCR et ne peuvent accéder qu’à une assistance humanitaire limitée fournie par L’UNRWA. Les réfugiés palestiniens sont rejetés au statut de demandeurs d’asile par les conflits. La plupart du temps, ils sont considérés comme des migrants illégaux dans leur pays de résidence temporaire. Apatrides, ils ne peuvent pas demander la protection de leur pays d’origine. La singularité de l’expérience palestinienne est donc en partie liée à la non-résolution du conflit israélo-arabe, à leur statut d’apatride comme à leur exclusion du système d’asile conventionnel de 1951.
Alors que le conflit en Syrie s’inscrit dans la durée et que la mobilité des Palestiniens est très fortement restreinte par les autorités libanaises, les Palestiniens de Syrie tendent à s’installer de façon plus durable dans leur pays d’accueil. Cette installation se traduit par la paupérisation de ce groupe et sa marginalisation croissante, du fait de l’illégalité de leur statut, de leur accès très restreint à l’aide humanitaire et de la concurrence accrue sur les marchés locatifs et de l’emploi. Si certaines familles qui disposent de connexions transnationales et de relais dans la diaspora peuvent espérer émigrer vers un pays tiers, d’autres se retrouvent dans une impasse migratoire, ne pouvant ni revenir en Syrie à cause du conflit ni accéder, faute de moyens, à l’émigration. Ils sont confinés dans les marges de la société libanaise.