Islam(s)
Le djihad n’est plus ce qu’il était. Certes, l’organisation de l’état islamique (EI ou Daech) « revient » dans le nord-est syrien, mais c’est parce qu’elle n’en est jamais partie, car les acteurs locaux qui l’ont rejointe ou accueillie ont de bonnes raisons de continuer de se battre. Dans le Sahel et en Afrique de l’ouest, les djihadistes font montre d’une grande résilience, mais ils ont d’autres circonstances que la charia.
Si les combattants sont toujours là, c’est le grand récit du djihad mondial qui s’affaiblit en faveur de facteurs de plus en plus locaux et de moins en moins idéologiques.
En Syrie, la Hayat Tahrir al-cham (HTC), qui contrôle la région d’idlib, s’est dépouillée de ses atours djihadistes : d’abord, dès 2016, l’affiliation avec Al-qaïda, puis la référence au djihad global, en mettant au pas les volontaires étrangers qui l’avaient rejointe, puis la gestion « islamiste » et sectaire du territoire qu’elle gère. Elle a renoncé à une hégémonie idéologique et religieuse, pour mieux conserver le pouvoir politico-militaire, en insérant ce dernier dans un jeu d’alliances locales et régionales : ouverture aux tenants d’un islam plus traditionnel et à des acteurs économiques et sociaux éloignés du modèle d’« émirat islamique », alliance avec la Turquie et envoi de messages de modération aux Occidentaux.
Avoir été une filiale d’al-qaïda n’aide pas à se refaire une virginité politique. Mais le fait de renoncer au djihad et de se glisser dans le rôle d’administrateur pragmatique suffit à dissiper l’aura de la « guerre sainte » et à décourager les apprentis djihadistes de rejoindre ses rangs. La question ici n’est pas celle de la sincérité, mais de la performance : cesser de proclamer le djihad, c’est mettre fin au djihad. C’est effacer l’imaginaire millénariste qui mobilisait les volontaires.
Si l’on regarde les autres djihads régionaux, par exemple au Mali, on s’aperçoit que les enjeux locaux (économiques et anthropologiques) l’emportent de plus en plus sur les adhésions idéologiques : des équilibres anciens mais précaires entre éleveurs et agriculteurs, souvent recoupés par des affiliations claniques ou ethniques, ont été bouleversés par les variations climatiques, l’afflux d’armes venues des pays voisins et l’islamisation de l’expression des conflits, ce qui a poussé la France à réagir militairement en termes de « lutte contre le terrorisme ».
Mais le pourrissement de ces conflits et la rivalité entre groupes se réclamant du djihad conduisent bien des acteurs locaux à essayer de retrouver des équilibres précaires en dehors de toute référence au djihad. Ici aussi, la question n’est pas de distinguer ce qui est tactique et ce qui est stratégique, mais de comprendre que les grandes constructions narratives comme le djihad ne résistent pas au retour à une realpolitik.
Jusqu’à maintenant, le djihad sahélien n’a ni attiré les jeunes issus de la diaspora ni servi de justification pour des attentats commis en France. Il est donc plus que jamais essentiel de contribuer à la « sortie du djihad » par une ouverture politique. Même si la paix n’est pas au rendez-vous, au moins le mythe du djihad mondial en aura pris un coup.