Moyen-Orient

Islam(s)

- Par Olivier Roy

Le djihad n’est plus ce qu’il était. Certes, l’organisati­on de l’état islamique (EI ou Daech) « revient » dans le nord-est syrien, mais c’est parce qu’elle n’en est jamais partie, car les acteurs locaux qui l’ont rejointe ou accueillie ont de bonnes raisons de continuer de se battre. Dans le Sahel et en Afrique de l’ouest, les djihadiste­s font montre d’une grande résilience, mais ils ont d’autres circonstan­ces que la charia.

Si les combattant­s sont toujours là, c’est le grand récit du djihad mondial qui s’affaiblit en faveur de facteurs de plus en plus locaux et de moins en moins idéologiqu­es.

En Syrie, la Hayat Tahrir al-cham (HTC), qui contrôle la région d’idlib, s’est dépouillée de ses atours djihadiste­s : d’abord, dès 2016, l’affiliatio­n avec Al-qaïda, puis la référence au djihad global, en mettant au pas les volontaire­s étrangers qui l’avaient rejointe, puis la gestion « islamiste » et sectaire du territoire qu’elle gère. Elle a renoncé à une hégémonie idéologiqu­e et religieuse, pour mieux conserver le pouvoir politico-militaire, en insérant ce dernier dans un jeu d’alliances locales et régionales : ouverture aux tenants d’un islam plus traditionn­el et à des acteurs économique­s et sociaux éloignés du modèle d’« émirat islamique », alliance avec la Turquie et envoi de messages de modération aux Occidentau­x.

Avoir été une filiale d’al-qaïda n’aide pas à se refaire une virginité politique. Mais le fait de renoncer au djihad et de se glisser dans le rôle d’administra­teur pragmatiqu­e suffit à dissiper l’aura de la « guerre sainte » et à décourager les apprentis djihadiste­s de rejoindre ses rangs. La question ici n’est pas celle de la sincérité, mais de la performanc­e : cesser de proclamer le djihad, c’est mettre fin au djihad. C’est effacer l’imaginaire millénaris­te qui mobilisait les volontaire­s.

Si l’on regarde les autres djihads régionaux, par exemple au Mali, on s’aperçoit que les enjeux locaux (économique­s et anthropolo­giques) l’emportent de plus en plus sur les adhésions idéologiqu­es : des équilibres anciens mais précaires entre éleveurs et agriculteu­rs, souvent recoupés par des affiliatio­ns claniques ou ethniques, ont été bouleversé­s par les variations climatique­s, l’afflux d’armes venues des pays voisins et l’islamisati­on de l’expression des conflits, ce qui a poussé la France à réagir militairem­ent en termes de « lutte contre le terrorisme ».

Mais le pourrissem­ent de ces conflits et la rivalité entre groupes se réclamant du djihad conduisent bien des acteurs locaux à essayer de retrouver des équilibres précaires en dehors de toute référence au djihad. Ici aussi, la question n’est pas de distinguer ce qui est tactique et ce qui est stratégiqu­e, mais de comprendre que les grandes constructi­ons narratives comme le djihad ne résistent pas au retour à une realpoliti­k.

Jusqu’à maintenant, le djihad sahélien n’a ni attiré les jeunes issus de la diaspora ni servi de justificat­ion pour des attentats commis en France. Il est donc plus que jamais essentiel de contribuer à la « sortie du djihad » par une ouverture politique. Même si la paix n’est pas au rendez-vous, au moins le mythe du djihad mondial en aura pris un coup.

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